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L’union à gauche : tragédie en trois actes

Ils se parlent, ont des désaccords et plaident chacun pour un rassemblement qui lui profite. Rien ne peut les unir mais, pourtant, ils ont tous conservé leurs numéros de téléphone.

Elle est descendue du train et tout est devenu possible. Anne Hidalgo, candidate du Parti socialiste pour la présidentielle d’avril prochain, descend du TGV qui doit la mener à La Rochelle ce mercredi 8 décembre en milieu de journée. Un déplacement de campagne comme il y en a des dizaines pour un candidat à la plus haute fonction de l’Etat. Mais la maire de Paris sort de son wagon à Poitiers. Retour illico à la capitale. Officiellement, la raison de ce revirement est une réunion qui doit porter sur la crise sanitaire. Mais le fil de cette journée nous apprend tout autre chose : son équipe très rapprochée négocie dans l’après-midi trois minutes d’antenne sur le plateau du 20 heures de TF1. Anne Hidalgo sera l’invitée de Gilles Bouleau devant des millions de français pour faire une annonce.

« Cette gauche fracturée, cette gauche qui aujourd’hui désespère beaucoup de nos concitoyens doit se retrouver et se rassembler. Se rassembler pour gouverner. Et la conséquence que j’en tire, c’est qu’il faut organiser une primaire de cette gauche arbitrée par nos concitoyens ». Le verdict tombe : Anne Hidalgo plaide pour une primaire rassemblant les candidats de gauche. Alors que tous continuent de faire campagne dans leurs couloirs respectifs, la candidate du PS décide de changer les règles et met en jeu sa propre candidature.

Acte 1. Changer d’avis

Le matin-même sur France 2, elle affirme pourtant qu’une « union qui serait perçue comme artificielle parce qu’il y a des candidats qui, depuis très longtemps, sont déclarés ne fonctionnerait pas ». La candidate change d’avis. A gauche, une autre campagne doit avoir lieu. Le lendemain, les instances du PS rencontreront la Primaire populaire, cet organisme qui revendique 280 000 inscrits et milite depuis des mois pour une candidat unique à gauche départagé par une primaire.

Mais après cet événement de campagne, les lignes n’ont pas bougé. Tous les candidats de gauche ont ignoré cet appel. Tous sauf Arnaud Montebourg, ex-ministre de l’Economie et candidat lui aussi, qui publie ce même mercredi une lettre diffusée sur les réseaux sociaux affirmant qu’il était possible de « trouver ensemble le chemin du rassemblement qui répondra à l’attente du peuple de gauche ».

Pire encore, Yannick Jadot et Jean-Luc Mélenchon font bloc. Pour eux, c’est non. Et la ligne est claire : il n’est pas question de se soumettre à un coup politique orchestré par une candidate qui ne décolle pas dans les sondages. En effet, Anne Hidalgo ne dépasse pas la barre des 5% d’intentions de vote depuis plusieurs semaines. Un maigre chiffre qui a pesé dans son demi-tour 180 degrés.

Acte 2. S’appeler

Et les coups de fil d’Arnaud Montebourg vendredi 10 décembre mis en scène sur les réseaux sociaux n’y feront rien. Chose rassurante : il semble qu’ils n’aient pas tous effacé leurs numéros dans leurs téléphones respectifs. Mais aucun d’entre eux n’a visiblement répondu. Pourtant, l’ancien ministre l’assure : les échanges téléphoniques ont bien eu lieu hors caméra. Ils se parlent.

Mais les tranchées se creusent. En meeting à Laon le samedi 11 décembre, le candidat gagnant de la primaire écologiste et première cible du clan Hidalgo a évoqué un rassemblement mais « derrière l’alternative heureuse de l’écologie ». Et ses propos n’ont pas évolué au fil des jours. Selon Libération, Yannick Jadot a appelé Anne Hidalgo dans la soirée du mardi 14 décembre pour lui expliquer sa position : contre la primaire, pour un rassemblement derrière lui. Lui a déjà participé à la primaire de son parti en septembre (alors qu’il n’y était pas favorable). C’était la deuxième fois après celle de 2016 où il en était sorti gagnant avant de se ranger derrière Benoît Hamon, le candidat PS malheureux. Alors on ne lui fera pas le coup une seconde fois.

Du côté des insoumis, il n’est pas question d’aborder la question de la primaire. « Madame Hidalgo, Monsieur Montebourg, l’équipe de la Primaire populaire dont on ne sait pas les membres qui sont inscrits… Tous ces gens ne font qu’une chose : dire que c’est perdu d’avance, qu’il faut se résigner, que ça ne sert à rien », avance Jean-Luc Mélenchon sur le plateau de France info ce dimanche 12 décembre dans l’émission Questions politiques. Lui a un programme et il n’est pas question de remettre sur la table sa candidature : « nous passons des heures à convaincre, nous faisons des caravanes populaires, nous mettons au point un programme, nous rassemblons un parlement de l’Union populaire qui est la première tentative d’union large qu’il n’y ait jamais eu dans ce pays. Et tout ce qu’il y aurait à faire, c’est d’attendre la fin du mois de janvier pour savoir s’il y a un programme et un candidat. Ce n’est pas sérieux. » Alors que l’insoumis multiplie les appels du pied à Fabien Roussel, le candidat investi par le PCF pour 2022, il ne compte clairement pas entrer dans le jeu d’une primaire. A croire que les gauches sont bien irréconciliables.

Acte 3. Ne rien faire

En fin de semaine, on croyait pourtant avoir devant nous le tableau final des candidats de gauche. Mais un nom s’est invité à la liste : Christiane Taubira, ancienne ministre de la Justice. Dans une courte vidéo diffusée vendredi 17 décembre sur les réseaux sociaux, elle annonce « envisager » de se présenter à la présidentielle. Façon de se lancer dans la course tout en se laissant la possibilité de se retirer si les conditions d’une union ne sont pas réunies. La liste des candidats à gauche s’élève donc à huit.

Non, cette annonce n’est pas une surprise. En coulisse, son nom circule depuis plusieurs semaines. Il est vrai que les indices s’accumulaient depuis quelque temps : sa présence dans les médias était un peu plus importante, une lettre adressée aux français était en préparation et devait être publiée à Noël et, surtout, elle avait discuté avec Hidalgo, Mélenchon, Roussel et Jadot par téléphone. Elle aussi. Le contenu de ses échanges est inconnu. Dans cette vidéo, elle annonce donner rendez-vous aux Français à la mi-janvier, date de clôture des candidatures à la Primaire populaire.

Certes, elle hésitait à se lancer. Pour elle, il était hors de question d’être une candidate de trop. Une candidate qui participerait encore un peu plus à l’émiettement de l’électorat de gauche. La situation du 21 avril 2002 lui trottait dans la tête. Elle qui avait récolté un peu plus de 2% des voix, participant pour beaucoup à la défaite de Lionel Jospin.

Quelques minutes après cette déclaration, Anne Hidalgo tient une conférence de presse (prévue la veille) dans son QG de campagne du 12ème arrondissement tout près de Gare de Lyon. Objectif : petite piqûre de rappel pour éviter l’emballement. « Il n’y a qu’une méthode pour rassembler la gauche et les écologistes, c’est la primaire », affirme, sûre d’elle, la maire de Paris. Pour elle, il doit y avoir un vote après un débat à la télévision avant le 15 janvier « avec ceux qui veulent gouverner ensemble, mais aussi ceux qui ne veulent pas ». Une manière de remettre un coup de pression à Yannick Jadot qui avait expliqué, sur BFM-TV le 14 décembre, qu’Anne Hidalgo pourrait « évidemment être première ministre » à une condition : qu’elle se range derrière lui.

Alors que la candidate socialiste continue sa conférence de presse, au même moment sur le plateau de BFM-TV, Sandrine Rousseau, présidente du conseil politique dans la campagne de Yannick Jadot, est très enthousiaste devant l’acte de candidature de l’ancienne garde des Sceaux : « je pense que sa démarche consiste à pousser à l’union, et à mettre un peu de pression sur l’union de la gauche. Là-dessus je suis d’accord avec elle : sa présence permet de remettre au cœur du débat la question du nombre de candidats et de candidates à gauche. J’ai toujours été pour l’union et je pense que c’est un sujet ».

Un point de vue qui n’est pas partagé par tout le monde dans l’équipe du candidat écologiste. A commencer par Yannick Jadot en personne. Ce lundi 20 décembre, au micro de Jean-Jacques Bourdin, le candidat écolo est cinglant : « après cinq ans d’absence politique, je reviens avec une vidéo de trois minutes à quatre mois de l’élection pour donner rendez-vous dans un mois, à moins de trois mois du premier tour. Ce n’est pas sérieux. Ce n’est pas à la hauteur des combats qu’elle mène ».

Le candidat écologiste était pourtant à l’origine d’une réunion fin mars en vue d’un hypothétique accord pour la présidentielle. Et toutes les gauches étaient assises à la même table. Côté écolo, il y avait Yannick Jadot, Sandrine Rousseau, Eric Piolle et Julien Bayou. Pour le PS, Anne Hidalgo et Olivier Faure avaient répondu présent. Chez la France insoumise, le député Eric Coquerel représentait Jean-Luc Mélenchon (alors en déplacement en Amérique du Sud). Les communistes ont envoyé Ian Brossat (ex-tête de liste du PCF pour les élections européennes en 2019) et Pierre Lacaze (cadre du parti en charge des négociations). Certes, rien n’était sorti de ces premières discussions. Mais ils se parlaient… et pas au téléphone.

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Journaliste culture, politique et société
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