Inspirée d’événements réels, la série mexicaine Tijuana montre des journalistes qui risquent leur vie au nom de la vérité et du droit à l’information.
C’est quoi, Tijuana ? En pleine campagne électorale, un candidat syndicaliste de gauche est abattu sous les yeux de la jeune journaliste Gabriela (Tamara Vallerta). Avec l’aide du directeur du Frente Tijuana, Antonio Borja (Damian Alcazar), et des autres journalistes de ce quotidien local, la jeune femme va tenter de découvrir qui sont les commanditaires de ce crime. Ensemble, ils vont mettre à jour plusieurs affaires de corruption et de trafic au plus haut niveau – au péril de leur vie.
Onze : c’est le nombre d’épisodes de Tijuana, et c’est aussi le nombre de journalistes assassinés dans le pays, rien que pendant le tournage de la série mexicaine. Disponible sur Netflix, c’est une fiction qui s’inspire cependant de faits réels pour se pencher sur un sujet prégnant dans le monde et surtout dans le pays : la violence subie par les journalistes, dont beaucoup ont été assassinés pour avoir enquêté sur des affaires sensibles en lien avec les cartels de la drogue, l’immigration clandestine et / ou la politique. Des meurtres qui, dans la plupart des cas, sont restés impunis.
Comme le titre l’indique, l’histoire se déroule à Tijuana, une des villes les plus meurtrières du Mexique notamment en raison de sa situation géographique. A la frontière avec les États-Unis, c’est une plaque tournante du trafic de drogue et de l’immigration clandestine, un lieu de transit chaotique marqué par les inégalités sociales et où s’exercent diverses influences économiques et politiques. Tournée sur place, la série capture de manière ultra-réaliste l’atmosphère de Tijuana avec ses grandes places colorées, ses belles maisons bourgeoises, mais aussi ses petites rues sales, ses usines misérables et ses bas-fonds sordides.
On l’a dit, Tijuana est une fiction, mais elle s’appuie sur des événements réels. A commencer par le meurtre du journaliste Héctor Félix Miranda, connu sous le nom de « El Gato » Félix : cofondateur du magazine Zeta réputé pour ses enquêtes fouillées sur le crime organisé et la corruption, il a été abattu en pleine rue le 20 avril 1988 ; des gardes du corps de l’homme d’affaires et politicien Jorge Hank Rohn, fréquemment visé par l’hebdomadaire, seront reconnus coupables du meurtre. Dans la série, El Gato prend le nom de Iván Rosa (Roberto Sosa) : fondateur du Frente Tijuana, il a été assassiné plusieurs années auparavant. Il apparaît dans chaque épisode, dans des images d’archives utilisées par Alex, jeune journaliste et fils du directeur actuel du magazine, qui tourne un documentaire sur sa mort.
Ce n’est que l’une des intrigues secondaires de la série, qui suit tout un groupe de journalistes du Frente Tijuana, Cet hebdomadaire indépendant est dirigé par Antonio Borja et sa collaboratrice de longue date Federica (Claudette Maillé), qui supervisent entre autres le travail du rédacteur en chef Lalo (Rolf Petersen), de la photographe Malu (Tete Espinosa) et d’une jeune reporter, Gabriela. Ceux-ci mènent différentes investigations (trafic d’êtres humains, réseau pédophile, narcotrafic, etc.) avec minutie et rigueur mais sans concession, dans des articles virulents qui dévoilent la corruption, la criminalité et les dessous de la politique dans la région. Et ce, malgré les pressions et les menaces dont ils font l’objet.
En marge de ces affaires, toute l’équipe se mobilise pour enquêter sur l’assassinat d’un candidat indépendant au poste de gouverneur de Basse Californie, Eugenio Robles (Roberto Mateos). Ancien ouvrier d’une maquiladora et dirigeant syndicaliste, il est abattu sous les yeux de Gabriela, qui militait au sein de son équipe de campagne. Elle se tourne alors vers le Frente Tijuana ; engagée au sein de la rédaction en dépit de son manque d’expérience, elle va s’allier avec ses collègues pour tenter de faire la lumière sur cette affaire Intérêts politiques, crime organisé, trafics : leurs investigations vont dévoiler de nombreuses ramifications et attirer l’attention sur plusieurs suspects, parmi lesquels l’homme d’affaires Guillermo Muller (Rodrigo Abed).
En plus des intrigues politico-journalistiques, les scénaristes prennent le soin de développer leurs personnages à travers des histoires ou problématiques personnelles : le conflit entre Alex et son père, la vie privée de Malu, Lalo qui noie son mal-être dans l’alcool, le mélange d’ambition et d’idéalisme de Gabriela, le désir de Federica de commencer une nouvelle vie… Des éléments qui enrichissent le récit en donnant plus de profondeur aux personnages et en permettant de s’attacher rapidement à eux, mais qui offrent aussi des regards différents sur leur rapport au journalisme. Il faut souligner que tous les acteurs sont excellents, en particulier la jeune Tamara Vallarta, Rolf Petersen (El Chapo) et le génial Damián Alcázar (vu dans Narcos : Mexico).
A travers ces intrigues multiples et variées, Tijuana aborde plusieurs questions délicates, prégnantes dans l’actualité au Mexique. Chaque trame est solide et prenante ; dans sa globalité, le récit reste fluide et cohérent. Le drame, la violence sont toujours sous-jacents, mais la série fuit tout sensationnalisme facile et privilégie le contexte politique et économique, avec leurs intérêts convergents. C’est un choix d’autant plus intelligent et habile qu’il donne encore plus de poids aux scènes les plus brutales (dont la toute dernière, impressionnante), et rend encore plus choquant le sort réservé à certains de ses héros. Car c’est bien le cœur de la série :mettre en lumière le rôle que jouent les journalistes, souvent au péril de leur vie.
Entre polar politique et thriller journalistique, Tijuana est une série prenante dans son déroulement, qui délivre aussi un message fort sur la condition des journalistes au Mexique (et plus largement dans le monde) Avec ses héros idéalistes et déterminés, elle rend hommage au combat de ces hommes et ses femmes enlevés, torturés et tués au nom de la vérité. Des victimes de la guerre contre la corruption et la criminalité, tombés au combat pour la liberté de la presse et le droit à l’information – comme El Gato Felix et tant d’autres.