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On débriefe pour vous … After Life, le drôle de deuil de Ricky Gervais

Connu pour son humour provocateur, Ricky Gervais, dans After Life, déguise en comédie cynique un drama délicat  et une jolie leçon de vie.

C’est quoi, After Life ? Tony (Ricky Gervais) était heureux, mais la mort de sa femme Lisa (Kerry Godliman), décédée d’un cancer, l’a brisé. Dépressif et suicidaire, il ne vit plus que pour s’occuper de son chien. Journaliste dans un petit quotidien local que personne ne lit, il consulte un psy totalement indifférent, rend visite à son père (David Bradley) atteint de la maladie d’Alzheimer qui se souvient à peine de lui, et regarde en boucles les vidéos que sa défunte épouse a enregistrées à son intention. Aigri et malheureux, Tony considère qu’il n’a plus rien à perdre, fait tout ce qui lui passe par la tête et balance leurs quatre vérités à tous ceux qui l’entourent, sans censure et sans se soucier des conséquences.

Le Britannique Ricky Gervais est une personnalité clivante. On le connaît notamment pour sa série The Office (la version originale, à laquelle l’adaptation américaine avec Steve Carell doit tout) , mais aussi pour son humour provocateur et les controverses qu’il déclenche régulièrement à l’écran, sur son compte Twitter ou dans ses spectacles au demeurant brillants (voir Humanity, disponible sur Netflix). La série After Life, dont il est l’auteur, le réalisateur et l’interprète principal, ne manque pas de cynisme ni de provocation. Pleine de l’humour noir, du sarcasme et du désenchantement dans lesquels on reconnaît immédiatement la patte de l’artiste, elle se révèle aussi étonnamment mélancolique et délicate. C’est une comédie dramatique, plus dramatique que comique, qui explore en six petits épisodes de trente minutes la douleur du deuil et la façon de la gérer.

Gervais y interprète Tony, un homme qui a récemment perdu son épouse Lisa et qui est incapable de vivre sans elle. Le rôle est taillé sur mesure : Gervais est formidable dans ce personnage cynique et radical, qui traduit sa douleur par la misanthropie et la colère. Tony est méchant, parce qu’il est malheureux ; l’un n’excuse pas l’autre. Avec une honnêteté brutale et choquante, il vomit ses remarques acerbes et désenchantées sur son entourage et assume complètement . Il n’a plus rien à perdre et se fout des conséquences. N’ayons pas peur des mots : c’est un connard. Un type cassant, péremptoire et agressif, dont l’humour noir et acide  repousse les limites de la bienséance et du politiquement correct. Et pourtant, il est extrêmement touchant.

Tony et Lisa, au temps du bonheur

A travers les messages vidéo que Lisa lui a laissés et de brefs moments du passé, on découvre le Tony d’avant le deuil : un homme blagueur, attentionné, épanoui avec son épouse. Et ce double visage fait de lui un personnage complexe. Il est odieux et même ignoble (la conclusion de l’arc narratif autour du personnage de Julian est extrêmement dérangeante), mais aussi drôle et terriblement émouvant. Il nous met mal à l’aise mais on l’aime, parce qu’on comprend sa détresse sans excuser son comportement. Et on se dit que seul Ricky Gervais pouvait rendre aussi attachant un personnage aussi odieux… ou aussi odieux un personnage aussi attachant. Toutes ses contradictions, la manière dont il tient à distance sa douleur par ce mélange de colère et de nihilisme donnent toute son authenticité au drame. C’est là que After life frappe fort, et là où ça fait mal.

Tout l’humour de la série s’appuie sur la perspective sinistre que Tony a du monde, et la manière décomplexée dont il se déchaîne contre tous ceux qu’il croise – collègues, famille, amis, gamins, même le facteur qui veut lui donner son courrier en mains propres. Relations familiales, réseaux sociaux, œuvres de charité, religion, psychologie, mort : rien ni personne n’est épargné. C’est drôle et pertinent – dans le plus pur style auquel Ricky Gervais nous a habitués. Mais  derrière le vernis cynique et désespéré, l’essentiel dans After Life est ailleurs.

Le chien, le meilleur ami de l’homme. Peut-être le seul, dans le cas de Tony

Contre toute attente, la série a un message, qui se dessine surtout dans le dernier épisode. Au fur et à mesure, tous ceux que côtoie Tony vont changer son regard cynique et désenchanté. En arrière-plan, chacun des personnages secondaires brille par de petites interventions, des scènes drôles et émouvantes qui vont permettre à Tony de se ré-humaniser. La jeune journaliste Sandy, son collègue ou son beau-frère (Tom Basden), la prostituée Daphne (Roisin Conaty) avec qui il entretient une relation différente de ce que vous imaginez, Anne (Penelope Wilton) qui a perdu son mari,  l’infirmière de son père… A leur contact, Tony appréhende la vie différemment, dans une perspective que n’aurait pas reniée le philosophe Emil Cioran : c’est une tragédie qui n’a pas de sens, mais qui vaut quand même la peine d’être vécue.

Dans une récente interview donnée au magazine Vanity Fair, Gervais expliquait : « Au bout du compte, je pense que la comédie montre que nous sommes tous des idiots et qu’il n’y a rien à faire pour y remédier. Vous gâchez votre vie si vous la passez à vous inquiéter ou vous sentir offensé, parce que vous serez bientôt mort. Essayez d’être heureux. C’est la seule chose qui compte. »  Et c’est sans doute ce qu’il essaie de montrer dans After Life.  L’épiphanie est un peu trop fulgurante pour être totalement crédible, et le message peut sembler naïf. Qu’importe : plein d’espoir et de sensibilité, on le devine authentique et sincère.

After Life ne peut pas laisser indifférent. Avec son héros à la fois dérangeant et touchant, c’est une comédie par moments hilarante pour qui adhère à son cynisme provocateur, et c’est aussi un drama troublant et difficile, plein de séquences d’une délicate intimité. On parle de la mort, du deuil, de la dépression et du suicide, mais on rit et la conclusion est inattendue. Sans doute naïve et peu subtile, mais d’une beauté et d’une simplicité émouvante : la tentation de la vie doit toujours l’emporter sur celle de la mort.


After Life (Netflix)
6 épisodes de 30′ environ.
Disponible depuis le 3 Mars.

About author

Traductrice et chroniqueuse, fille spirituelle de Tony Soprano et de Gemma Teller, Fanny Lombard Allegra a développé une addiction quasi-pathologique aux séries. Maîtrisant le maniement du glaive (grâce à Rome), capable de diagnostiquer un lupus (merci Dr House) et de combattre toutes les créatures surnaturelles (vive les frères Winchester), elle n'a toujours rien compris à la fin de Lost et souffre d'un syndrome de stress post-Breaking Bad
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