David Simon adapte le roman uchronique de Philip Roth The plot against America et fait basculer les États-Unis dans l’antisémitisme.
C’est quoi, The plot against America ? Dans les années 1940, Herman et Bess Levin (Morgan Spector et Zoe Kazan) élèvent leurs garçons, Philip (Azhy Robertson) et Sandy (Caleb Malis), dans leur maison du New Jersey. Alors que la deuxième guerre mondiale fait rage en Europe, Charles Lindbergh, sympathisant nazi pourtant soutenu par des personnalités telles que le rabbin Bengelsdorf (John Turturro), est élu président des États-Unis. Il ne tarde pas à mettre en œuvre une politique antisémite et, en tant que Juifs, les Levin s’inquiètent de la situation. Ils sont pourtant loin de se douter de l’ampleur de la catastrophe et de quelle manière elle va bouleverser leur vie.
Dans son roman Le complot contre l’Amérique, Phillip Roth s’interroge : et si, en 1940, l’aviateur Charles Lindbergh avait été élu à la Maison Blanche à la place de Franklin Roosevelt ? Si, en tant que président, ce sympathisant nazi avait changé le cours de l’Histoire et le sort de la communauté juive américaine ? C’est cette uchronie que reprend David Simon (The Wire) pour en tirer une mini-série de six épisodes, diffusée en France sur OCS.
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Commençons par un bref rappel historique : à la fin des années 1930, Lindbergh est un héros populaire. Premier aviateur a avoir réalisé la traversée de l’Atlantique sans escale, il est aussi impliqué en politique, ne cache pas ses sympathies nazis et son opposition à l’implication des États-Unis dans le conflit mondial. Malgré l’insistance de ses partisans, il ne se présente pas aux élections ; c’est sous la présidence de Roosevelt que le pays entre en guerre contre l’Allemagne nazie.
The Plot Against America imagine une Histoire alternative : comme on le voit dans les premiers épisodes, Lindbergh obtient le soutien nécessaire pour faire campagne contre Roosevelt, il est élu et sa première décision consiste à signer un pacte de neutralité avec l’Allemagne et le Japon. Il adopte ensuite des mesures implicitement antisémites (incitant par exemple les jeunes Juifs à « s’américaniser » en participant à des programmes d’échange). Nous vivons cette période aux côtés des Levin, une famille juive ordinaire de la classe moyenne. Bien que ne s’intéressant pas forcément à la politique, les parents, Herman et Bess, s’inquiètent des déclarations du nouveau président et des mesures qu’il met en œuvre.
Dans son roman, Roth met en scène un jeune héros qui porte le même nom que lui. Ici, le patronyme change puisque c’est principalement à travers les yeux de Philip Levin, benjamin de la famille, que nous assistons aux événements. Petit garçon de neuf ans, Philip ne comprend pas ce qu’il vit mais il voit la dégradation de la situation, la montée de l’hostilité et de la violence antisémites y compris de la part de proches, il subit lui-même la haine simplement parce qu’il est Juif.
Témoin silencieux, il assiste aussi aux fractures idéologiques au sein du cercle familial. Son cousin Alvin, plein de rage, s’enrôle dans l’armée canadienne ; sa tante Evelyn (Wynona Ryder) tombe amoureuse du rabbin Bengelsdorf, sympathisant de Lindbergh ; son frère aîné Sandy est fasciné par le nouveau président ; sa mère, désemparée, suggère de fuir le pays pour le Canada ; partagé entre colère et impuissance, son père refuse, arc-bouté sur la conviction que « ça ne peut pas arriver ici »...
Portée par des acteurs tous éblouissants, The plot against America est une série sombre, oppressante et inquiétante. Pleine de violence latente et de tension, elle nous plonge dans la vie quotidienne des Levin comme s’ils étaient nos voisins, ce qui rend le récit d’autant moins facile à encaisser lorsque tout dégénère– on pense au séjour de la famille à Washington. Parfois, le propos peut sembler austère : la série prend le temps de poser le contexte politique, de nombreuses scènes s’appesantissent sur les réflexions des personnages et insistent sur les discours. Les protagonistes débattent des informations qu’ils entendent à la radio, analysent les allocutions de Lindbergh, spéculent sur le cours des événements, expriment des idées divergentes…
Mais c’est aussi ce qui permet à la série de développer l’une des ses idées les plus effrayantes : la difficulté d’avoir une vision globale d’une situation à un instant T. La montée au pouvoir de Lindbergh a quelque chose d’inéluctable, personne n’anticipe pourtant la tragédie qui va en résulter. Une grande partie des électeurs estime qu’il n’y a aucune raison pour que les États-Unis entrent en guerre ; la majorité d’entre eux n’est pas antisémite, mais ils semblent occulter les propos de Lindbergh contre les Juifs.
Philip Roth a mis en garde contre toute tentation de comparaison entre son récit et l’actualité. Aujourd’hui, The plot against America a pourtant une résonance particulière. Lorsque à l’écran, les Américains votent massivement pour une célébrité populiste aux discours xénophobes, que la famille Levin (émigrés de la deuxième génération) est chassée de sa propre maison, ou quand on sait que Lindbergh a milité au sein du mouvement America First (on n’est pas loin de Make America great again), comment ne pas faire le lien ? The plot against America a beau être une réécriture fictive de l’Histoire des années 1940, on ne peut s’empêcher de jeter un regard inquiet sur notre époque. Et songer que la démocratie n’est jamais acquise, que toute concession est une menace.
The Plot against America est un grand roman, dont David Simon tire une grande série. Le détournement du cours de l’Histoire nous fait pénétrer dans l’intimité d’une famille Juive au moment où les États-Unis basculent dans le fascisme. Le roman de Roth semblait annoncer la montée du populisme, la dégradation de la démocratie et la tentation de l’isolationnisme dont nous sommes les témoins depuis quelques années ; la série sonne comme une mise en garde. Les deux pieds dans les années 40, le regard tourné vers le présent.