Billions montre une nouvelle fois son goût pour les renversements de situation improbables, dans une saison rythmée où le drama le dispute à la farce satirique.
C’est quoi, Billions (saison 4) ? Limogé de son poste de procureur, Chuck Rhoades (Paul Giamatti) a perdu beaucoup de son influence ; toujours sous la coupe de son père (Jeffrey DeMunn), il est en outre dans la ligne de mire de son remplaçant Jock Jeffcoat (Clancy Brown). Son ennemi le financier Bobby Axelrod (Damian Lewis) est empêtré dans une alliance douteuse avec le magnat russe Grigor Andolov (John Malkovich) tandis que son protégé, Taylor Mason (Asia Kate Dillon), l’a quitté pour créer son propre fond d’investissement. Dos au mur, Chuck et Bobby prennent alors une décision inattendue : poussés par Wendy (Maggie Siff), épouse de Chuck et coach chez Axe Capital, ils vont s’allier et s’aider à mener leur vengeance respective.
Série créée par David Levien et Brian Koppelman, Billions a consacré trois saisons à la lutte acharnée que se livraient ses deux personnages principaux : le procureur Chuck Rhoades ne reculait devant aucune manœuvre ni aucun coup bas pour faire tomber le magnat de la finance aux pratiques douteuses, Bobby Axelrod. Pour la plus grande joie des spectateurs, l’affrontement de ces deux héros et leur haine réciproque servaient de moteur et l’intrigue découlait toute entière de cette dynamique. Or, voilà que la saison 4 de Billions rebat les cartes et renverse les alliances : tous deux acculés par des menaces, Rhoades et Axelrod décident de s’allier pour détruire leurs ennemis respectifs. Pour Chuck, il s’agit du procureur Jock Jeffcoat et son ex-adjoint Connerty (Toby Leonard Moore) qui s’est retourné contre lui ; la cible de Bobby, c’est Taylor Mason qui l’a trahi en siphonnant les clients de Axe Capital pour monter son propre fond d’investissement.
Sur le papier, le revirement est improbable, va à l’encontre de tout ce que la série a construit précédemment… mais il est séduisant. On est donc aussi enthousiaste que perplexe, car comment croire une seconde à cette alliance, entre deux hommes qui se haïssent au point d’avoir passé une trentaine d’épisodes à essayer de se détruire l’un l’autre, quitte à y passer aussi ? Et pourtant, le changement de paradigme fonctionne parfaitement ; mieux, il fait sens. Parce que leurs intérêts, cette fois, sont convergents ; parce qu’on sait depuis le début qu’ils sont plus semblables que différents ; parce qu’on devine, au fond, de quoi ils sont capables.
La double vengeance constitue l’axe principal de cette saison – ou plutôt les axes, puisque les deux personnages poursuivent leur objectif personnel en parallèle. En arrière-plan se mettent en place d’autres arcs narratifs qui rejoindront en leur temps l’intrigue centrale. Wendy remet en question son mariage, notamment lorsque les pratiques SM de son couple sont révélées au public ; en tant que psychiatre, elle pourrait perdre son droit d’exercer. A la tête de sa propre entreprise, Taylor est sollicité par son père, qui compte sur iel pour financer un projet risqué. Séparé de sa femme, Bobby noue une relation avec Rebecca, une femme d’affaires ambitieuse.
On retrouve dans Billions les mêmes caractéristiques que précédemment. D’abord, l’atmosphère très particulière de la haute finance new-yorkaise, avec son jargon économique et ses montages boursiers abscons pour un non-initié qui, toutefois, n’empêchent aucunement de se laisser porter par l’histoire. Ensuite, une bande-son époustouflante avec cette saison Bob Dylan, The Who ou Bruce Sprinsteen. Enfin, quatre protagonistes principaux marquants, magnifiquement incarnés par Paul Giamatti, Damian Lewis, Maggie Siff et Asia Kate Dillon.
Billions confirme aussi qu’elle n’est pas tout à fait ce qu’elle semble être. Oui, c’est un drama autour de la rivalité et l’ambition de deux hommes avides de pouvoir ; mais dans son outrance et son histrionisme, la série réaffirme aussi une dimension surprenante de comédie, de farce satirique. L’histoire, menée tambour battant, est pleine d’excentricités et de situations ahurissantes (Chuck tente désespérément d’offrir une autorisation de stationnement gratuit dont personne ne veut, Dollar Bill passe tout un épisode à… chercher des poulets !) ; les dialogues, lancés à un débit de mitraillette, sont souvent aussi édifiants qu’improbables (on ne saurait trop vous conseiller la VOST) ; interprétés par des acteurs irrésistibles, certains personnages secondaires sont hilarants comme par exemple Spyros (Stephen Kunken), Wags (David Costabile) ou Dollar Bill (Kelly AuCoin). Avec un autre ton, dans un autre contexte et avec d’autres acteurs, on tomberait dans le ridicule ; Billions parvient à préserver un équilibre délicat entre drama, humour, extravagance et suspense.
On ne s’est guère étendu sur les rebondissements, pourtant nombreux, qui jalonnent les épisodes : en révéler la teneur gâcherait immanquablement une bonne partie du plaisir, parce tout repose sur une construction aussi machiavélique que brillante. Sans doute n’est-il pas inutile de signaler que Levien et Koppelman ont signé ensemble le scénario de Ocean’s 13 : cette quatrième saison est justement digne d’un film d’arnaque. Dès la première scène, c’est un piège millimétré qui se met en place, à l’insu du spectateur et de la plupart des personnages. Tous pensent avoir un coup d’avance ; l’un d’entre eux les manipule et les amène exactement où il veut. Billions nous avait déjà fait le coup en deuxième saison ; pourtant, une fois encore, on ne voit rien venir et on se laisse balader par celui qui mène le jeu. Un jeu auquel l’un des personnages est décidément le plus fort. Reste à savoir lequel.
On le découvrira dans le dernier épisode, qui clôt un chapitre… et en ouvre un autre, avec en ligne de mire une cinquième saison probablement encore plus folle. Cette fois, il n’y a plus d’alliance qui tienne. Bobby, Chuck, Wendy, Taylor ont tous un but caché et jouent tous double (voire triple jeu). Et Billions, série passionnante et débridée, a bien montré que ces quatre-là étaient capables de tout pour atteindre leur objectif. Surtout du pire – et c’est justement là que la série est la meilleure.