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Mégafichier TES : décidé, décrété, décrié

Le fichier TES, qui doit compiler les données personnelles de 60 millions de Français, fait l’objet de critiques tous azimuts. Tandis qu’Axelle Lemaire dénonce l’opacité du gouvernement, le Conseil national du numérique s’alarme des dérives d’un tel dispositif.

Instauré par décret le 1er novembre dernier, le fichier TES (pour « titres électroniques sécurisés ») prévoit de répertorier les données personnelles (cartes d’identités, passeports et données biométriques) de tous les citoyens de plus de 12 ans, soit plus de 60 millions de Français.

Sur Twitter, les journalistes, internautes et défenseurs des libertés individuelles n’ont pas tardé à rebaptiser le mégafichier avec le hashtag #FichierMonstre :

Un mégafichier « propice aux détournements massifs de finalités »

Le Conseil national du numérique (CNNum), organisme consultatif spécialiste des questions numériques dirigé, s’est saisi du sujet et n’a pas tardé à se faire entendre. Dans un communiqué publié ce lundi 7 novembre, il s’alarme de « l’absence de toute concertation préalable à la publication », alors même que le dispositif présente de nombreux risques de dérives attentatoires aux libertés individuelles et à la vie privée.

Outre son instauration par décret, c’est l’utilisation intrusive qui pourrait être faite d’un tel fichier qui soulève le plus de craintes. Ce risque avait déjà conduit le Conseil constitutionnel à censurer en 2012 une proposition de loi adoptée par la droite. Cette dernière devait instaurer ce que les sages ont alors qualifié de « fichier des honnêtes gens ». Les technologies ayant depuis évolué, le CNNum s’inquiète que le fichier TES puisse « permettre l’identification systématique de la population avec les moyens de la reconnaissance faciale ou de la reconnaissance d’image, à des fins policières ou administratives ». Pour illustrer son propos, le CNNum n’hésite pas à invoquer la conjoncture politique internationale : « Les reculs démocratiques et la montée des populismes, observés y compris en Europe et aux Etats-Unis, rendent déraisonnables ces paris sur l’avenir ».

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Axelle Lemaire pointe « un dysfonctionnement majeur »

La démarche adoptée par le gouvernement a fait réagir jusqu’à la secrétaire d’État au numérique Axelle Lemaire, qui n’a pas mâché ses mots : « Ce décret a été pris en douce par le ministère de l’Intérieur, un dimanche de la Toussaint, en pensant que ça passerait ni vu ni connu. C’est un dysfonctionnement majeur. (…) Je vais en parler au Président, mais que croyez-vous que je pèse, face au ministre de l’Intérieur, au Garde des sceaux et au Premier ministre ? » Sans autre forme de procès, le cabinet du ministère de l’Intérieur a répondu sèchement à l’antenne de France Info cette après-midi : « On ne va pas l’appeler à chaque fois qu’on touche à un ordinateur ». Bien plus qu’un désaccord formel, ce nouveau couac dresse le portrait d’un exécutif totalement déconnecté des enjeux du numérique.

Le CNNum achève de rappeler le gouvernement à ses contradictions. Ainsi que le souligne le Conseil, cette législation par décret « s’inscrit à rebours de la démarche de consultation initiée par Axelle Lemaire sur les décrets d’application de la loi pour une République numérique », déconstruisant par là-même les efforts de transparence initiés par le gouvernement depuis l’entrée en poste de la secrétaire d’État. Interrogée par le journal L’Opinion, Axelle Lemaire n’envisage pas pour autant de démissionner : « Si je pars, j’ai 40 décrets d’application qui ne passent pas, et j’affaiblis encore plus le gouvernement… »

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TES : une arme à double tranchant

Plus qu’un potentiel instrument de répression, le fichier TES exposerait des données sensibles à des cyberattaques menées par des hackers malveillants. Alors que les infrastructures technologiques des États sont de plus en plus fragilisées face aux cybermenaces, un inventaire des données biométriques de 60 millions de citoyens constituerait en effet un butin inespéré. Un changement de paradigme qui n’épargne personne : le 7 octobre dernier, la Maison blanche a par exemple accusé la Russie d’avoir piraté les systèmes électoraux du parti démocrate. À l’heure actuelle, rien ne garantit que les systèmes d’information français pourront résister à une attaque de cet ordre.

Dans un contexte où le potentiel invasif des nouvelles technologies n’est plus à prouver, une protection juridique doit être doublée de « garanties techniques ». Entre autres solutions, le CNNum propose d’intégrer les données biométriques dans un support exclusivement détenu par la personne. Cette solution déjà promue par la CNIL garantirait théoriquement l’authenticité de la pièce d’identité tout en empêchant l’exploitation ou le détournement des données biométriques. Alors qu’il prépare déjà un rapport détaillé consacré au fichier TES, le CNNum a déjà lancé un appel à contributions pour approfondir des alternatives de ce type.

Photos : AFP, Les Echos

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