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On débriefe pour vous… Years and Years, dystopie familiale terrifiante

En mêlant saga familiale et extrapolation futuriste, Years and Years nous tend un miroir effrayant car terriblement crédible. 

C’est quoi, Years and years ? En 2019, la famille Lyons vit à Manchester. Autour de la grand-mère Muriel (Anne Reid) gravite la fratrie : Stephen (Rory Kinnear) avec sa femme et sa fille ; Daniel (Russell Tovey) qui s’apprête à épouser son compagnon ; Rosie (Ruth Madeley), en fauteuil roulant et enceinte ; l’activiste politique Edith (Jessica Stevenson). Dans une Angleterre en plein Brexit, la femme d’affaires Vivienne Rook (Emma Thompson) fait parler d’elle avec ses déclarations provocantes et ses ambitions politiques. Cinq ans plus tard, la vie a continué pour les Lyons, et la situation internationale a évolué en arrière-plan. C’est alors qu’un événement dramatique bouleverse l’équilibre mondial… et, à plus ou moins long terme, la vie de la famille.

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Personne ne l’avait vu venir : dès le premier épisode, la mini-sérié de la BBC (en France sur Canal Plus) Years and Years a créé l’événement, le bouche-à-oreille accentuant ensuite le phénomène. La fiction imaginée par Russell T. Davies (Queer as folk, Doctor Who) a marqué les esprits  grâce à l’originalité du concept, l’attachement aux personnages et la force d’un propos effrayant. Les six épisodes qui la composent se placent à la croisée de la dystopie et du drama familial en racontant à la fois l’histoire chorale des Lyons et l’évolution du monde, et la manière dont des événements qui ne semblent pas les concerner directement finit par les atteindre de plein fouet. L’équilibre est parfaitement pensé et maîtrisé, la série fonctionnant sur les deux registres et surtout au croisement des deux. 

Il y a d’abord la famille Lyons, que l’on suit sur quinze ans à partir de 2019. Leurs difficultés, leurs peines et leurs joies sont celles de tout un chacun et leurs soucis bien terre-à-terre même lorsqu’ils découlent d’une  technologie futuriste. Daniel quitte son mari quand il tombe amoureux de Victor (Maxim Baldry), un réfugié ukrainien ; Stephen et son épouse ont du mal à comprendre leur fille Bethany (Lydia West) et son désir de devenir « transhumaine » en dotant son corps d’outils technologiques à la Black Mirror ; Rosie interrompt une soirée romantique parce que son prétendant ne se sert pas seulement de son robot domestique pour faire le ménage…. 

La dystopie est toujours présente en arrière-plan, ne serait-ce qu’en raison de la projection dans le futur, la série imaginant l’évolution de la Grande-Bretagne et du monde. Chaque épisode présente ainsi une accélération temporelle, introduite par un chœur anxiogène et des extraits de journaux télévisés montrant l’accession au pouvoir de la populiste Vivienne Rook (géniale Emma Thompson dans un rôle entre Nigel Farage et le Cinque Stelle italien), la répression des opposants et des minorités à l’étranger, les crises bancaires, le chômage de masse… Des faits dont les Lyons sont d’abord de simples témoins et qui ne semblent pas les toucher directement, jusqu’au moment où ils en subissent les conséquences : Stephen est ruiné et perd son emploi, Victor risque d’être expulsé vers l’Ukraine, Edith est gravement malade.

L’inexorable ascension de la populiste Vivienne Rook

La série touche et émeut d’abord parce qu’on s’attache immédiatement à cette famille unie, qui nous renvoie un peu notre propre reflet. Libéraux de la classe moyenne, les Lyons regardent les informations mais, passées quelques minutes d’indignation, ils en reviennent à leurs soucis quotidiens. Leur vécu pourrait être le nôtre, et leurs réactions et réflexions ne diffèrent pas de celles que nous serions susceptibles d’avoir. Lorsqu’ils sont confrontés à des événements et des tragédies auxquels ils ne sont pas préparés, il est facile de s’identifier à leurs angoisses ; il faut encaisser le choc à leurs côtés (voir le quatrième épisode…)

A mesure que le récit avance, la vie des Lyons devient presque une radiographie de la société face aux changements  mondiaux. Si le futur de Years and Years est terrifiant,  c’est surtout parce que les bouleversements qu’elle imagine sont terriblement possibles et dérivent d’extrapolations basées sur les grandes questions actuelles. Elle touche du doigt un futur proche annoncé, voire le présent : drame des réfugiés, influence de la Russie, réélection de Trump, gouvernements populistes, catastrophes climatiques, etc. Et le sentiment d’angoisse est renforcé car contrairement à The handmaid’s Tale ou Black mirror par exemple, Years and Years ne présente pas une situation déjà établie, mais le moment charnière où on bascule dans le chaos. 

Et si le futur de la famille Lyons, c’était aussi le nôtre ?

A partir de là, le message de Years and Years est puissant, perturbant, sans doute aussi un peu naïf. Il ne cherche pas non plus le subtilité mais plutôt l’évidence, à l’image de l’édifiant discours de Muriel dans le dernier épisode. C’est à sa famille mais aussi à nous qu’elle s’adresse :  «Vous saviez ce qui se passait et vous n’avez rien fait. » Inconscients des conséquences de l’évolution du monde sur leur vie quotidienne, pensant n’avoir aucune prise sur ces événements , les Lyons sont restés passifs ; en réalité, de petites actions peuvent concourir à enrayer l’engrenage dans lequel est emportée l’humanité. C’est ce que montre le dernier épisode, un peu angélique mais qui martèle comment chacun est capable de générer une lueur, même dans les moments les plus sombres. On se souvient de la phrase d’Edmund Burke : « La seule chose qui permet au mal de triompher, c’est l’inaction des hommes de bien ». 

A travers une famille dont le quotidien est bouleversé par des événements mondiaux sur lesquels elle ne pense avoir aucune prise, Years and Years nous interpelle sur notre propre comportement actuel. Série à teneur éminemment politique, elle dépeint un présent / futur inquiétant en nous sommant de réagir, maintenant. Que l’on adhère ou non au message, Years and Years se révèle redoutablement intelligente et puissante en mêlant macro-fiction dystopique (l’évolution du monde) et micro-fiction  humaine (la vie des Lyons). C’est ce qui rend la série si proche et si réelle ; si touchante et perturbante aussi.  

Years and Years (BBC)
6 épisodes de 60′ environ.
Disponible sur MyCanal.

About author

Traductrice et chroniqueuse, fille spirituelle de Tony Soprano et de Gemma Teller, Fanny Lombard Allegra a développé une addiction quasi-pathologique aux séries. Maîtrisant le maniement du glaive (grâce à Rome), capable de diagnostiquer un lupus (merci Dr House) et de combattre toutes les créatures surnaturelles (vive les frères Winchester), elle n'a toujours rien compris à la fin de Lost et souffre d'un syndrome de stress post-Breaking Bad
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