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On a vu pour vous … L’amie prodigieuse (Canal+), portrait sensible d’une amitié féminine

Parfois lente, toujours envoûtante : résolument fidèle au roman, L’amie prodigieuse retrace l’amitié complexe et ambiguë de ses deux héroïnes.

C’est quoi, L’amie prodigieuse ? Quand Lila disparaît sans laisser de trace, Elena Greco (surnommée Lenù) décide de raconter l’histoire de leur amitié. Aujourd’hui âgée d’une soixantaine d’années, cette femme se replonge alors dans son passé, se remémore son enfance et revient sur leur rencontre, leur relation, leurs parcours croisés.  En explorant l’histoire de leur amitié et de leur rivalité, elle tente ainsi de percer le mystère qui entoure Lila, personnalité insaisissable qui a bouleversé sa vie.

Best-seller mondial de l’italienne Elena Ferrante, la saga L’amie prodigieuse fait aujourd’hui l’objet d’une adaptation, coproduite par HBO et la RAI sous la stricte supervision de l’auteure. Ce récit intimiste qui explore l’amitié entre deux femmes à partir des années 1950 à Naples devrait faire l’objet de quatre saisons de huit épisodes, couvrant chacune l’un des tomes. Un projet ambitieux, à découvrir sur Canal Plus à partir du 13 Décembre.

La série débute exactement comme le roman. De nos jours, Elena reçoit un appel téléphonique du fils de Lila : sa mère a disparu sans laisser de trace. Supposant que son amie est partie volontairement, elle ne s’inquiète pas outre mesure. Toutefois, l’événement l’incite à se replonger dans leur passé commun : elle raconte alors l’histoire d’une amitié qui a débuté un demi-siècle plus tôt. Se faisant, elle va retracer toutes les grandes étapes de sa vie, à travers cette relation ambiguë qui oscille entre amitié profonde, jalousie, fascination et rivalité.

A priori, rien de commun entre Elena, alias Lenù et Rafaella, surnommée Lila. La première est timide et réservée, la seconde revêche et téméraire. Après la guerre, toutes deux grandissent dans un quartier pauvre de Naples: un labyrinthe de petites échoppes et d’immeubles décrépis contrôlé par l’inquiétant Don Achille, et marqué par la violence physique, sociale et morale, en particulier envers les femmes. On les suit à travers leur enfance, leur adolescence , leurs premiers émois amoureux, leur vie familiale, les brutalités quotidienne et la misogynie ambiante. Dans cet environnement oppressant, l’éducation semble le seul moyen d’échapper à la misère et au sort auquel elles semblent condamnées ; mais il est alors rare, surtout pour une fille, de poursuivre des études. De fait, une seule d’entre elle ira au collège, et leurs existences, bouleversées, vont dès lors suivre des lignes parallèles.

Lenù et Lila enfants…


Le lien entre les deux héroïnes est la pierre angulaire de tout le récit, qui adopte le point de vue d’une Lenù adulte, narratrice omnisciente de son propre passé. Grâce au recul que le temps autorise, elle a conscience que, avec son refus de se conformer à la norme et la rébellion chevillée au corps, la petite Lila lui a servi à la fois de miroir dans lequel se refléter et de contrepoint face auquel se construire. Elle l’a admirée, idolâtrée, enviée ; elle tente aujourd’hui de percer le mystère de ce qu’elle représente. Dans toutes les scènes entre les deux enfants puis les deux adolescentes, on sent le respect, la curiosité, l’amitié – mais aussi la jalousie et l’envie. Entre moments de joie et de détresse, les épisodes engendrent une sorte de tension douce-amère, toujours subordonnée à ce lien complexe.

Si les actrices incarnant les personnages à l’adolescence sont remarquables, on retiendra surtout l’exceptionnelle performance de Elisa Del Genio et Ludovica Nasti dans les rôles de Lenù et Lila enfants. Choisies parmi 9000 jeunes actrices, les deux petites filles portent l’histoire sur leurs frêles épaules, semblent fusionner avec leurs personnages pour faire éclater à l’écran l’alchimie du duo. Sans aucune expérience préalable, les deux interprètes sont tellement magnétiques qu’on se laisse emporter et surprendre par l’histoire – même si on a lu le roman.

… puis adolescentes

Justement, l’adaptation d’un roman suscite toujours la même interrogation : dans quelle mesure est-elle fidèle au texte ? Ici, on est face à une transposition quasi-littérale. Le récit en est parfois quelque peu alourdi, par exemple dans un premier épisode difficile à appréhender car il adopte la même austérité, la même lenteur volontaire et le même souci du détail que le roman. En outre, la voix off reprenant la narration écrite à la première personne donne un cadre à l’histoire, mais s’étend sur des réflexions introspectives inutiles car les pensées et sentiments sont déjà parfaitement traduits par le regard éloquent des actrices.

Pourtant, dès qu’on parvient à entrer dans l’histoire, on est saisi par l’incroyable puissance de l’ensemble. Avec sa réalisation extrêmement réaliste,  Saverio Constanzo (La solitude des nombres premiers) parvient à instaurer une ambiance forte, intimiste et immersive. D’abord, parce qu’il n’édulcore rien de la violence sous toutes ses formes qui entoure les jeunes filles dans ce quartier napolitain de l’après-guerre, et il recrée ainsi tout un contexte socio-historique. Ensuite parce que, tournée en italien dans le quartier populaire de Caserta près de Naples, la série contient de nombreux dialogues en dialecte local, ce qui lui donne une indéniable aura d’authenticité. Enfin et surtout, parce que le réalisateur parvient à dessiner avec délicatesse la relation entre Lila et Lenù en adoptant magnifiquement le regard confus de ces deux enfants puis celui, perplexe ou rebelle de ces deux adolescentes, sur le monde des adultes. Et c’est sans doute ce qui rend l’ensemble si touchant et si profondément émouvant.

Si au départ, on peut émettre quelques réserves sur la quasi-maniaquerie avec laquelle a été adaptée le roman éponyme, L’amie prodigieuse se révèle vite addictive – pour peu qu’on accepte sa lenteur initiale. Avec une réalisation superbe, des jeunes actrices exceptionnelles et le regard si touchant de ses personnages qu’elle traduit superbement, cette série a quelque chose de… prodigieux. A l’image de ce qu’elle raconte : la relation puissante et complexe d’amour-haine entre ces deux personnages, qui s’en nourrissent pour grandir.


L’amie prodigieuse (HBO / Rai)
8 épisodes de 60′ environ.
Diffusion sur Canal Plus à partir du 13 Décembre.

About author

Traductrice et chroniqueuse, fille spirituelle de Tony Soprano et de Gemma Teller, Fanny Lombard Allegra a développé une addiction quasi-pathologique aux séries. Maîtrisant le maniement du glaive (grâce à Rome), capable de diagnostiquer un lupus (merci Dr House) et de combattre toutes les créatures surnaturelles (vive les frères Winchester), elle n'a toujours rien compris à la fin de Lost et souffre d'un syndrome de stress post-Breaking Bad
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