
Très attendue, la deuxième saison de Severance nous plonge encore davantage dans son monde étrangement inquiétant.
C’est quoi, Severance (Saison 2) ? Cinq mois ont passé depuis que Mark (Adam Scott), Helly (Britt Lower), Irving (John Turturro) et Dylan (Zach Cherry) ont brièvement court-circuité le dispositif de Severance, Mark est de retour chez Lumon, où Mr Milchick (Travell Tillman) lui présente ses nouveaux collègues. Mais Mark parvient à faire pression sur la direction pour reformer son équipe, qui se remet docilement au travail… Sauf que tout a changé : nos héros sont déterminés à poursuivre leurs recherches pour comprendre ce qui se passe au sein de Lumon. Or, si l’entreprise feint de leur accorder plus de liberté et de faire des concessions, elle a en réalité accentué sa surveillance.
Trois ans se sont écoulés depuis la fin de la première saison de Severance, qui nous avait laissés bouche bée avec son quadruple cliffhanger.. Trois ans qu’on attendait que les bureaux de Lumon Industries rouvrent leurs portes sur Apple TV, pour retrouver une des séries les plus étranges, les plus stimulantes et les plus brillantes de ces dernières années. La deuxième saison de 10 épisodes (nous avons pu voir les six premiers) est enfin là.
Une deuxième saison qui repousse les limites
Rappelons le concept de Severance. Mark manage une petite équipe chez Lumon Industries, une entreprise dont certains employés ont volontairement subi une intervention chirurgicale :l’implantation dans leur cerveau d’une puce qui cloisonne hermétiquement souvenirs de la vie professionnelle et de la vie privée. L’arrivée de Helly, une nouvelle employée, et une série d’événements bouleversent la routine de Mark et ses collègues et les poussent à s’interroger sur leur identité en dehors de l’entreprise. Dans les dernières minutes, ils élaborent un plan pour contourner momentanément la « scission » et ont un bref aperçu de leur vie à l’extérieur. On apprend que Helly est en réalité la fille du PDG de Lumon, et Mark découvre que son épouse n’est apparemment pas morte comme il le pensait…

Si la première saison avait posé les bases d’un univers étrange, perturbant et fascinant, si elle avait réussi un mélange extravagant de dystopie, satire sociale, comédie, drama, thriller et romance, si elle avait introduit des mystères tous plus abscons les uns que les autres, cette deuxième saison pousse tous les curseurs plus loin. Tout y est plus bizarre, plus surprenant, plus profond… et, avouons-le, plus incompréhensible par moments.
Dès les premières minutes, on replonge dans cette atmosphère unique : les décors minimalistes cliniques de Lumon Industries, l’absence de repère temporel où tout est volontairement indéfini, l’apparente inutilité des tâches que Mark et ses collègue accomplissent sans en comprendre le but, une palette de couleurs froides qui renforce le sentiment d’aliénation, la fausse bonhomie des dirigeants, une mise en scène atypique. Tout concourt à immerger le spectateur, dans un mélange à la fois hypnotique et malaisant.
Côté mystères et étrangetés, on retrouve de nombreux éléments parmi les plus insolites (notamment les fameuses chèvres !) qui sont repris et même développés ; la série montre aussi de nouvelles bizarreries et curiosités – dont un stage en extérieur absolument surréaliste – et divers aspects d’une Lumon Industries qui ressemble de plus en plus à une secte.
Innies ou outies, telle est la question
Severance creuse le conflit de plus en plus prégnant entre les Innies (les identités au travail) et les Outies (les identités personnelles). Il ne s’agit pas seulement du trouble profond ressenti par Mark et ses amis, maintenant qu’ils ont eu accès aux deux pans de leur existence ; nous découvrons aussi qu’ils ont des personnalités différentes, des secrets et des motivations cachées. Cette dichotomie, parfaitement exploitée, permet d’aller plus loin dans l’exploration des conséquences psychologiques et morales de la procédure de scission à travers un récit encore plus riche en intrigues et en questions existentielles.

Portée par des acteurs extraordinaires (en particulier Adam Scott et John Turturro, même si tous sont brillants) et un écriture incisive, Severance prend toujours appui sur cette idée de séparation totale entre vie au travail et en dehors, renvoyant inévitablement au débat sur « l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée » . À travers ses rebondissements, ses mystères et ses personnages de plus en plus conscients, la série explore le sujet et l’étend aux questions d’identité et de liberté. Suis-je une personne différente selon mon environnement ou en fonction du contexte ? Le travail est-il une forme d’accomplissement ou d’aliénation ? Les entreprises ont-elles des responsabilités morales envers leurs employés ? Que signifie la notion d’identité dans un monde fragmenté ? Autant de questions étourdissantes qui surgissent au fil de cette deuxième saison, sans jamais en amoindrir l’humour ou le suspense.
Entre mystères et frustration.
Sans nul doute, certains reprocheront à Severance de trop jouer sur la confusion, l’incertitude et la frustration. Certains mystères sont élucidés ou du moins clarifiés, des personnages révèlent un autre visage… mais la série livre ces explications au compte-goutte, les réponses posent en général de nouvelles questions. Le tout dans un récit faussement calme et de plus en plus immersif. Au point qu’on en arrive au même point que Mark : on ne sait plus si on est chez Lumon, à l’extérieur, avec un outie ou un innie… Or, c’est toute l’essence de Severance. Alors qu’on a parfois l’impression qu’il ne se passe rien, on reste rivé à l’écran dans une tension permanente parce que des scènes apparemment insignifiantes sont en fait fondamentales a posteriori. Et parce que, dans Severance, tout peut arriver. Absolument tout.
Severance est aussi brillante et stimulante que déstabilisante et frustrante. Avec ces nouveaux épisodes, elle étend l’acuité et la profondeur du récit, en entremêlant toujours mystères, science-fiction, dystopie, thriller, satire sociale et introspection psychologique. Si on accepte de se laisser entraîner dans la confusion et l’accumulation des énigmes, voilà décidément une grande série.