Dans le cadre des débats à propos de la loi sur la moralisation de la vie publique, on a interviewé Philippe Pascot.
Ancien adjoint de Manuel Valls à Evry, Pascot se bat depuis des années contre la corruption et l’immoralité de la classe politique. Dans son dernier ouvrage « Allez (presque tous) vous faire….. », il dénonce de nombreuses dérives du système politique français et lance un appel pour que la transparence tant préconisée se concrétise.
Radio VL : La situation politique actuelle, en France comme dans d’autres pays européens, est délicate et instable. Les scandales et les soupçons de corruption sont de plus en plus nombreux. Les Français peuvent encore faire confiance à ceux qui les gouvernent ?
Les Français ont une mentalité judéo-chrétienne. Contrairement à la tradition protestante, ils ne s’attendent pas à ce que les élus soient totalement honnêtes, puisqu’avec un élu intègre on n’aura le droit à aucun privilège personnel. Ce qu’on veut, c’est des élus honnêtes sur le principe, mais aussi un petit peu truands quand il s’agit de nos questions personnelles. Et alors on est forcément perdant : plus les élus sont en haut de la pyramide, plus ils profiteront de leur position pour leurs propres bénéfices. Et ainsi, les Français n’ont plus confiance en le fameux « système ».
Le même phénomène se vérifie également au niveau européen. L’Union devrait être faite par les pays et pour les pays, mais aujourd’hui elle ne travaille que pour les lobbys. L’Europe a oublié de travailler sur l’humain et sur le social, elle ne se concentre que sur l’économique et ne fait qu’abrutir et paupériser. Cela ne peut pas marcher sur le long terme…
Radio VL : Vous soulignez un détail : la plupart des actions qu’on perçoit comme « illégales » sont, en réalité, parfaitement légales. L’exemple le plus récent c’est celui de Richard Ferrand, qui a embauché son fils comme collaborateur. Bien que ces agissements soient légales d’un point de vue juridique, les citoyens s’interrogent sur leur moralité…
Je me pose toujours la même question : pourquoi c’est valable pour nous, mais pas pour eux ? Leur morale est élastique. Mais nous, les citoyens, sommes obligés de faire ce qu’ils veulent…Cette attitude traduit une philosophie précise de la part des hommes politiques : « la loi, on la fait pour vous. Mais ce n’est pas pour nous ».
Radio VL : Le gouvernement d’Edouard Philippe travaille sur une loi de moralisation de la vie publique. Mais les failles présentes dans ce texte sont si nombreuses qu’il ne sera pas difficile de contourner la loi et maintenir la malsaine pratique des emplois fictifs…
Les élus s’arrangent toujours pour faire des lois qui sont valables pour nous, mais pas pour eux… Par exemple, ils viennent de modifier le délai de prescription pour les vols par ruse. Pour les autres délits, le délai de prescription commence à courir au moment de la découverte des faits. La prescription pour les vols par ruse commencera à courir à partir de la commission des faits. Quand on réalise que les vols par ruse comprennent les détournements d’argent, on comprend bien que c’est les élus qui bénéficieront de cette modification.
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Radio VL : Vous avez été à l’origine de la loi du « casier vierge ». Un mois après la présidentielle, on travaille déjà sur un nouveau texte. Finalement, c’est le signe qu’une volonté de changement s’installe dans la classe politique française ?
Ils ont approuvé la loi sur le casier vierge puisqu’ils ne pouvaient pas faire autrement. Mais ils espèrent que les gens vont oublier, pour pouvoir apporter des modifications à la loi dans quelques temps. A chaque fois ils font un pas en avant et deux en arrière : le député de l’Aisne René Dosière, par exemple, propose de moraliser la vie publique. Mais aucune des mesures qu’il a présentées concerne les délits sexuels. On peut vraiment annoncer cela comme une grande réussite ?
Les promesses ne suffisent pas.
La présence de Bayrou dans le gouvernement n’est rien d’autre qu’une belle promesse, mais les possibles ébauches me font peur. Les promesses ne suffisent pas, parce qu’il faut les appliquer dans la vie réelle : si on dit qu’on fixe à trois le nombre de mandats successifs, c’est simple de ne pas appliquer cette règle. Il suffit de faire comme en Russie : un coup Poutine, un coup Medvedev, et on peut rester au pouvoir pendant quarante ans… Si on voulait vraiment limiter les mandats, on devrait fixer le nombre de mandats à trois, mais pour toute la vie.
Et concernant les lobbys, Bayrou triche encore : on dit qu’on va les limiter, mais on ne dit pas comment. Evidemment, il faudrait fortement limiter les lobbys officieux. Et encore, comment on peut vouloir moraliser la vie publique si on laisse la possibilité d’exercer les fonctions d’avocat pendant son mandat ? Il n’est pas difficile de corrompre un élu si on le paie à travers son salaire d’avocat !
Radio VL : Si les Français ne font plus confiance à leurs élus, c’est sans doute aussi parce que les promesses de campagne sont rarement tenues.
Je ne me laisserai jamais de le répéter : faites moins de promesses, mais tenez les plus. Macron promet qu’il faudra le casier vierge pour être éligible. Mais c’est bien trop simple : la loi est déjà faite ! Macron, ce n’est que de la communication, une boite d’emballage vide. De plus, son ultra-libéralisme est très dangereux. Evidemment, il sera au détriment des petits producteurs et des consommateurs : sous prétexte de concurrence, les grands distributeurs vont racheter les petits et moyens, et une fois qu’ils auront le contrôle ils vont pouvoir réaugmenter les prix. Dans la vision du monde du nouveau président, tout le monde travaille, mais dans des postes mal payés et mal protégés. Quand on cumule deux boulots pour arriver à la fin du mois, on n’a plus le temps ni l’envie de revendiquer quoi que ce soit. Et cette ubérisation de la société ne profitera qu’à « eux », les élus, qui pourront s’en mettre plein les poches. Les syndicats, eux aussi, sont verrouillés. Finalement, la classe dirigeante a réussi à juguler toute expression populaire. Mais si on continue comme ça, on va arriver à une société sur le modèle américain, où les patrons sont au pouvoir.
Radio VL : Une société ultralibérale et fragilisée, donc. Un scénario qui présente de nombreux risques…
Les électeurs se sont réfugiés dans le projet de Macron. Mais s’il échoue aussi, ils n’auront plus que les extrêmes. Mais une des premières actions que font les partis extrêmes, une fois qu’ils sont au pouvoir, c’est de supprimer les élections…Avec la montée de Le Pen, les partis traditionnels jouent avec le feu.
Nous sommes les coupables : on ne fait pas ce qu’il faut et on laisse monter les extrêmes.
Dans les banlieues, la situation est dramatique, puisqu’on les a complètement oubliées. Les extrêmes montent, et parallèlement l’islamisme monte aussi. Ces extrêmes représentent, aux yeux de ceux qu’on a délaissés, la solution au vide institutionnel dans lequel ils vivent. Si tout allait bien, les extrêmes ne seraient que le refuge des ultra minorités. Et si on suit ce raisonnement, nous sommes les coupables : on ne fait pas ce qu’il faut et on laisse monter les extrêmes.