La nouvelle série d’Alex Pina, El embarcadero, qui arrive sur TF1 Séries Films, mélange drama sentimental et thriller, et séduit en dépit de quelques maladresses.
C’est quoi, El embarcadero ? A Valence, Alex (Veronica Sanchez) attend le retour de son mari Óscar (Alvaro Monte) censé être en voyage d’affaires, lorsqu’elle reçoit un appel de la police : son époux a été retrouvé suicidé dans sa voiture sur une jetée de la Abulfera, à quelques kilomètres de là. Bouleversée, la jeune femme découvre en outre qu’il menait depuis des années une double vie, avec Verónica (Irene Arcos). Pour tenter de comprendre, Alex se rapproche de cette « autre femme » sans lui dévoiler son identité. Étrangement, elles se lient d’amitié. Mais leur relation pourra-t-elle résister à la vérité ? Et Alex parviendra-t-elle à percer le mystère de la mort d’Óscar, à mesure que se dévoilent ses nombreux secrets ?
Présenter une série en l’estampillant du slogan « Par les créateurs de La casa de papel » a l’avantage d’attirer l’attention du public mais présente aussi un risque en créant une grande attente. Or, El embarcadero (« La Jetée »), nouvelle série d’Álex Pina et Esther Martínez Lobato, n’a absolument rien à voir avec leur fiction précédente. A l’exception de la présence à l’écran de Álvaro Morte alias le Professeur. Pas de chance: il meurt dans le premier épisode ; heureusement, on a inventé les flashbacks.
El Embarcadero est un thriller / drama psychologique, une sorte de The Affair mâtiné de La Isla Minima qui s’attache à un triangle amoureux virtuel, lorsqu’une femme découvre à la mort de l’homme avec qui elle était marié depuis 15 ans que celui-ci menait une double vie. La trame, l’ambiance, le sujet sont donc radicalement différents ; la construction et la mécanique restent en revanche extrêmement efficaces. Impossible de lâcher l’histoire et ses deux intrigues intrinsèquement liées : le mystère entourant le suicide présumé d’Óscar et la relation qui s’établit entre ses deux épouses.
Dès le départ, on se doute bien que le suicide n’en est probablement pas un et qu’il cache quelque chose de plus trouble. En mettant ses pas dans ceux de son mari, Álex découvre peu à peu les pans entiers d’une vie qu’il lui a cachée et des secrets encombrants qui, peut-être, ont conduit à la tragédie. Dans le cadre enchanteur de l’Albufera, une menace rode dans l’ombre, et Álex ne peut se fier à personne. Accrocheur, le thriller s’affaiblit toutefois au fil des épisodes : l’investigation menée par la jeune femme et l’inspecteur Conrado (Roberto Enriquez) manque de rythme et progresse peu – jusqu’à la révélation surprenante du dernier épisode, sous forme de cliffhanger riche en possibilités pour la suite.
L’intrigue criminelle passe pourtant au second plan, par moments laissée de côté lorsque l’histoire se focalise sur ce qui s’avère être son point fort : le trio Álex / Verónica / Óscar. La série doit beaucoup à ses acteurs : une Verónica Sanchez magnifique dans le rôle d’une Álex précipitée dans la tragédie et l’incompréhension ; Irene Arcos, Verónica magnétique et lumineuse dont Óscar ne pouvait que tomber amoureux et qui sait, elle, qu’il est déjà marié ; Álvaro Monte qui saisit toute la complexité de l’énigmatique Óscar, un homme heureux avec une épouse qu’il trahit pourtant avec une autre.
La narration repose sur plusieurs strates, alterne les différents points de vue et juxtapose les lignes temporelles La focalisation change constamment, passant de Verónica à Álex puis à Óscar ; les flashbacks et va-et-vient temporels incessants exposent les raisons qui ont poussé cet homme à mener deux existences parallèles et la manière dont les deux femmes affrontent cette situation. On pénètre dans l’esprit de ces personnages, on comprend leurs sentiments et leurs motivations. En arrière-plan, toute la tension repose sur la relation entre les deux femmes, sans cesse menacée lorsque Verónica semble sur le point de découvrir qui est vraiment Álex. Implacable, la construction s’enrichit de l’opposition visuelle entre les deux zones géographiques de l’histoire: d’un côté, l’ambiance urbaine d’une Valence agitée mais élégante aux teintes froides et bleutés, et de l’autre l’atmosphère moite des paysages d’une Albufera enchanteresse avec des couleurs chaudes et dorées.
Des paysages différents, emblématiques de deux héroïnes qui le sont tout autant, dans leurs choix de vie ou leur tempérament. Mais elles se ressemblent aussi parce qu’elles sont fortes et indépendantes, prennent des décisions courageuses dans leur vie professionnelle ou sentimentale, par rapport au deuil ou à la maternité. Elles se veulent libres, maîtresses de leurs désirs et de leur destin. Cette liberté passe notamment par le sexe, omniprésent dans El embarcadero, qu’il transpire dans la sensualité sous-jacente et trouble de certaines scènes ou qu’il s’affiche ouvertement dans des séquences très hot de polyamour, liaisons extra-conjugales, masturbation, scènes de nu intégral (une séquence, dans une grange, fait vraiment monter la température…).
Bien écrite, El embarcadero souffre toutefois de quelques lourdeurs. Toute pruderie mise à part, certaines scènes de sexe semblent superfétatoires et imprégnées de fantasmes avant tout masculins ; certaines situations sont sur-expliquées par les personnages qui verbalisent ce qui se passe à l’écran (notamment la mère d’Alex, pour une raison que l’on ne dévoilera pas) ; quelques événements manquent de crédibilité. Des maladresses qui sont cependant loin d’être rédhibitoires, tant la série s’avère prenante à mesure qu’elle explore les sentiments de ses personnages, emportés dans un tourbillon émotionnel.
Rebondir après le succès colossal de La Casa de Papel n’est certainement pas chose aisée. Álex Pina relève brillamment le défi, qui plus est en changeant de registre. Touchante et sulfureuse, pleine de suspense et d’émotions, El embarcadero s’avère vite prenante et addictive en dépit de quelques faiblesses. Mais décidément, méfions-nous des plages et des stations balnéaires : dans The Affair et dans El Embarcadero, elles semblent propices à réveiller les désirs exciter, la libido…
El Embarcadero (Movistar +)
8 épisodes de 50′ environ.
Sur TF1 Séries Films dès le 5 septembre 21h