Ne vous fiez pas à la première impression : plus subtile et plus sensible qu’elle n’en a l’air, Sex Education va au-delà de ce que son titre laisse supposer.
C’est quoi, Sex Education ? A 16 ans, Otis (Asa Butterfield) vit avec sa mère Jean (Gillian Anderson), une sexologue divorcée qui enchaîne les partenaires d’un soir et lui parle de sexe sans tabou. Timide, sans expérience et complexé, le jeune homme semble pourtant peu intéressé par le sujet. Contrairement à ses camarades qui, eux, sont obsédés… Lors d’un incident impliquant du Viagra et une érection récalcitrante, Otis met à profit les connaissances acquises grâce à sa mère pour venir en aide à un élève. Maeve (Emma Mackey), marginale rebelle du lycée, lui propose alors d’organiser des consultations clandestines au sein de l’établissement, pour aider les élèves à régler leurs problèmes d’ordre sexuel moyennant finances.
C’est la comédie dont on parle en ce moment : Sex Education, série britannique en huit épisodes créée par Laurie Nunn. Avec un titre explicite, un pitch digne d’un film de Judd Apatow et une première scène très crue, les choses sont claires : let’s talk about sex, baby. Pourtant, gardons-nous de tout jugement hâtif : comédie potache, Sex Education se teinte progressivement de drama pour aboutir à une série chorale. Drôle et insouciante, elle dévoile alors une profondeur et une délicatesse inattendues.
Au départ, Sex Education semble s’appuyer sur une galerie de personnages extrêmement caricaturaux. Or, au fil des épisodes, chacun d’eux (tous remarquablement interprétés) bénéficie de l’espace nécessaire pour s’éloigner du stéréotype, grandir en profondeur et en complexité. Otis n’est pas un loser puceau, c’est un garçon sensible et plein de névroses; derrière ses airs de punkette rebelle, Maeve cache une intelligence brillante mais réprime ses sentiments ; Aimee (Aimee Lou Wood), la fille facile, n’est pas aussi libérée qu’on croit ; Adam (Connor Swindells), la grosse brute, souffre de la relation avec son proviseur de père et connaît une évolution surprenante ; plus conventionnelle, la magnifique remise en question d’Eric (Ncuti Gatwa) déborde du cliché du meilleur ami gay.
L’ambiance est charmante quoi que curieuse : malgré son atmosphère eighties (tenues vintage, musique de The Smiths ou Joy division) et son lycée qu’on croirait américain, Sex Education se déroule au Pays de Galles, à notre époque, et avec un ton et un détachement très british. Chaque épisode s’articule autour de deux axes : les « patients » d’Otis, avec un cas spécifique qui permet d’aborder des sujets tels que la masturbation féminine ou masculine, l’homosexualité, le harcèlement en ligne ; et les relations sentimentales et familiales des protagonistes. Les deux récits illustrent finalement le même engrenage de doutes, de peur et d’insécurité, avec ces adolescents qui doivent affronter divers conflits personnels, sexuels et émotionnels.
Soyons clairs : du sexe, il y en a. Beaucoup, avec une grande variété de positions et de configurations, dans des scènes osées et poussées à l’extrême, qui n’évitent le trash que grâce à un certain humour. Mais le sexe n’est que la partie visible de l’iceberg : ce que Otis devine, c’est qu’un problème sexuel n’est bien souvent que la manifestation physique d’une détresse émotionnelle. Dès lors, l’éducation sexuelle se double d’une éducation sentimentale presque flaubertienne. La sexualité devient le prétexte à une histoire intime et délicate qui explore des thèmes qui vont au-delà de la pression de la performance, des problèmes d’éjaculation ou de l’orientation sexuelle pour aborder ceux du manque de communication, de l’amour non partagé, du féminisme, de l’acceptation de soi et de l’autre.
Certes, Sex Education est loin d’être parfaite. Les préliminaires sont maladroits et peuvent décourager une partie du public qui restera sur l’idée d’une comédie à la American Pie ; l’idée de ce gamin complexé qui devient en peu de temps un master of sex a quelque chose de peu crédible ; les adultes (surtout les professeurs) restent dans la caricature (à l’exception de Jean, excellente Gillian Anderson – malgré les réserves récurrentes sur son jeu parfois monotone) ; le scénario n’évite pas certains poncifs, avec sa touche de comédie romantique, ses triangles amoureux et son cliffhanger final. On peut aussi s’interroger sur la pertinence de la forme au vue du public visé, étant donné les scènes explicites et le contenu osé. Encore que le débat soit biaisé, dans la mesure où l’on sait bien que les adolescents se passeront de l’autorisation parentale pour regarder la série…
Malgré ces réserves, Sex Education a le mérite de poser un regard délicat, positif et toujours empreint d’humour sur des sujets lourds et sensibles. Plusieurs scènes sont emblématiques à cet égard : la séquence de masturbation d’Aimée à la fois hilarante et cathartique, le « It ‘s my vagina » collectif du cinquième épisode; l’arc narratif très émouvant consacré à l’avortement ; la scène du bal entre Otis et Eric… Sans jamais tomber dans le pompeux ni juger ses personnages qu’elle traite avec tendresse et respect, la série brise les clichés et les idées reçues, offre des pistes de réflexion sur la sexualité dans toute sa complexité sans donner de réponses définitives et péremptoires. Le message de fond, c’est surtout celui de la nécessité de s’accepter et de s’aimer tel que l’on est. Il peut paraître naïf, mais n’en est pas moins enthousiasmant et nécessaire.
Aussi réussie dans la comédie que dans le drama, Sex Education met à profit l’humour et une apparente légèreté pour désamorcer la gravité des thèmes qu’elle traite avec délicatesse et sensibilité. De quoi pardonner une histoire de fond un peu facile mais néanmoins sympathique, et quelques poncifs récurrents. Reste à voir comment la série étendra son récit dans la saison suivante… En attendant, ne boudons pas notre plaisir : on prend son pied avec Sex Education. Pour une première expérience, ce n’est pas si fréquent.
Sex Education (Netflix)
8 épisodes de 50′ environ.