Mawaru Penguindrum est une oeuvre culte de l’animation. Pourtant, ce titre, que l’on doit au papa d’Utena, Kunihiko Ikuhara, reste confidentiel par chez nous. Aujourd’hui, nous nous penchons sur son adaptation romanesque, sorti récemment chez les éditions Akata via leur jeune collection Young Novel. Destiny !
Écrit par Ikuhara et Kei Takahashi, ce livre est, contrairement à ce que le marché propose habituellement, un véritable roman et non un light novel ponctué d’illustrations comme les titres disponibles chez Ofelbe. Les éditions Akata font le pari osé de proposer de la littérature jeunesse moins « manga-compatible » que la moyenne et c’est tout à leur honneur. Si on peut fortement leur reprocher le changement de couverture (l’édition japonaise est absolument magnifique et extrêmement travaillée) afin d’attirer un lectorat différent du consommateur habituel et correspondre au goût du public français (peu habitué à voir des dessins d’inspirations manga sur les couvertures de leur livres) on ne peut en revanche, rien trouver à redire sur la qualité du texte proposé. On est bien loin du niveau littéraire de Sword Art Online ou de Spice & Wolf, généralement plutôt pauvre. Là c’est un roman, avec de belles phrases, des figures de styles et des métaphores, et ça fait plaisir de lire autre chose que de la description ininterrompue de lieux et de pensées de personnages.
La série anime Mawaru Penguindrum est le fruit de l’esprit génial de Kunihiko Ikuhara responsable du déjà culte Utena La Fillette Révolutionnaire. C’est un véritable ovni, comme on en fait peu, sorti du studio Brain’s Base, responsable de petite pépites telle que Durarara!!, Baccano!, Natsume Yuujinchou ou Ixion Saga DT. Depuis, le studio est en pleine dégringolade (la fuite des cerveaux venant d’un studio qui s’appelle Brain’s Base c’est quand même sacrément ironique).
Ô rage, ô désespoir !
L’histoire du roman est la même que dans la série. Nous suivons une fratrie tout ce qu’il y a de plus normale ou presque. Les Takakura sont orphelins et vivent à trois dans une vieille maison miteuse. Malgré la misère, rien ne semble pouvoir entacher leur bonheur et pourtant, c’est la maladie qui mettra leur famille à genoux. Himari, la jeune soeur de Kanba et Shôma est atteinte d’une tumeur au cerveau, il ne lui reste plus beaucoup de temps à vivre et les médecins lui accordent de finir ses jours entourée de ses proches à faire ce qu’elle veut. C’est lors de leur balade au zoo, devant le bassin des manchots que la belle s’effondre. Malgré des secours prompts, Himari succombera à l’hôpital de son cancer.
La tragédie prend un tout autre tournant lorsque Himari se réveille bien vivante à la morgue devant ses frères, interdits. Cette rémission miracle serait-elle la manifestation d’une présence divine ? Les voilà liés par un étrange chantage à une entité possédant le corps de leur soeur, réanimée par le biais d’un chapeau en forme de manchot. Himari prise en otage, les deux frère n’ont plus qu’une solution, se plier aux ordres de la créature qui la hante, sous peine de la voir mourir à nouveau. Désormais accompagnés de trois manchots invisibles, les voilà parti sans indice aucun, à la recherche du penguin-drum, un objet dont eux-même ne connaissent que le nom. Quel est donc ce mystérieux chapeau-manchot et l’entité qui le possède ? Les deux frangins arriveront-ils à sauver leur soeur ? Vous le découvrirez en plongeant dans Mawaru Penguindrum !
Nous suivons l’histoire au travers des yeux de Shôma. C’est un garçon timide qui a du mal à s’affirmer, se laisse bien volontairement marcher dessus et n’a comme préoccupation que son logis et ceux qui y vivent. C’est par sa voix et ses réflexions que l’on découvre sa famille et son entourage proche. Bien qu’il n’ouvre que peu la bouche, il n’en pense pas moins. Ce qui est tout le contraire de son frère Kanba, dragueur invétéré, extraverti et d’un naturel bagarreur. Bien que Kanba soit plutôt mystérieux dans ce premier volume, on le voit agir dans l’ombre au service ou à l’insu de quelqu’un. Tout ce dont on est sûr, c’est qu’il fera tout pour protéger sa soeur Himari. Himari qui d’ailleurs, bien que plutôt en retrait, s’avère bien plus riche et développée qu’au premier abord. Derrière ses air de fille joviale se cachent des traumatismes et une peur maladive de la solitude qu’elle a accumulée au fil de ses années d’hospitalisation.
Chacun de ces trois personnages est accompagné d’un miroir déformant de leur propre psyché, les manchots. Représentation imagée de leurs travers sociaux et de leurs préoccupations quotidiennes, les trois manchots sont la petite touche de burlesque qui vient égayer cette histoire. Omniprésent, à faire les pitres chapitre après chapitre, ils enjolivent par leur présence un récit qui aurait été un peu plus tranquille sans eux. La notion de destin et de péché est très souvent mise en avant dans le scénario, glissant tout un sous-texte sur Dieu, le destin, la fatalité et les conséquences des erreurs passées. Le titre s’évertue à balancer entre humour et drame, passant de scènes froides se rapprochant du thriller à des moments de comédie burlesques et surréalistes.
Maintenant tout est clair !
On vous rassure quand même, Mawaru Penguindrum n’est pas déprimant. il a des éléments de noirceur caractéristique d’Ikuhara mais possède aussi son humour loufoque, issu de cette patte typiquement délirante qu’on peut voir dans ses réalisations. Et justement, cette adaptation que vaut-elle face à ce monument de la japanime moderne ? Soyons honnêtes deux minutes, les oeuvres d’Ikuhara sont géniales, mais sont aussi sacrément cryptique. Les répétitions de scènes d’épisodes en épisodes, le montage, parfois hypnotique, et les cadrages étranges sont ce qui fait la force d’Ikuhara et de ses histoires. Mais il reste assez dur d’en saisir toute l’essence. Vous n’imaginez pas le nombre de postes de blog cherchant à analyser Mawaru Penguindrum à base de théories et d’organigrammes.
Le roman a donc un avantage certains sur son homologue animé. Il est limpide ! Pas de circonvolutions alambiquées, tout est clair comme de l’eau de roche et la compréhension des tenants et aboutissants sont à la portée du premier venu. Le tout, en gardant le sous-texte présent dans l’anime, ce qui est particulièrement appréciable. On puis en tout cas vous assurer que ce roman triture bien moins les méninges que son homologue imagé sans dénaturer son fond. Rendre intelligible à tous la pensée profonde d’Ikuhara étant proche de l’exploit, nous saluons bien bas l’équipe en charge du projet en France. Certains préféreront l’expression artistique de l’auteur par des métaphores et sous-entendu, d’indice parsemé ci et là dans la version anime. C’est un choix qui se respecte. À vous de voir si vous aimez vous prendre la tête.
Si Mawaru Penguindrum n’a pas encore révélé tous ses mystères, le tome 2 nous en dira sûrement plus sur le passé de nos héros et ce qui les attends après le dernier événement du tome 1 (ceux n’ayant pas vu la série risquent d’avoir des surprises dans les tomes suivants). Ça tombe bien, ce deuxième opus doit sortir en février prochain, quant au troisième il n’est pas encore daté, mais on peut supposer qu’il sortira courant 2019 (pour Japan Expo ?).
Mawaru Penguindrum est un titre diablement atypique. C’est drôle, un peu malsain par endroit, on suit une histoire un brin schizophrène qui nous happe dans son univers farfelu aux personnages haut en couleur, et on y plonge sans rechigner avec une forme de masochisme assumé dû à ce petit goût de reviens-y qui fait le sel des bonnes séries.