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On débriefe pour vous… The underground railroad, fresque historique-choc sur l’esclavage

Le réalisateur Barry Jenkins signe avec The Underground Railroad une mini-série aussi belle visuellement qu’éprouvante dans son propos.

C’est quoi, The underground railroad ? Cora (Thuso Mbedu), 16 ans, est née esclave dans une plantation de coton en Géorgie. Maltraités et traités comme des animaux, les esclaves mènent une existence encore plus dure depuis que le nouveau propriétaire, un homme vicieux et cruel, a hérité du domaine. Lorsque César (Aaron Pierre), récemment arrivé sur la plantation, lui parle d’un chemin de fer souterrain qui leur permettrait de s’évader, Cora décide de l’accompagner. Lors de leur fuite, Cora tue l’un des hommes lancés à leurs trousses : désormais, elle n’est plus seulement une esclave fugitive, mais aussi une meurtrière… Cora poursuit son voyage éprouvant, traquée par l’impitoyable chasseur d’esclaves Arnold Ridgeway ((Joel Edgerton).

Un vieux chemin de fer souterrain mènerait à la liberté : une rumeur à laquelle croient certains esclaves, harassés et embourbés dans le désespoir. Cet Underground Railroad donne son titre à la série de 10 épisodes de Amazon Prime créée, écrite et réalisé par Barry Jenkins. Couronné par l’Oscar du meilleur film et du meilleur scénario pour Moonlight, il adapte ici un roman de Colson Whitehead, lauréat du prix Pulitzer en 2017 et du National Book Award.

The underground railroad a existé, mais c’était un terme métaphorique désignant un réseau organisé pour permettre aux esclaves de fuir notamment dans les états du Nord voire jusqu’au Canada ; on estime que des dizaines de milliers de fugitifs ont ainsi échappé à la captivité. Dans la série (et dans le roman), il s’agit d’un véritable chemin de fer, avec ses voies et ses wagons, que va emprunter Cora  dans un voyage vers la liberté  à travers les États-Unis et  l’histoire de la souffrance du peuple afro-américain.

A lire aussi : 5 éléments pour comprendre la vraie histoire de l’underground railroad

Des séries comme Roots ou plus récemment Small Axe et Them ou des films tels que The butler , La couleur des sentiments ou Twelve years a slave se sont penchées sur l’esclavage et / ou sur le racisme systémique.  The Underground Railroad s’inscrit dans cette lignée, avec des éléments classiques pour nous transporter dans ces états esclavagistes du Sud  au XIXème siècle: plantations et champs de coton, marché aux esclaves, cadavres noirs pendus aux arbres, baraques délabrées où les esclaves sont parqués. La série se démarque cependant par ses multiples contradictions apparentes : une esthétique léchée et élégante au service d’une histoire dure et éprouvante, un récit cru et réaliste mais parfois onirique et uchronique, une fresque historique et un récit intimiste. Le parcours de Cora est jalonné de rêves, de scènes figées comme des tableaux, et le chemin de fer est à la fois matérialisé et possède quelque chose de surréaliste et de protéiforme selon qui l’emprunte. 

Les esclaves prennent la fuite, avec l’espoir de la liberté

Parfois, une image vaut mille mots. La série abonde de plans longs, d’ellipses, de focalisation sur le regard des personnages pour capturer l’horreur, la souffrance et la terreur qui imprègnent chaque instant de leur vie. La caméra plonge dans les situations les plus sordides et éprouvantes, il y a des scènes difficiles – tortures, maltraitances, lynchages, exécutions, humiliations – au point qu’on détourne parfois le regard. Pourtant, la série en montre juste assez pour mettre le spectateur mal à l’aise, mais pas assez pour tomber dans un voyeurisme ou un misérabilisme faciles. Et certains événements bouleversants ne sont pas montrés, mais racontés par un autre personnage. 

C’est une série triste et cruelle, chargée de violence et de misère, qui évoque le racisme sous plusieurs formes. Au-delà des esclavagistes, elle  met en lumière le « complexe du sauveur blanc », le paternalisme de certains abolitionnistes, les dissensions au sein des communautés afro-américaines.  Arrivés dans une petite ville idyllique (surtout par rapport à la plantation), Cora et Cesar pourront travailler librement et recevoir une éducation, jusqu’à ce qu’ils découvrent les intentions des habitants qui les accueillent ; lors d’une scène glaçante, Cora est forcée de rejouer des scènes quotidiennes de la vie des plantations dans la vitrine d’un musée.  Aux horreurs de l’esclavage succède ainsi la désillusion d’une liberté chimérique et l’impossibilité de se libérer de la marque de l’esclavage.

L’histoire se concentre principalement sur Cora (magnifiquement interprétée par Thuso Mbedu) dont le parcours rappelle parfois celui de June dans The Handmaid’s Tale : maltraitée, chosifiée, traumatisée, insignifiante aux yeux de la société, sa fuite est une humiliation pour les «maîtres». La série adopte aussi parfois d’autres points de vue – la caméra subjective nous met dans la peau d’un esclave lynché, le quatrième épisode se concentre sur le personnage de Ridgeway dans une sorte d’origin story sur les racines du discours de haine raciale qui continue de se répandre aujourd’hui. 

Cora, vibrante héroïne de The underground railroad

The underground railroad prend son temps, elle s’appesantit sur les émotions des personnages, leurs silences, leurs regards apeurés ou pleins d’espoir. Chaque épisode, presque tous d’une durée d’une heure, nécessite d’être assimilé et digéré à cause de la  la violence et de l’horreur de certaines séquences mais aussi de la densité narrative et de la complexité émotionnelle de la série. On peut lui reprocher quelques longueurs, ce rythme volontairement lent qui peut décourager certains spectateurs ; et c’est typiquement le genre de séries que l’on trouve envoûtante et hypnotique, ou prétentieuse et ennuyeuse… 

Pour qui adhère à son style très particulier, The underground railroad dessine le beau portrait de Cora, une femme résiliente et forte, ainsi qu’une critique sociale puissante. L’histoire se déroule il y a deux siècles dans un univers fictif, mais nombre de ses messages sont malheureusement toujours d’actualité parce que la série fouraille dans les plaies les plus douloureuses et les plus à vif de l’histoire des États-Unis : une blessure qui saigne et qui suinte depuis trop longtemps. 

On vous a déjà prévenus : The underground railroad n’est pas faite pour tout le monde. Elle n’est pas la première à exposer les aspects les plus sombres et barbares des fondements de la société américaine : dure, triste et cruelle, mais aussi intimiste, belle et poétique, elle met à son tour en exergue une fracture raciale plus qu’évidente et toujours actuelle que, tôt ou tard, le pays devra affronter.

The underground railroad.
10 épisodes – de 19′ à 77′.
Disponible sur Amazon Prime Video.

About author

Traductrice et chroniqueuse, fille spirituelle de Tony Soprano et de Gemma Teller, Fanny Lombard Allegra a développé une addiction quasi-pathologique aux séries. Maîtrisant le maniement du glaive (grâce à Rome), capable de diagnostiquer un lupus (merci Dr House) et de combattre toutes les créatures surnaturelles (vive les frères Winchester), elle n'a toujours rien compris à la fin de Lost et souffre d'un syndrome de stress post-Breaking Bad
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