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NOTIONS DE FEMINISME #1 : être féministe, kesako ?

En 2012, seules 55 % des femmes françaises se disaient féministes. N’avez-vous jamais entendu quelqu’un commencer ses phrases par « Je ne suis pas féministe, mais… » ? Le terme a acquis progressivement une sorte d’aura négative, de sorte « qu’être féministe » est souvent mal vu, et qu’il existe même des personnes prêtes à jurer qu’elles détestent « le féminisme, tout le féminisme ! » . Mais que recouvre finalement ce terme, « féminisme » ? Est-il le dénominateur commun de ces curieuses extrémistes qui manifestent seins nus pour des réformes étranges ( la suppression du mot madmoizelle ou la féminisation des noms ) ? Recouvre-t-il une réalité plus large ? Peut-on parler « d’un » féminisme ? Ou le terme est-il une simple réalité dépassée, ainsi que l’affirmait Carla Bruni en disant « Ma génération n’a pas besoin de féminisme » ?

 

 

 

 

Historique du mot

 

Peut-être, pour cerner ce qu’est vraiment le féminisme, pouvons-nous partir de l’historique de son utilisation. C’est dans la fin du XIXe siècle que le mot prend vraiment son ampleur. Les revendications sont simples : droits égaux dans le vote, dans les institutions, le travail, la liberté à disposer de soi-même et ainsi de suite. C’est donc pour ainsi dire l’idée de base du féminisme. Pourtant, il serait par trop facile de déclarer que c’est là tout ce qui fait le féminisme. Le mot en effet recouvre une multiplicité de branches.

 

Essentialisme et refus du genre

 

L’un peut-être des plus grands débats qui parcourent le féminisme est bien celui de l’essentialisme.  L’essentialisme affirme que femmes et hommes sont profondément différents, et appuie ses revendications sur cette différence très précisément. C’est par ce biais que les premières féministes ont pu réclamer des droits égaux, au nom de « l’égalité dans la différence. » Ainsi voyait-on des campagnes de propagande demander le droit de vote pour les femmes, qui le géreraient mieux que les hommes, si enclins à l’alcool et aux plaisirs faciles, les femmes ayant plus l’habitude de gérer le foyer et à faire des demandes raisonnables. Cet essentialisme n’est absolument pas nouveau. Déjà, dans L’Assemblée des femmes, d’Aristophane, dans l’Antiquité, les femmes prennent le pouvoir en jugeant que les hommes ont bien trop fait d’erreurs comme cela, et qu’elles, au tempérament bien différent, sauraient mieux diriger l’état.

Pourtant, d’autres mouvements féministes affirment totalement le contraire. Il n’y aurait pas de différence fondamentale entre homme et femme, mis à part la différence, évidemment, biologique.

Ainsi le féminisme matérialiste, qui considère que la différence de genre n’est que sociale. Catherine Vidal a par exemple montré qu’il n’y avait pas de différence entre les cerveaux des hommes et des femmes.

 

 

Le féminisme est aussi parcouru par des mouvements d’intensité différente. Ainsi le « lesbianisme radical » demande à ce qu’une femme ne couche pas avec un homme car ce serait en quelque sorte pactiser avec l’ennemi. C’est là un extrême. Et de grandes différences peuvent être observées entre par exemple les Femen et d’autres groupes plus modérés.

 

Une définition du féminisme ?

 

On peut donc voir que le féminisme se divise en une multiplicité de branches, des plus extrémistes aux plus modérées. Dans ces conditions, il semble difficile d’établir « une » définition du féminisme. Toutes ces branches ont un point commun, cependant, qui pourrait être résumé ainsi : le féminisme est la lutte contre la le système patriarcal, qui aliène hommes et femmes, en les obligeant à se conformer à un modèle impossible à atteindre.

Dans le cas des femmes, cela pourrait être résumé ainsi :

« Parce que l’idéal de la femme blanche, séduisante mais pas pute, bien mariée mais pas effacée, travaillant mais sans trop réussir, pour ne pas écraser son homme, mince mais pas névrosée par la nourriture, restant indéfiniment jeune sans se faire défigurer par les chirurgiens de l’esthétique, maman épanouie mais pas accaparée par les couches et les devoirs d’écoles, bonne maîtresse de maison mais pas bonniche traditionnelle, cultivée mais moins qu’un homme, cette femme blanche heureuse qu’on nous brandit tout le temps sous le nez, celle à laquelle on devrait faire l’effort de ressembler, à part qu’elle a l’air de beaucoup s’emmerder pour pas grand-chose, de toute façon je ne l’ai jamais croisée, nulle part. Je crois bien qu’elle n’existe pas. »

[- King Kong Théorie, Virginie Despentes.]

Tant les femmes que les hommes doivent obéir à des injonctions contradictoires voire irréconciliables imposées par la société, et, n’y parvenant évidemment pas, sont éternellement insatisfaits et malheureux. C’est pourquoi, si l’on grossit un peu le trait, le système patriarcal est extrêmement nocif, d’après le féminisme.

D’une manière peut-être plus concrète, quelle sorte de revendication recouvre le féminisme dans notre vie de tous les jours ? Qu’est-ce qui peut pousser à se déclarer « féministe » ?

Louise, la vingtaine, l’explique ainsi : « La phrase « Feminism is the radical idea that women are people. » [ndlr : Le féminisme est l’idée extrême que les femmes sont des êtres humains] de Cheris Kramarae et Paula Treichler me paraît bien résumer les choses. Je veux avoir les mêmes chances et être traitée comme tout le monde, indépendamment de mon sexe. Entendre des « les femmes sont plus maternelles et douces » ou ce genre de phrases qui se veulent être un compliment, ça n’en est pas à mes yeux : on me colle une généralité qui briderait mes possibilités à la longue. Je veux avoir le droit d’être aussi bien considérée et aussi conspuée qu’un homme pour mes choix, pas pour une donnée biologique que je n’ai pas choisie à ma naissance. Je veux qu’il y ait plus de congés paternité pour que le rôle de la sacro-sainte Mère ne soit plus mis en avant tout le temps. J’ai envie qu’on parle enfin des viols parce que ça touche une grosse part de l’Humanité. Mon féminisme, je le trouve aussi à moindre degré : par exemple, je ne veux pas qu’on me tienne la porte en partant du principe que je suis une femme donc plus faible, j’aimerais qu’on le fasse par pure politesse (la galanterie reste une discrimination positive). Ce n’est pas l’entrejambe d’une personne qui la définit, et ça vaut pour les hommes comme les femmes : le féminisme permet d’en parler et d’abolir cette distinction stupide. »

 

« Je veux avoir le droit d’être aussi bien considérée et aussi conspuée qu’un homme pour mes choix, pas pour une donnée biologique que je n’ai pas choisie à ma naissance »

On pourrait aussi dire qu’être féministe, c’est revendiquer le droit d’avoir le choix. C’est ce qui pousse également de nombreuses personnes à se déclarer féministe : on veut avoir le choix de s’habiller comme l’on veut, d’aimer qui on veut, et plus globalement d’avoir le droit de faire ce que l’on veut. Si le féminisme met en valeur le fait que la « féminité » n’est qu’une création culturelle, il ne professe pas pour autant que les femmes s’habillent tous en hommes pour autant, non plus qu’il ne rejette cette création culturelle. Le féminisme demande à ce que hommes comme femmes puissent décider de se conformer à leur genre, ou à le détourner. Il refuse donc que l’on conspue les femmes qui désirent s’habiller d’une manière hyper sexualisée (on utilise alors le terme de « slutshaming » ) ou les femmes qui désirent s’habiller de manière stricte, pudique, de la même manière. Car tout cela constitue une restriction de la liberté de ces femmes.

 

On peut donc se déclarer féministe si ces quelques éléments non-exhaustifs correspondent à nos opinions, et même si l’on n’est pas en accord avec tous les mouvements féministes existants ou avec les idées qui les parcourent (l’idée qu’il n’y a pas de différence fondamentale entre hommes et femmes, par exemple, ne fait pas l’unanimité.)

 

LE FEMINISME : inutile ?

A présent que nous sommes parvenus à une définition (qui peut, évidemment, être contestée), on peut réfléchir à la déclaration récente de Carla Bruni, révélatrice d’un état d’esprit plus général : « Ma génération n’a pas besoin de féminisme ». Cette idée sous-tendrait que toutes les luttes du féminisme (l’égalité des sexes dans le monde du travail, le droit de vote pour tous, etc.) ont déjà été effectuées, et que le terme peut maintenant tomber en déliquescence. Peut-on accorder du crédit à  cette opinion ?

Il est vrai que les droits pour ainsi dire « fondamentaux » de la femme ont été acquis par la lutte féministe : droit de vote, droit d’avoir son propre compte en banque, droit de travailler, droit à la liberté sexuelle, à l’avortement, etc. Autant de droits qui nous paraissent évidents aujourd’hui.   Sans rappeler éternellement le problème (pourtant essentiel) de la différence de salaire entre hommes et femmes d’un niveau d’études équivalent, on peut pourtant remarquer que tout n’est pas gagné. Le slutshamming, dont nous venons de parler, est ainsi une pratique admise. Ainsi, la première question posée aux femmes venant porter plainte pour viol au commissariat est encore dans 90 % des cas « Comment étiez-vous habillée ? », question scandaleuse en tant qu’elle sous-entend que la victime est pour quelque chose dans l’acte en lui-même. Plus rare, et pourtant pas tant qu’on pourrait le croire, survient également la question « En êtes-vous sûre ? ». Non seulement cette attitude est-elle violente à l’égard de la femme, mais aussi de l’homme, car elle sous-tend que celui-ci est un être incapable de se contrôler, dépendant de ses instincts, et qui a besoin qu’un certain dress-code soit respecté afin de pouvoir résister à la vue d’une femme.

De même, dans le débat public, et bien que cela puisse apparaître, à première vue, insignifiant, les femmes seront toujours plus renvoyées à leur apparence physique (quel homme a été déjà accueilli sur un plateau de télé par « Et maintenant, voici le beau/séduisant…  » à tout propos ?), et éventuellement plus critiquée pour une attitude jugée « volage ».

 

Cependant, le terme « féministe » a parfois une connotation qui dérange. Ainsi beaucoup de personnes préfèrent se dire « anti sexiste » que « féministe », à cause de tout ce que ce dernier terme suppose comme héritage culturel.

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