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Migrants de Calais : état d’urgence sanitaire

La fermeture du centre d’accueil pour immigrés sans-papiers à Sangatte, en 2002, n’a pas mis fin au problème dans la région. Des milliers de migrants continuent d’affluer au nord, dans l’espoir incertain de traverser la frontière pour rallier l’Angleterre. Parfois au péril de leur vie. En attendant, les migrants sont entassés à Calais, sur une ancienne zone d’enfouissement des déchets et à proximité d’une usine chimique, toxique. Entre 4 500 et 6 000 personnes vivent dans ce camp aux allures de bidonville, dans des conditions sanitaires pires que dans les pays en guerre. 

La jungle de Calais n’est pas une jungle. Les migrants ne sont pas des animaux, mais des hommes, des femmes et des enfants. Calais n’est pas un camp, mais un bidonville. Le considérer encore comme un camp, c’est nier la réalité dramatique des milliers de personnes qui y résident, ainsi que les véritables solutions qu’il faut mettre en oeuvre pour améliorer convenablement les conditions de vie, déplorables, des migrants.

Calais Entrée Calais Centre information

Quand la situation sanitaire est pire que dans les pays en guerre

Nombreuses sont les pathologies infectieuses – rhumes, bronchites, otites ou angines – et dermatologiques – gale et varicelle – liées aux conditions de vie inhumaines du bidonville. L’association Médecins du monde a dénombré, en l’espace de trois mois, près de 6127 passages dans ses structures d’urgence, dont environ 3460 consultations médicales, 1600 consultations infirmières et 600 prises en charge psychologiques et sociales.

L’insalubrité est à l’origine de la plupart des maladies répandues dans le bidonville. Ainsi, une maladie bénigne, comme le rhume, se mute sous l’effet de l’insalubrité, en infections respiratoires aiguës. Interpellé par un Pakistanais, il cherche le centre médical Jules Ferry, au coeur de la ville. Salam comme les migrants l’appellent. Dans un anglais balbutiant, il désigne ses bronches : « coughing, coughing (je tousse, je tousse) » se plaint-il. Des toux et des raclements rauques se font entendre ça et là, comme auprès d’afghans rencontrés sur l’un des axes commerciaux. L’un d’eux, qui parle le mieux anglais, répond, quand il lui est demandé ce qui est le plus difficile sur le camp, « que c’est la maladie (sick) ». 

Artère du bidonville Pakistan Shop

Malgré la solidarité associative, l’assainissement balbutie toujours

Le formidable travail associatif parvient difficilement à enrayer les dommages du froid, l’insuffisance de produits médicaux et des structures d’accueil salubres. Les associations tentent de rendre le bidonville habitable et sain, tâche considérablement épineuse.

Cet environnement infectieux du bidonville empêche les migrants de se soigner. Delphine, salariée de Médecins Sans Frontières, est à Calais depuis quelques mois. Elle confirme que cette situation est insoutenable. Alors que les détritus jonchent le sol et que les monticules de poubelles encouragent la prolifération de maladies, Delphine explique « qu’il y a quelque temps, on marchait sur un tapis d’ordures. Il y en a dix fois moins qu’avant ».

L’association, arrivée en renfort de celles déjà présentes, tente de lutter contre l’insalubrité en renforçant l’accès aux soins et à l’hygiène. « Ici, il y a 60 douches, ce qui correspond à peu près à 700 lavages par jour. Étant donné qu’il y a entre 4 500 et 6000 personnes, tout le monde ne peut pas se laver, ce qui encourage les pathologies de la peau » explique Delphine. Les fosses septiques sont engorgées car la boue empêche les camions d’effectuer les vidanges. Les toilettes sont recouvertes d’excréments et de terre séchée. Et il est impossible de se laver régulièrement ou de faire ses besoins dans un endroit propre.

La proximité est problématique. Un contaminé peut alors infecter celui qui vient de recevoir des soins. L’épidémie de gale, par exemple. « Après le vaccin, on prend les vêtements portés pour les laver et on en donne d’autres. Les migrants repartent soignés, mais il suffit d’un contact avec un quelqu’un d’une même tente qui ne s’est pas soigné pour qu’il attrape de nouveau la gale » indique Delphine.

Difficile donc, de soigner tout le monde, d’autant plus que « les migrants changent souvent de tentes, si bien qu’on ne sait pas qui est malade et qui ne l’est pas » conclut-elle. D’autres surinfections ou blessures traumatologiques sont liées aux tentatives de passage, journalières. Des mains et jambes lacérées par les barbelés, des peaux déchiquetées et de vilaines cicatrices. Des tentatives, qui se soldent parfois par la mort.

Manifestations Koweit III Manifestations Koweit II Manifestations Koweit

L’État sommé d’agir, contre son gré 

Des associations, comme Le Secours catholique et Médecins du monde, avaient déposé le 26 octobre, un référé-liberté devant le tribunal administratif de Lille. Celui-ci devait contraindre l’État à prendre des mesures urgentes sur le bidonville de Calais. L’État a fait appel, mais le juge des référés du Conseil d’État a confirmé, le 23 novembre, la condamnation de l’État français et de la commune de Calais à aménager la « jungle ».

En cause, des conditions de vie des migrants de nature à les exposer « à des traitements inhumains ou dégradants ». L’État devait notamment procéder, dans un délai de quarante-huit heures, au recensement des mineurs isolés en situation de détresse et se rapprocher du département du Pas-de-Calais en vue de leur placement. Par ailleurs, l’État devait également commencer à mettre en place, dans les huit jours, des points d’eau, des toilettes et des dispositifs de collecte des ordures supplémentaires, tout en procédant au nettoyage du site.

Si certaines de ces mesures sont en cours de réalisation (aménagement des points d’eau, toilettes supplémentaires…), la réponse étatique est largement insuffisante. Si l’État aménage des logements en dur pour l‘hiver, le nombre de places reste limité à 1 500 ; quid des 4 500 personnes qui resteront dehors pour l’hiver ? Que fait l’État, quand on sait qu’il n’y a actuellement qu’un service de 2 500 repas par jour. La puissance publique, à force de nier la réalité du bidonville de Calais, laisse la situation empirer, sans témoigner de volonté d’agir. En effet, la décision du tribunal de Lille pourrait faire jurisprudence, et contraindre l’État à aménager et assainir tous les camps où les conditions de vie sont à déplorer.

Enfant syrien

À Calais, c’est comme si les règles de santé publique ne s’appliquaient pas

Pourtant, c’est bien une ville naissante. Et comme dans une ville, il y a des rues commerçantes, mais boueuses et jonchées de détritus, qui structurent les chemins et les activités. Il y a des écoles, desquelles s’élèvent les cris heureux d’enfants à l’heure de la récréation, et qui ne réalisent pas le triste avenir dans lequel ils vont grandir. Il y a des lieux de culte, où des pratiquants prient ce jour, celui où le pied foulera les côtés anglaises tant espérées. Il y a des restaurants et des cafés, parce que, en attendant la délivrance britannique qui ne viendra peut-être jamais, il faut s’en sortir. Il y a une bibliothèque et un théâtre, pour se divertir, et oublier, l’espace d’un instant, le poids insoutenable d’une vie en morceaux et désormais misérable.

© Crédits photographiques : Julien Percheron

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