Fidèle à lui-même, le cinéaste Alex de la Iglesia embrasse l’horreur et le complot religieux dans une série spectaculaire et brutale dans 30 monedas.
C’est quoi, 30 Monedas ? En pleine nuit, le maire du village espagnol de Pedraza, Paco (Miguel Angel Silvestre) est appelé par des administrés affolés : une vache a donné naissance à un bébé humain en parfaite santé. Pour la vétérinaire Elena (Megan Montaner), il s’agit d’un canular mais la plupart des villageois pensent être témoins d’un signe annonciateur de l’apocalypse. Sous le choc, ils se tournent vers le père Manuel Vergara (Eduard Fernandez), récemment installé au village, qui comprend que tout est lié à une pièce d’argent en sa possession. Pedraza va alors être précipitée dans une succession de phénomènes paranormaux et horrifiques, Paco et Elena venant en aide au père Vergara pour contrecarrer les menaces et déjouer la vaste conspiration religieuse qui se dessine progressivement.
Inédite en France, 30 Monedas porte indéniablement la patte de son créateur Alex De la Iglesia, un cinéaste qui n’a jamais fait l’unanimité. En général, on adore ou on déteste son univers très particulier et il en ira de même ici. Cette histoire de monstres et de conspiration religieuse enchantera ses fidèles et rebutera ceux qui ne l’aiment pas ; si l’on n’est pas familier de son travail, on trouvera sans doute la série intéressante et intrigante.
Les trente pièces du titre, ce sont celles en échange desquelles Judas a trahi et livré Jésus aux autorités romaines avant de se suicider – épisode biblique illustré par un générique graphique et violent qui donne le ton. De nos jours, une mystérieuse faction religieuse est prête à tout pour rassembler ces trente deniers, dans un but que l’on ignore dans un premier temps ; l’un d’eux est entre les mains du père Vergara.
Ce curé atypique (magistralement interprété par un impressionnant Eduard Fernandez) vient de s’installer dans le village de Pedraza. Physique imposant (tout en muscles, crâne rasé et barbe noire), cet exorciste, ancien boxeur et ex-détenu s’y est réfugié pour fuir un passé trouble qui le hante. Mais c’est bien ce passé qui va la rattraper sous la forme des cauchemars, de monstres et de phénomènes surnaturels, lorsque ceux qui cherchent à faire main basse sur la fameuse pièce retrouvent sa trace.
Dans la lutte épique qui se profile, il peut compter sur l’aide de Elena (Megan Montaner) la vétérinaire du village encore traumatisée par le départ de son mari qui l’a quittée sans explication deux ans auparavant, et du maire Paco (Miguel Angel Silvestre, vu dans Sense8, est un peu moins convaincant), propriétaire d’un abattoir et homme politique manipulé par sa femme qui prend toutes les décisions importantes.
Le premier épisode fait une présentation efficace des trois personnages et de la façon dont leurs vies vont converger. C’est presque une tragédie grecque, avec trois protagonistes emportés par un destin qui prévaut sur toute autre considération et auquel ils ne peuvent pas échapper. L’impression est accentuée par le reste des villageois, sorte de masse compacte agissant comme un chœur antique en arrière-plan. Certains se distinguent toutefois, soit parce qu’ils jouent un rôle plus important comme l’ « idiot du village » Antonio (Javier Bodalo) qui en sait plus qu’il n’en dit, soit parce qu’ils ont une « gueule » et une présence inquiétante à l’instar de l’agriculteur Jésus (Paco Tous, vu dans la Casa de Papel).
Au fur et à mesure que les monstres et phénomènes surnaturels se succèdent dans ce village en apparence si tranquille, un lien se dessine entre toutes ces manifestations et c’est une conspiration mystico-religieuse ourdie au plus haut niveau du Vatican qui apparaît. Un complot lié à ces trente deniers, que cherche à s’approprier une faction d’ecclésiastiques qu’a autrefois côtoyés le père Vergara, emmenée par rien moins que le cardinal Santoro (Manolo Solo) et le terrible père Angelo (Cosimo Fusco – pour l’anecdote, il jouait Paulo, l’éphémère petit ami de Rachel de Friends)
La lutte contre ces ennemis puissants conduira le père Vergara de Rome et des couloirs du Vatican jusqu’en Syrie, avant un retour à Pedreza, épicentre des phénomènes, dans un final sauvage et spectaculaire avec d’énormes cliffhangers (même si l’épisode est un peu décevant car assez confus et avec des effets spéciaux bizarrement en-deçà de tout ce qu’on avait vu jusqu’à lors).
On l’a dit, Alex De La Iglesia reprend ses thèmes de prédilection et son style visuel emblématique, au point qu’on y retrouve un peu de ses films : Le jour de la bête (thème biblique et opposition tranchée entre Bien et Mal), Mes chers voisins (des villageois tous plus étranges les uns que les autres), Les sorcières de Zugarramurdi (scènes gore dignes d’une série Z). Mais 30 Monedas joue aussi avec les divers registres, formes et sujets que peut prendre l’horreur – le monstre lovecraftien, le revenant, le double, la sorcière, l’exorcisme, l’hystérie collective, la conspiration mystique – tout en construisant une histoire transversale dans une ambiance sublimement sombre et pesante. Horreur pure avec des créatures infernales, crainte insidieuse lorsqu’un brouillard inexplicable envahit le village, angoisse diffuse quand un miroir reflète un objet qui n’existe pas dans la pièce, une poignée de sursauts à tomber du canapé. Et en prime, une réflexion passionnante frôlant l’hérésie sur la figure de Judas.
Série hétéroclite souvent outrancière et toujours spectaculaire, avec pour héros ce Père Vergara charismatique… en diable : 30 Monedas est imprévisible et addictive. Du moins, si on adhère au travail de Alex de La Iglesia. En Espagne, la série a divisé le public qui a adoré ou détesté, l’a encensée ou éreintée sans demi-mesure. Bref, rien de surprenant pour le réalisateur basque, qui a déjà annoncé travailler sur la deuxième des trois saisons que comptera 30 Monedas. Et tandis que la série rencontre un joli succès aux États-Unis sur HBO Max, on attend une hypothétique diffusion en France.
30 Monedas (HBO Europe)
8 épisodes de 55′ environ.
Inédite en France.