Présentée lors du Festival Séries Mania, la série québécoise Bête noire se penche sur les suites d’une tuerie dans un lycée – du côté de la famille du meurtrier.
C’est quoi, Bête noire ? Dans une petite ville tranquille, Jeremy Tremblay (Zakary Auclair) ouvre le feu dans son lycée ; il fait six victimes avant de retourner l’arme contre lui. Commence alors pour ses parents un véritable cauchemar : à la douleur d’avoir perdu leur fils s’ajoutent, pour Mélanie (Isabelle Blais) et Luc (Stéphane Gagnon), l’incompréhension, l’ostracisme du reste de la population et un profond sentiment de culpabilité. Comment Jérémie, ce jeune garçon apparemment sans histoire, a-t-il pu perpétrer un tel acte ? C’est ce que devra déterminer l’enquête du sergent Boisvert (Martin Dubreuil) et de la psychiatre-coroner Éliane Sirois (Sophie Cadieux).
Columbine, Virginia Tech, l’école polytechnique de Montréal : les tueries de masse perpétrés en milieu scolaire font depuis longtemps les gros titres de l’actualité, particulièrement en Amérique du Nord. Plusieurs séries récentes se sont penchées sur ce sujet douloureux comme par exemple 13 Reasons Why ou American Horror Story. C’est aussi le thème de Bête Noire, série canadienne présentée lors du dernier festival Séries Mania. La série raconte les conséquences pour la famille Tremblay d’une de ces tueries perpétrée dans un lycée, au lendemain du drame. Et cette famille, c’est celle du tueur.
C’est un matin banal pour Mélanie, qui dirige une garderie. Jusqu’au moment où elle apprend à la télévision qu’un attentat est en train de se produire au lycée que fréquentent ses deux enfants, Jérémy et Léa. Paniquée, elle se rend sur place où elle retrouve son mari Luc. Dans le chaos général, alors que les adolescents fuient, que les parents recherchent désespérément leurs enfants et que les journalistes couvrent l’événement, les Tremblay sont informés du décès de leur fils… et apprennent aussi qu’il est l’auteur de la tuerie.
Déchirés par la douleur, les parents et la sœur de Jérémy sont plongés dans l’incompréhension la plus totale. Jérémy était en apparence comme tous les garçons de son âge : qu’est-ce qui a pu le pousser à commettre l’irréparable ? Et tandis que la population et en particulier les parents des autres victimes leur tournent unanimement le dos, ils s’interrogent sur leur part de responsabilité : ont-il été trop sévères, trop laxistes ? Un geste ou un mot malheureux a-t-il été le déclencheur ? Pourquoi n’ont-ils rien vu ? Et comment pleurer celui que tout le monde considère comme un monstre ?
Avec un sujet aussi actuel et délicat, Bête noire délivre un récit non seulement bouleversant et avec un angle original, mais aussi une réflexion forte car perturbante. D’abord, la série ne montre rien de la tuerie en elle-même, elle s’intéresse moins au crime qu’à ses répercussions. Ensuite, sans pour autant négliger les souffrances des victimes et de leurs proches, elle fixe son attention sur la famille du tueur, nous plonge dans le cauchemar de ses parents et de sa sœur à mesure qu’ils prennent conscience de l’acte de Jérémy et tentent d’en comprendre les raisons.
En six épisodes d’une cinquantaine de minutes, Bête noire suit deux axes narratifs interconnectés. D’une part, l’enquête menée par le sergent Boisvert et la psychiatre Éliane Sirois : le premier veut avant tout un coupable à arrêter tandis que la seconde cherche à découvrir les raisons qui ont pu pousser ce garçon à commettre un geste aussi terrible. Au fil des épisodes, à mesure que l’enquête avance et grâce à de nombreux flash-backs, on y voit un peu plus clair et l’on comprend sans pour autant excuser évidemment : il y a des scènes très dures, des pistes troublantes qui se dessinent, des indices qui viennent tout changer et qui dessinent peu à peu le portrait d’un adolescent en proie à de nombreuses difficultés.
D’autre part, la série explore avec finesse ce que vit la famille de Jérémy, ce deuil particulier et sans doute encore plus douloureux. Tous réagissent de façon différente : la mère est obsédée par l’idée de comprendre, son mari se sent coupable de ne pas avoir été suffisamment présent, Léa semble cacher des éléments concernant son frère, l’oncle Steve (Pierre-Luc Brillant) reste silencieux alors qu’il était le confident de Jérémy. Mais en plus, les Tremblay subissent aussi la perquisition dans leur domicile, les interrogatoires, le harcèlement des médias, la haine des familles des victimes et même de toute la communauté, les jugements constants… La scène terrible où Luc Tremblay ne parvient pas à faire enterrer son fils autrement qu’à la sauvette, ou les messages de haine reçus par Léa (« Suicide-toi », « famille de psycho ») donnent une idée de l’ampleur de la violence qui se retourne contre eux – alors qu’ils ne sont en fait rien d’autre que des victimes collatérales.
La série est portée par une galerie de comédiens tous excellents ; on citera en particulier Isabelle Blais, bouleversante dans le rôle de la mère ; Sophie Cadieux toute en retenue dans celui de la psychiatre ; l’étonnante Nahéma Ricci qui incarne un personnage particulièrement complexe et important (dont on ne dira rien pour ne pas spoiler). Et la série est aussi servie par une réalisation nerveuse et immersive qui nous amène au cœur de ce que vivent les personnages et nous emporte dans le tourbillon dévastateur qui laisse derrière lui d’autres victimes, après celles de la tuerie.
Bête noire frappe au cœur, ne laisse aucun répit à ses personnages ni à ses spectateurs. Poignante dans le récit des conséquences d’un drame tel que ceux qui se produisent trop souvent dans l’actualité, la mini série porte un regard particulier en s’intéressant principalement à la famille du tueur. Des gens pour qui on n’a aucune empathie dans la réalité, parce qu’on a tendance à les considérer comme responsables quand ils ne sont, finalement, rien d’autre que des victimes collatérales en souffrance. Pour cette raison, Bête Noire est une série forte, dont on ne sort pas tout à fait indemne.
Bête Noire
6 épisodes de 50′ environ.
Inédite en France.