Notre tour d’horizon des grandes écoles se poursuit aujourd’hui avec la grande école de management d’EM Grenoble et nous échangeons avec son directeur Loïck Roche.
Vous m’avez dit en préparant cet échange que plutôt que d’afficher des valeurs, vous aviez décidé de les mettre en action directement.
Tout à fait. Des engagements, cela signifie que c’est un contrat qu’on passe avec l’ensemble des personnes qui ont un regard sur nous. Des engagements, ça doit donc se tenir alors que des valeurs c’est quelque chose qui est beaucoup plus discutable. Dans l’expression même des valeurs, on a souvent des choses qui sont très générales : responsabilité, qui ne veut pas être responsable ? ; bienveillance, qui ne veut pas être bienveillant ? Donc ce que l’on fait vise un peu à contrer ce discours facile voir factice.
Les écoles et les entreprises en général parlent plutôt d’engagements car ça c’est mesurable, c’est vérifiable. Si on parle des engagements sur l’égalité femme-homme, ça peut se mesurer dans ce qu’on veut faire passer comme message aux étudiants. Tout ce qui est lié à l’éducation pour tous et toutes c’est ce qu’on va faire pour l’égalité, la diversité. Ce sont toutes ces choses là. Ça ne veut pas dire qu’on est parfait mais ça veut dire qu’on peut donner à voir ce que l’on fait et ça peut être mesuré et donc critiquable. Je crois que des engagements ne tiennent que si les engagements peuvent être mesurés. L’idée est d’apporter la preuve derrière. Les valeurs sont des choses charmantes et tout le monde est d’accord donc c’est un concours de celui qui va dire les plus belles choses. On avait à l’époque des valeurs qui étaient la responsabilité, la bienveillance, alors oui c’est charmant, mais si on regarde bien, il est très difficile de ne pas être en plein accord avec. Je crois qu’aujourd’hui, ça ne tient plus. Il faut des actes, des actions, des preuves. Derrière les discours, qu’est-ce qu’il y a réellement ? Nos réalisations peuvent être jugées suffisantes ou insuffisantes. Je préfère parler d’engagement plutôt que de valeur.
Sur la partie distancielle, dans toutes les écoles, tout le monde avait l’air d’avoir anticipé ce qui s’est passé. Vous avez l’air d’avoir été tous plus prêts que le gouvernement pour gérer la crise, pour s’organiser.
Je crois qu’il convient de distinguer les écoles qui, de part leur structure, leur appétence par rapport aux nouvelles technologies, aux innovations, avait déjà l’avantage d’expérience de premières formes d’enseignements à distance. Du coup, le fait d’avoir basculé au 100% à distance, ça c’est fait plus naturellement. On a voulu aller un peu plus loin qu’une simple bascule et un copier-coller du présentiel à GEM. Si vous avez un cours de deux heures en présentiel et que vous faites un copier-coller en distanciel, c’est absolument catastrophique. On l’a d’ailleurs vu dans les petites classes en primaire où ils ont voulu donner une charge de travail monumentale aux parents et donc c’était un peu à côté de la plaque mais c’est normal. Les écoles et enseignements supérieurs avaient davantage la capacité d’agir et de passer de l’un à l’autre. Après le Covid-19, il va rester des choses. Dans l’enseignement, ce seront des enseignements où les étudiants seront présents et à distance et cela ne changera rien pour eux parce qu’ils pourront tout à fait travailler dans un cours, comme si tout le monde était en présentiel. C’est ce qu’on a mis en place à Grenoble et qu’on appelle le système de iFlex. Ça demande une remise en cause des enseignants, il y a une appropriation des technologies, des outils, un service de support, une résurgence de métiers qui étaient avant la cinquième roue du carrosse — les conseillers pédagogiques. Structurer un cours avec ces technologiques, faire travailler tous ces gens-là éventuellement en sous-groupe dans toutes les mixités possibles, ça demande des séquençages et de repenser la forme du cours même si le fond ne change pas, ça demande des équipes et pas seulement le professeur qui arrive avec 2-3 notes.
Ce n’est pas évident quand il y a une partie en présentiel et une autre en distanciel où l’enseignant doit gérer les gens qui sont présents et s’intéresser, regarder ceux qui sont par ordinateur et ça c’est une gymnastique compliquée pour les professeurs.
C’est vraiment la révolution, ça marche très bien. Vous avez des écrans, ceux à distance voient la salle de classe, ceux en classe voient les écrans,… il y a un jeu comme ça. Pour la première fois, dans le même lieu, il y à la fois du virtuel et du réel et ça ouvre des horizons absolument formidables. Grâce à la virtualisation, on peut montrer ce qu’on fait et pas seulement le raconter : inviter des personnes à se connecter, à se joindre à nous et à partir de janvier, si le ministère autorise le présentiel, c’est le système que l’on va adopter. C’est également respectueux envers les étudiants qui ont des problèmes financiers et qui ont abandonné leur loyer, pris des jobs, en apprentissage et qui, pour continuer à être en cours, seront à distance tandis que ceux sur place à Grenoble ou à Paris pourront se présenter en présentiel. La crise a permis des technologies qui existaient mais qui ont été poussées et je pense que cela va rester après.
Comment allez-vous chercher vos futurs étudiants ? Il y a beaucoup de salons qui se font en digitaux et beaucoup de directeurs m’ont parlé de l’événement My Future au mois de janvier par exemple.
Je ne peux pas vous répondre mais je pense que nous participerons à l’événement My Future. Pour les écoles ce n’est pas très compliqué. Pour des écoles comme nous, on a la chance d’avoir une certaine notoriété donc on est connus au départ et on n’a pas tout à faire. Tout ce qui est salon physique, cela devient virtuel mais ce sont les mêmes marques, les mêmes personnes derrière. Les salons physiques pourront revenir si la situation s’y apprête mais on a découvert sur le peu de salons qu’il y a déjà eu en virtuel qu’il y a des choses plus confortables que le physique. C’est notamment le cas lorsqu’il y a une certaine confidentialité des interactions sans le brouhaha autour, les gens ne sont pas bousculés, pour passer d’un salon à un autre, un clic et vous y êtes. Il y a pas mal d’avantages. Ce que j’aime bien dans ce genre de situation compliquée, c’est de me demander en quoi ça nous a fait progresser, en quoi ça peut remplacer efficacement ce qu’on faisait précédemment ou au contraire ce qui nous manque et qu’il faudra retrouver. Pour tout ce qui est classe préparatoire qui est le vivier numéro 1 pour les écoles qui bataillent surtout par rapport à la compétition de capter les étudiants de ces classes qui ont toujours lieu en présentiel puisqu’elles se trouvent les lycées qui sont maintenus en présentiel et donc, la visite physique des classes préparatoires se fait tout à faire comme avant.
Le dernier point, lorsque ce sont des journées pour les parents, des portes ouvertes, aujourd’hui on compense par la virtualisation complète de l’école donc les gens peuvent effectivement visiter l’école virtuellement. Mais il manque tout de même l’atmosphère, c’est-à-dire qu’il y a des endroits où vous vous sentez bien immédiatement quand vous y êtes physiquement. Si c’est un public plus jeune, ils vont tout de suite s’adapter et prendre les manettes du bon côté. Si c’est un public plus ancien et je pense aux parents en disant cela, c’est sûr que ça ne va remplacer le fait d’aller sur place, de voir où vivent leurs enfants au quotidien. Derrière, il y a tout même des coupes, des failles qui vont ne faire que s’agrandir et il y en a qui vont se les approprier et prendre de l’avance. Il y a aussi une très grande inégalité : tout n’est pas couvert contrairement à ce que l’on pense par Internet, tout le monde chez lui n’a pas forcément un ordinateur personnel, tout le monde n’a pas les conditions de travail pour faire en sorte d’avoir un lieu privé, étanche aux bruits de la maison, des voisins et autres. Il y a quand même des choses qui aujourd’hui posent encore question. Il y a encore des efforts à faire pour faciliter l’accès à l’éducation à tous.
L’innovation est certainement un des traits caractéristiques de ce qu’on appelle la résilience. Par l’innovation, on peut être résilient dans la pédagogie, dans la capacité à s’adresser aux étudiants et il faudrait également qu’on apprenne à être résilient pour mieux gommer tous ces écarts et ces injustices indépendamment de la crise.