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Nona et ses filles : comment on fabrique un générique de série ?

Fiction événement de cet hiver sur Arte, Nona et ses filles a pu compter sur la remarquable composition de Philippe Jakko pour donner vie à son générique délicieusement rétro.

Nona, militante féministe de 70 ans incarnée par Miou-Miou, apprend qu’elle est enceinte. Voilà le point de départ délirant et poétique de la série de Valérie Donzelli, Nona et ses filles. Entourée d’une distribution aux petits oignons, la comédienne et réalisatrice nous offre une fiction maîtrisée en 9 épisodes qui nous amusent autant qu’ils nous bouleversent. La signature de la série est d’être si joliment hors du temps, évoquant à la fois des thèmes de société d’aujourd’hui, tout en donnant la sensation d’être dans une France des années 70 par son esthétique et sa musique.

La musique, c’est elle qui nous intéresse aujourd’hui car pour la créer, la magnifier, Valérie Donzelli a fait appel au délicat et raffiné compositeur Philippe Jakko. C’est lui qui va donner la couleur musicale à la série, et notamment créer son générique si reconnaissable. Pour un musicien qui a fait un master sur Georges Delerue (un grand compositeur de musique de films à qui l’on doit de nombreux thèmes pour la télévision), c’est un défi intéressant à relever.

Une publicité ? Voilà le point de départ de cette musique du générique. Et pas n’importe laquelle, Philippe Jakko reconnaît s’être inspiré pour l’occasion de l’une des plus connues : la pub pour DIM ! Cette référence donne un côté un vintage à la série qui, paradoxalement, parle d’un sujet on ne peut plus moderne : « Cet aspect vintage vient d’un moment où je me suis rendu sur le plateau. J’aime bien me rendre sur un plateau pour m’imprégner de l’ambiance. Et sur le coup, cela m’a beaucoup aidé car si on regarde bien, la décoratrice a fait un travail fantastique, notamment sur les papiers peints dans l’appartement de Nona. Tout l’appartement a été reconstitué comme s’il n’avait pas bougé depuis 1972, et qui symbolise bien le cocon de Nona. D’où mon choix de musique car elle ne devait pas être radicalement différente, elle devait faire partie de ce cocon. On devait sentir son histoire dans le décors, la musique, et jusque dans certains costumes comme les pulls old school de Valérie Donzelli dans la série. »

On retrouve donc cette musique du musique enjouée, heureuse, comme envoyant à une époque insouciante, et qui tranche avec la mélancolie que la série affiche très régulièrement. On y retrouve ces chœurs chantant sur des images semblant avoir été prises au caméscope comme des souvenirs de famille que l’on se regarde un dimanche après-midi pluvieux. Les notes choisies par Philippe Jakko témoignent d’un très bel hommage à une époque bénie où l’on semblait prendre le temps, y compris dans la manière dont on composait la musique pour le cinéma et la télévision, revoyant à ces illustres modèles du compositeur que sont Delerue, ou encore Sarde :

« Ce que je n’aime pas dans la musique de films, et encore plus de séries, c’est qu’on est dans une économie où il y a moins d’argent et donc on utilise beaucoup plus de machines (comme les synthés, les ordinateurs,..) pour combler ce manque. Et la conséquence c’est que nous assistons à l’arrivée d’une nouvelle génération de musiciens élevés à l’électronique. Qu’on soit bien d’accord, il y a de la très bonne musique électronique, ce n’est pas la question. Mais aujourd’hui, notamment dans les séries, elle apporte une certaine forme de facilité. Et si on n’a pas pris le temps d’analyser, d’écouter de la musique de film, on en oublie ce qui fait sa force et sa force c’est la thématique, une mélodie que l’on retienne. Cette mélodie, on peut la varier tout au long d’un film ou d’une série. Ainsi, on va en faire une version pour le début, puis on va la ralentir ou l’accélérer pour d’autres moments du film. On peut donc faire une vraie composition qui va suivre les personnages, suivre la narration, la dramaturgie. La musique de film n’a rien inventé en faisant ça , ça existe depuis longtemps avec l’opéra par exemple, mais c’est quelque chose qui marche. De fait, on joue aussi avec le spectateur de la série qui va inconsciemment reconnaître quelques notes et lui permettre de se reconnecter à une ambiance, une atmosphère. Il faut le faire de manière discrète, ne pas arriver avec ses gros sabots avec une musique qui va tout écraser. »

Ce soin, ce travail d’orfèvre même dont on parle dans la musique de film que l’on aime, était très présent dans les années 70 et semblait toucher tous les univers, allant du cinéma à la publicité. On comprend mieux pourquoi c’est là que le compositeur est allé puiser son inspiration. Comme tant d’autres, la musique DIM est dans l’inconscient collectif. Et même sans savoir ce quoi il s’agit, on sait que ça renvoie à une certaine période, une certaine époque. En s’en inspirant pour façonner sa musique de générique, Philippe Jakko convoque ses codes et renvoie le spectateur dans le temps sans même qu’il s’en rende compte : « C’était une époque où l’on avait le temps pour faire et la place pour le musicien pour faire de la musique était plus grande. Aujourd’hui, on a recours aux machines mais on a perdu le feeling que peut avoir un humain quand il compose.
Travailler sur une série comme Nona et ses filles avec Valérie Donzelli est génial car on voulait donner ce côté vintage, old school à toute la bande originale. Je suis pour cela aller chercher dans le jazz, la musique baroque et c’est cela donne quelque chose de très intéressant !
« 

Cet aspect vintage, on le retrouve enfin aussi dans l’un des plus beaux moments de la série la fin du premier épisode qui sonne comme un bel hommage aux films de Jacques Demy et aux belles partitions de Michel Legrand. Un vrai morceau de bravoure pour Miou-Miou, mais aussi pour ses « filles » qui se greffent à la chanson Mauvais Tour :
« On a commencé à répéter l’ensemble mais elle y est super bien parvenue. Elle avait beaucoup travaillé pour ça et le rendu est formidable. Dans les couplets, on a utilisé les voix parlées pour donner un aspect plus grave, plus solennel à ce qui est dit, avec ce petit motif de piano hérité de la musique baroque. Ce motif reviendra d’ailleurs tout au long de la série, comme thème de Nona. Enfin, sur les refrains, on a préféré choisir des moments chantés plus doux. On s’est beaucoup amusé à composer cette chanson et visiblement les gens ont aussi aimé car on nous en parle souvent.« 

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Rédacteur en chef du pôle séries, animateur de La loi des séries et spécialiste de la fiction française
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