Avec Laurent Chiambretto, auteur de « Rodgeur Forever«
Le simple fait d’évoquer la retraite du Maestro est considéré comme un crise de lèse majesté pour les supporters les pus assidus de Roger Federer. Le suisse est pour beaucoup un « Dieu vivant », immortel et invincible. Mais Federer n’est qu’un homme, et chaque homme a une fin. Celle de Federer est proche.
Qui aurait pu imaginer, il y a plus de vingt ans de ça, en 1998, que ce jeune suisse aux goûts capillaires discutables et au tempérament fougueux, pourrait toucher à ce point le cœur des gens ? 103 titres et plus de 1500 matchs plus tard, il est devenu une icône à travers la planète. À bientôt 39 ans, il continue de faire rêver petits et grands. Mais toutes les bonnes choses ont une fin, et celle de Federer semble se rapprocher inexorablement. Au point de suggérer une retraite, dès maintenant.
Avec 103 titres à son compteur, il n’était pas si loin de faire tomber un des records les plus prestigieux du circuit, celui du plus grand nombre de tournois remportés, détenu par Jimmy Connors, lauréat de 109 titres. Quel accomplissement de pouvoir rattraper au compteur l’inépuisable américain, dont la carrière dura 24 ans ! Mais lorsqu’une cause est perdue, il faut savoir le reconnaître. Il faut remonter deux ans en arrière, au cours de la saison 2018, pour retrouver les traces d’une ébauche de chance pour le suisse de dépasser l’américain. Eurosport titrait à l’époque : « la chasse au Connors est ouverte ». Deux saisons, quelques faux pas et une épidémie du coronavirus plus tard, la donne a changé. Le record semble désormais définitivement insaisissable, tout Roger Federer qu’il est.
L’autre record au cœur de la carrière de Federer n’est autre que celui du plus grand nombre de tournois du Grand Chelem remportés, sans aucun doute le plus prestigieux de tous les sésames de la planète tennis. Détenu par le natif de Bâle avec 20 succès dans les plus prestigieuses des compétitions, ce record est l’un des principaux éléments qui forgent la légende du suisse et qui l’érigent, selon de nombreux observateurs, au rang de meilleur joueur de l’histoire de son sport. Mais s’il a acquis et défendu ce record avec courage et abnégation, il ne pourra pas l’empêcher de tomber. Rafael Nadal, à 19 titres, le talonne, tout comme Novak Djokovic et ses 16 tournois du Grand Chelem. L’espagnol n’aura plus qu’à remporter un titre dans son jardin de Roland-Garros, en septembre, pour l’égaler. Dans un premier temps. Pour le serbe Djokovic, il fait office de favori pour finir en tête de ce classement, à seulement 33 ans et au sommet de sa forme. Sauf miracles, ce record va tomber, et une part de la légende de Federer tombera avec lui. Ce n’est qu’une question de temps.
La question qui se pose alors est celle de savoir si Federer peut continuer à défendre ses chances pour retarder l’échéance, aussi fatale que déchirante. La réponse, selon toute vraisemblance, est négative. Il suffit de suivre le parcours du numéro 4 mondial depuis sa victoire à l’Open d’Australie 2018 pour se rendre à l’évidence : en deux ans, il n’est parvenu qu’une seule fois à se hisser en finale, à Wimbledon l’année dernière, perdue aux dépens de Novak Djokovic. Un constat lourd de conséquences : Roger Federer n’est plus capable de remporter un tournoi du Grand Chelem, étalé sur une quinzaine, avec des matchs au meilleur des cinq sets. Et encore moins face à sa bête noir, Novak Djokovic. Plus qu’une supériorité sportive, c’est un ascendant psychologique qu’a pris le serbe aux dépends du suisse. En témoigne la finale de Wimbledon 2019, où Federer obtient deux balles de matchs, sans succès. Une hégémonie du numéro 1 mondial qui ressemble en tout points à celle de Nadal sur le même Federer, d’abord sur terre battue puis sur les autres surfaces, qui aura duré de longues années, jusqu’à la fameuse finale de l’Open d’Australie 2017. Mais si le taureau de Manacor n’a plus le dessus face à son éternel rival sur surface dure, c’est toujours le cas à Roland Garros. Le tableau semble donc bien sombre pour Roger, qui doit également subir le ralentissement des surfaces, l’amputant d’un avantage certain. Il faut se rendre à l’évidence : son vingtième titre du Grand Chelem était probablement son dernier.
Condamné, très certainement, à se rapprocher d’un 21ème titre sans pouvoir l’atteindre, Federer semble destiné à lutter pour des titres de « seconde zone », comme les Masters 250 et 500. Des tournois parfaitement honorables, mais qui paraissent bien maigres pour l’appétit insatiable de « Fedexpress ». Se borner à n’être compétitif que pour des tournois de cet ampleur n’est pas digne du champion monumental qu’est Federer. Être au sommet ou ne pas être, telle est la question.
Barré par ses deux grands concurrents, pourchassé par la « Next Gen », la nouvelle génération, affaibli par un un genou capricieux et un âge avancé, Roger Federer est face à ses démons. Un énième retour en 2021 pourrait bien être celui de trop. Ce serait aussi une preuve de grande élégance et d’une profonde humilité que de savoir s’arrêter à temps. Pour que la légende du plus extraordinaire des joueurs de tennis ne soit pas entachée. Pour que Federer reste Federer.