Dans sa deuxième saison, la série biographique Genius peint un portrait complexe et intriguant du grand Pablo Picasso.
C’est quoi, Genius – Picasso ? C’est en 1881 à Malaga que naît Pablo, premier enfant du couple Ruiz-Picasso. Encouragé par un père professeur d’art, le petit garçon montre un talent précoce pour la peinture et le dessin. Suivant une formation académique, Pablo rejette toutefois très vite la peinture traditionnelle pour chercher son propre style. Toute sa vie, il construira ainsi une œuvre unique et révolutionnaire, nourrie de ses expériences personnelles et des événements historiques de son époque ; c’est tout l’art du XXème siècle qu’il va bouleverser en donnant naissance à des mouvements tels que la cubisme ou le surréalisme.
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Après Albert Einstein et avant Aretha Franklin, Genius se penche sur une autre figure emblématique : celle de Pablo Picasso (interprété par Alex Rich dans sa jeunesse, puis par Antonio Banderas). Désormais disponible sur Disney+, la série anthologique de National Geographic lui consacre sa deuxième saison et raconte en dix épisodes différents moments de sa vie tout en s’interrogeant sur ce qui a fait de lui le génie que l’on connaît. Le résultat est contrasté, notamment en raison de la structure adoptée par le récit : originale et stimulante, elle est aussi confuse et déroutante.
En effet, le récit biographique adopte une forme curieuse : aucun ancrage strictement chronologique dans les épisodes, mais un enchaînement de flash-back et flash forward, de récit au présent et de retours en arrière. La succession effrénée des sauts temporels (toutes les deux ou trois minutes) n’est pas évidente à suivre, au point qu’il est même parfois difficile de resituer telle ou telle séquence dans la vie du peintre. Pour rentrer dans le récit, il faut finalement renoncer à une biographie linéaire et l’appréhender comme une biographie thématique. Les anecdotes et épisodes relatés prennent alors un sens parce qu’ils se répondent d’une époque à l’autre, offrent une perspective globale sur l’artiste et son œuvre.
En ce qui concerne la vie de Picasso elle-même, tout y est ou presque. D’abord son enfance et sa jeunesse, son éducation au sein d’une famille catholique, l’affirmation précoce de ses talents artistiques et l’influence d’un père professeur de peinture qu’il ne tarde pas à surpasser. Puis ses études, sa maîtrise des conventions académiques et d’une peinture classique dont il souhaite très vite s’affranchir. Sa vie de bohème à Paris aussi, dans les années 1900, marquée par son amitié avec le peintre maudit Carlos Casagemas (Robert Sheehan), ses relations avec Apollinaire (Seth Gabel), Jean Cocteau, Gertrude Stein ou Georges Braque, sa rivalité avec Henri Matisse. Évidemment, ses multiples liaisons amoureuses avec notamment Dora Maar ( Samantha Colley), Marie Thérèse Walter (Poppy Delevingne) ou Françoise Gilot (lumineuse Clémence Poésy). Et puis l’époque troublée des deux guerres mondiales ou la montée du Franquisme en Espagne. Enfin son installation dans le Sud de la France où il continue de briser les conventions pour construire une œuvre atypique jusqu’à sa mort, en 1973 à Mougins.
Pour raconter Picasso, le récit prend comme fil rouge ses tableaux les plus célèbres, comme Les Demoiselles d’Avignon ou Guernica. Étrangement, la série manque de souffle et de flamboyance au moment d’illustrer sa peinture ; elle est en tous cas moins inventive que dans la saison précédente, où elle explicitait superbement les concepts pourtant ardus théorisés par Einstein. Reste que c’est une manière pour Genius de présenter l’œuvre de son héros, mais aussi de montrer comment chaque tableau représente pour lui un moyen d’expression face aux situations qu’il traverse : il peint à cause du traumatisme de la mort précoce de sa petite sœur ou en réaction à une déception amoureuse, il peint pour affirmer un sentiment de révolte face aux totalitarismes ou sa consternation face à la barbarie du monde.
Il y a toujours une certaine curiosité à voir un acteur renommé se glisser dans la peau d’une personnalité emblématique, et il faut donc parler d’Antonio Banderas. Né à Malaga comme Picasso, il s’est largement investi dans un projet qui lui tenait de toute évidence à cœur et sa ferveur se ressent à l’écran. Il surjoue parfois la fièvre créatrice du peintre et caricature l’artiste exalté ; mais dans les scènes où Picasso reste pensif face à la toile vierge, l’acteur donne à voir toute la complexité de cette personnalité hors-norme et finalement insaisissable. Le silence de l’acteur induit alors une question fascinante et insoluble : que se passe-t-il dans la tête d’un génie ?
Ce portrait de Picasso est incomplet, parfois aseptisé (Genius insiste sur son combat contre le franquisme mais tait ses prises de position en faveur du communisme, ou transforme sa misogynie en sensualité libertine), mais aussi complexe et intriguant. Se dessine progressivement une personnalité égocentrique et rebelle, un génie inné en constante évolution. Il y a un abîme entre le jeune Picasso amoureux et celui plus âgé qui refuse l’engagement au prétexte de la liberté de l’artiste, entre le Picasso insouciant des premières années parisiennes et celui qui peint Guernica, poussé par une prise de conscience politique. Avec toujours une constante : la primauté de l’art sur tout le reste. Lorsque le galeriste Paul Rosenberg l’exhorte à fuir les nazis en disant « Pablo, il y a des choses plus importantes que l’art! », Picasso lui répond : « Non. Pas pour moi. ».
Difficile à définir, la notion de génie est encore plus complexe à illustrer. Genius : Picasso s’y emploie en se détachant des conventions du genre biographique pour adopter une forme plus complexe, parfois maladroite et déconcertante. Pourtant, à travers la vie du peintre et son œuvre révolutionnaire, marquée par les bouleversements historiques du XXe siècle, on finit par entrevoir une certaine image de cet artiste majeur. Un portrait fragmentaire et décomposé, dont le spectateur doit ré-assembler les éléments pour obtenir une vue d’ensemble. Un portrait cubiste, en quelque sorte…
Genius – Picasso
10 épisodes de 45′ environ. Disponible sur Disney+