Avec L’éclipse, France 2 nous délivre une énième série policière régionale ? Ou elle propose une petite pépite à ne pas rater ?
Haut plateau de l’Aubrac, pays âpre et battu par les vents.
Un soir d’éclipse, Luca, 18 ans, tire accidentellement sur sa petite amie Nour avec l’arme de service de sa mère, Manue. Alors qu’il part chercher des secours, la jeune fille disparaît. Manue et Johanna, gendarmes du pays et mères des enfants impliqués dans le drame, mènent l’enquête dans une communauté de paysans en pleine mutation. Alors qu’elles déterrent des conflits d’intérêts et des secrets de famille, les enjeux de l’enquête viennent peu à peu percuter leurs propres foyers.
L’essentiel
A première vue, L’éclipse coche toutes les cases des séries que l’on voit traditionnellement sur le service public. Une intrigue policière avec un encrage local, un binôme d’actrices connues pour porter le projet, des histoires à tiroirs, … Mais c’est sans compter sur le travail de fond opéré sur cette série pas comme les autres par ses deux créateurs, Hélène Duchateau et Baptiste Filleul, et la réalisation de Franck Brett (Balthazar), le tout magnifié on y reviendra par la musique de Anne-Sophie Versnaeyen
et Hugo Gonzalez-Pioli. On a mentionné au casting la présence de Claire Keim et Anne Charrier, mais soulignons aussi celle très remarquée du reste de l’équipe, comme Hubert Delattre (David Levy), Victor Poirier (Anthony Courtin), Armelle Deutsch (Mathilde Wilhem), Thomas Jouannet (Raphaël Wilhem), Aymeric Fougeron (Luca Germain Vitali), Eloïse Rey (Angèle Croiset), Justine Lacroix (Inès Germain), Valentin Campagne (Quentin Germain).
Quelle ambition forte pour L’éclipse ? « Porter le polar loin des univers urbains qui sont traditionnellement ses aires de jeux, de l’emmener sur les routes départementales de campagne, dans la France des grands espaces et des hauts plateaux. Aussi, nous pensons que le genre policier est un véhicule formidable pour aborder la question des ruralités et rendre justice à la diversité du monde paysan d’aujourd’hui. Enfin, nous avions envie de questionner tout ce qui touche à l’héritage, la transmission, la filiation et d’interroger comment les générations montantes assument ou récusent les choix de la génération qui les a précédés. » (Christophe Carmona, producteur
et Soraya Alami, productrice artistique).
On aime
Il faut toujours se méfier des a priori, notamment dans une fiction française en pleine mutation avec un niveau qui ne cesse de monter grâce à des auteurs pétris de références et qui ont l’envie de produire le meilleur possible pour rivaliser avec l’excellence.
L’éclipse entre parfaitement dans la catégories des rendez-vous que l’on aurait pu manquer si on ne s’était fiés qu’au pitch et au titre. Car c’est bien à une petite pépite que l’on a affaire. Une série qui, et c’est trop rare, utilise les mécanismes du polar (tout en les mettant rapidement de côté) pour mieux raconter ses personnages. Le meurtre est bien ici le catalyseur de changements profonds qui traversent non seulement ce village dans lequel prend place l’intrigue, mais aussi les personnages, en premier lieu les jeunes du village particulièrement secoués dans cette histoire. La distribution des jeunes est au passage particulièrement réussie et soignée, incarnant à merveille le mal-être qu’ils traversent. On note la présence notamment de l’excellente Justine Lacroix (vu dans 7ème ciel) ou encore d’Eloïse Rey (découverte de la série OuiJa cet été) dans un rôle qui, ailleurs, aurait été celle de la jeune première de qui l’on tombe évidemment amoureux, mais qui trouve ici un écrin bien plus complexe à jouer et surtout à incarner. Et c’est d’ailleurs parce que les personnages sont particulièrement soignés et qu’ils sont au centre de l’histoire, que la série se permet plus de 10 minutes une fois la résolution de l’intrigue achevée.
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Outre le soin particulier apporté aux personnages de la série, à son écriture fine et pointue qui n’oublie jamais la question sociale, L’éclipse est aussi visuellement une très belle série, parfaitement mise en scène et dont la musique épouse si bien les contours. Le soin apporté à la mise en images des grands espaces donne l’impression de quitter nos terres franco-françaises pour s’envoler vers les grands espaces américains, une impression que la musique vient renforcer.
En jouant à ce point sur tous les contrastes, la série produit un effet hypnotiques sur les spectateurs qui se trouvent plongés dans les méandres d’un lieu qui, sous des allures lumineux, colorés et apaisants, renferme le plus sombre de l’humain, « cette part d’ombre » qui survient au moment où l’éclipse plonge tout dans la pénombre. Rendant l’ensemble totalement déstabilisant, à la fois d’une lenteur assumée (et qu’on aime ressentir) tout en avançant épisode après épisode dans un rythme qui se veut soutenu. Pour un résultat bluffant, loin de tout ce que l’on peut voir en matière de polar, se payant même le luxe d’une fin sombre et un poil désabusé.
Un duo de gendarmes impérial
On ne soulignera pas assez combien le duo formé par Claire Keim et Anne Charrier est pour beaucoup dans la réussite de la série. Un duo de femmes comme on en voit peu. Ou comme on le réserve trop souvent à des personnages masculins. A tort ! On aime cette amitié rugueuse, âpre, à la fois forte et bourrée de fêlures que les deux comédiennes incarnent avec un talent remarquable. Déjà dans Vise le cœur, on aimait ce personnage de flic abîmé, blasé qu’incarnait Claire Keim. Elle monte ici d’un cran encore face à Manue (Anne Charrier) en créant un binôme comme les séries anglaises les aiment tout particulièrement (on se croirait presque dans Happy Valley). On savait les deux comédiennes vraiment surprenantes, elles nous bluffent ici littéralement.