Tout… sauf un « Once Upon a Time au pays d’Oz » ! Emerald City, énième excursion sur le célèbre chemin de briques jaune, voit une Dorothy adulte, ensorcelée et dangereusement armée s’aventurer « over a rainbow » désormais aux couleurs du sang et de la magie noire.
C’est quoi Emerald City ? Aspirée par une tornade alors qu’elle était sur le point de renouer avec sa mère biologique, Dorothy Gale (Adria Arjona) est propulsée de son Kansas (peut-être pas si) natal vers les menaçantes contrées du Pays d’Oz, où le redouté Magicien (Vincent D’Onofrio) a proscrit toute forme de sorcellerie sous peine de déverser la colère des géants sur la population. Déterminée à rentrer chez elle, et de rencontres en rencontres, la jeune femme entreprend un voyage à travers ces contrées hostiles et découvre l’étendue de pouvoirs dont elle n’aurait jamais soupçonné l’existence…
Publiés entre 1900 et 1920, les quatorze principaux romans constituant le cœur de l’œuvre culte de L. Frank Baum sont, depuis, tombés dans le domaine public… Rien d’étonnant donc à régulièrement voir surgir de nulle part une foultitude de nouvelles adaptations, plus ou moins fidèles, de la saga via tous les médiums possibles. Films, séries, bandes dessinées, romans dérivés, ou encore comédies musicales… Le monde fantastique d’Oz et les destinées croisées de Dorothy, Toto, l’épouvantail, Glinda ou, bien entendu, de son incontournable Magicien n’en finissent pas d’alimenter l’imaginaire des conteurs éparpillés aux quatre coins du globe, tout en continuant de susciter les fascinations les plus diverses chez des lecteurs / spectateurs inlassablement enclins à être, selon les cas, émerveillés, bousculés, amusés, émus et même, pourquoi pas, effrayés. De la première version scénique produite par l’auteur en personne, en collaboration avec le compositeur Paul Tietjens et proposée à New York dès 1903, jusqu’ au succès international de l’aussi inénarrable qu’envoûtant Wicked (selon Stephen Schwartz) tout juste un siècle plus tard… en passant par l’indétrônable long-métrage mettant en vedette Judy Garland en 1939 ; sans oublier The Wiz (avec Diana Ross et Michael Jackson) en 1978 ou, plus récemment, Oz the Great and Powerful de Sam Raimi pour les studios Disney… On compte donc des dizaines, pour ne pas dire des centaines, d’allitérations toutes plus inventives les unes que les autres autour de ces aventures aux couleurs de l’arc-en-ciel ; avant d’en arriver à celles, résolument plus ternes et menaçantes, faisant aujourd’hui autant le sel que l’opium d’Emerald City.
Initialement envisagé pour un tournage dans le courant de l’année 2014 (déjà pour NBC), ce projet d’une vision assombrie de The Wizard of Oz, porté par le scénariste Matthew Arnold et le showrunner Josh Friedman, est finalement repoussé à une date de mise en production ultérieure suite à des différents créatifs entre ce dernier et les responsables de la chaîne…
Dans le même temps, sur ABC, commence justement la saison 3 de Once Upon a Time, qui accueille fort dignement non seulement la « Wicked Witch » Zelena, mais également Dorothy, Glinda, le Magicien et quelques autres créatures ailés au sein de sa distribution pour ce qui reste – encore à ce jour – l’un de ses meilleurs arcs narratifs toutes saisons confondues. Néanmoins, et en dépit d’une affiche promotionnelle flirtant allégrement avec l’ensemble des codes graphiques suggérant une approche légère d’une fantasy « à la Disney », lorsque Emerald City entame finalement sa mise en chantier l’année dernière sous la direction de son unique réalisateur (Tarsem Singh, à qui l’on doit notamment Mirror Mirror… le pastiche irrévérencieux de Blanche-Neige sorti sur les écrans en 2012), l’orientation choisie pour la série est décidément toute autre. En commençant par faire de Dorothy une jeune infirmière, abandonnée par une mère énigmatique quelques vingt années plus tôt et parachutée à Oz au volant d’une voiture de police en compagnie d’un berger-allemand (si, si… c’est bien Toto !), Matthew Arnold et David Schulner (ce dernier assurant la succession de Josh Friedman) posent d’emblée leur intention de rompre avec la vision technicolor de la fin des années 30… au point que, dès le double épisode pilote, le téléspectateur assiste, incrédule, à la mort violente de la Sorcière de l’Est d’une balle dans la tête, à un frénétique rituel funéraire sous l’emprise de puissants hallucinogènes, à la séquestration d’un(e) enfant au sexe modifié à son insu, à la crucifixion d’un guerrier amnésique qui, une fois libéré, peine à refréner ses pulsions assassines, ou encore à l’horreur d’une prison dont les pensionnaires sont figés dans la boue… De même apprend-on que c’est l’opium qui donne à la fameuse route son teint jaunâtre et qu’il n’est finalement pas si facile de l’emprunter sans y laisser une part de sa raison. Qu’on se le dise : cet « Il était une fois » là n’a donc absolument plus rien du conte de fées traditionnel et plonge le pays d’Oz à mille lieues de ses adaptations les plus connues.
Bien que disposant de moyens inévitablement restreints par rapport à ceux du cinéma, Emerald City peut s’enorgueillir d’une photographie soignée, d’effets visuels convaincants et de beaux décors naturels ou, dans le cas contraire, suffisamment construits pour ne pas sombrer dans cette impression de « tout virtuel » si récurrente, par exemple, dans Once Upon a Time. De même, le casting se révèle aussi étonnant qu’inspiré… En Magicien d’Oz, Vincent D’Onofrio (Jurassic World, Marvel’s Daredevil, Les 7 mercenaires) est une fois encore glaçant de justesse et d’intensité ; le plus souvent face à Joely Richardson (Nip/Tuck, The Tudors, Millénium : Les hommes qui n’aimaient pas les femmes), tout simplement formidable dans le rôle de Glinda… elle aussi à total contre-courant de ce que l’on pensait savoir du personnage. De son côté, et bien qu’elle n’ait pas la peau verte, la Sorcière de l’Ouest est parfaitement servie par la comédienne d’origines roumaines : Ana Ularu (The Borgias, Inferno), impeccable en junkie à tendance gothique privée à contrecœur de l’usage de sa magie. Pour leur interprétation moderne de l’épouvantail, les créateurs ont choisi la voie du guerrier amnésique et torturé sous les traits de Oliver Jackson-Cohen (Mr Selfridge, Dracula). Ses blessures lui octroyant une démarche hésitante et quelque peu dégingandée, la filiation avec le personnage originel est d’autant plus évidente que Dorothy le rencontre tandis qu’il est crucifié et entouré d’oiseaux affamés en bord de route… Fort loin d’incarner le héros au cœur tendre, Lucas (nom que lui donne Dorothy en hommage à sa ville « natale ») se montre, au contraire, d’une grande violence lorsqu’il laisse ses émotions le dominer… Enfin, Adria Arjona (Person of Interest, True Detective) s’impose rapidement en une Dorothy comme on en avait encore jamais vue… N’hésitant pas à jouer de la gâchette et à s’improviser enchanteresse dès les premiers épisodes, elle plonge dans l’aventure avec autant de charme que de fermeté en emportant, quasi instantanément, l’adhésion du spectateur de moins en moins enclin à se laisser aller à l’attrait d’un « Ils vécurent heureux… » que beaucoup jugent, à tort ou à raison, aujourd’hui de par trop démodé.
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Amateurs de dark-fantasy résolument plus adulte qu’à l’accoutumée (sans jamais sombrer dans l’extrémité d’un authentique programme horrifique pour autant), Emerald City est fait pour vous ! Réjouissez-vous : les sorcières « planent » (sans ballets), le sang se mélange à la boue, les jeunes filles se suicident de façon spectaculaire, les gentils tuent et les enfants… meurent. Mais bien au-delà de ces considérations émancipées de toute forme de nostalgie fantastico-féérique, la relecture du matériau d’origine passe par des chemins inattendus, tantôt de traverses, tantôt respectueux des romans originels… à l’image de l’arc narratif se dessinant autour de Tip / Princesse Ozma, apparu(e) pour la première fois dans The Marvelous Land of Oz en 1904. Bien sûr, les puristes de l’œuvre initiée par L. Frank Baum y trouveront très certainement toujours à redire mais il n’en demeure pas moins que la proposition ici faite a non seulement le mérite de sortir des sentiers battus en tentant de conquérir une nouvelle cible tout en satisfaisant, au passage, les adeptes du genre, mais également de faire montre d’un réel souci qualitatif et scénaristique. Comme quoi… Qu’elle soit blanche ou noire, la magie venue d’Oz opère toujours.
Emerald City – NBC