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Que se passe-t-il exactement entre Canal+ et les sociétés d’auteurs ?

Depuis quelques jours, le torchon brûle entre Canal+ et des sociétés d’auteurs qui ont assignées en justice la chaîne pour non-respect de leurs obligations contractuelles. Pour mieux comprendre ce qui se passe, nous avons discuté avec Pauline Rocafull, Présidente de la Guilde Française des scénaristes.

Dire que l’on ne comprend rien à la politique menée par Vincent Bolloré dans le Groupe Canal+ est un doux euphémisme. Après avoir laminé l’antenne par des décisions plus qu’hasardeuses, il s’en prend à présent aux auteurs pourtant très importants pour le groupe. A Radio VL et dans La loi des séries, depuis deux ans et demi, on soutient à fond le travail des auteurs de fictions et nous avons voulu comprendre ce qui était en jeu, ce qui se passait. Pour ce faire, nous avons discuté avec la Présidente de la Guilde française des scénaristes, Pauline Rocafull. Va-t-on vers un conflit dur entre les auteurs et Canal ?

Comment pouvez résumer la décision de Canal + et ses conséquences sur les auteurs ?

Pauline Rocafull : Pour comprendre la situation, il faut bien avoir en tête qu’un créateur est rémunéré de deux façons complémentaires : il est rémunéré par des producteurs pour créer une œuvre mais cette rémunération est partielle . Conformément à la loi, un créateur de l’audiovisuel doit aussi être rémunéré chaque fois que son œuvre est exploitée (diffusion TV, SVOD…).
En l’occurrence, tous les trimestres, le groupe Canal + est censé s’acquitter de ces droits de télédiffusion, calculés en fonction de son chiffre d’affaires.

Ces droits d’auteur sont collectés par ce qu’on appelle des sociétés d’auteurs (comme la SACD ou SACEM) qui sont ensuite chargées de redistribuer cet argent aux créateurs dont les œuvres sont exploitées.

Pour des raisons économiques, depuis le dernier trimestre de l’année 2016, Canal + a mis fin au paiement de ces droits dans le but de négocier à la baisse le pourcentage dont le groupe doit s’acquitter.

La méthode est scandaleuse. Imaginez votre patron vous dire : pour faire des économies, j’ai décidé de revoir ton salaire à la baisse, et la meilleure façon d’y arriver, est de ne plus te payer.

Les conséquences pour les créateurs sont immédiates. Canal + ayant stoppé le versement de ces droits depuis plus de 6 mois, certains créateurs (notamment les musiciens) ne vont toucher aucun versement et ce, dès le mois de juillet. Pour ce qui est des scénaristes, la SACD s’est engagée à débloquer des fonds afin d’assurer les paiements jusqu’à la mi-septembre. À partir de cette date, c’est l’inconnu.

Quelle est la part des droits d’auteur liés à la diffusion de leurs œuvres dans les revenus d’un scénariste, notamment ?

C’est variable. Pour un auteur d’animation, cela représente plus de 50% de sa rémunération annuelle. Pour un auteur de fiction TV, c’est compris entre 30% et 40%, tout dépend du mode d’exploitation et de la chaîne où est diffusé le film. Les droits d’auteur sur une chaîne comme C8 n’ont rien à voir avec ceux qu’un auteur peut espérer obtenir si son film est diffusé sur Canal+.

Cette situation précarise un peu plus les créateurs, notamment les scénaristes qui, entre deux contrats, n’ont droit ni au chômage, ni au statut d’intermittent.

Canal + a ouvert aussi un front de négociation avec les producteurs, n’est-ce pas ? Quel peut être l’impact pour les créateurs ?

Il ne peut être que négatif ! En effet, Canal+ a demandé à certains producteurs (notamment de documentaires et d’animation) de consentir à des remises de 20% sur des projets déjà signés. Si Canal + paye moins bien les producteurs, ces derniers seront forcément tentés de répercuter cette baisse de budget sur la rémunération des créateurs.

Comment en est-on arrivés là ?

L’argument du Groupe Canal + est la rentabilité économique. C’est vrai que le secteur est en pleine mutation avec l’arrivée de nouveaux acteurs. Selon Canal +, cette mutation du secteur impacterait les modèles de financement.

Ceci étant dit, on est en droit de se demander si la mauvaise santé financière de Canal + n’est pas plutôt dû à des choix éditoriaux et stratégiques contestables.

Par ailleurs, les droits d’auteur reversés étant calculés sur le chiffre d’affaires, et ce dernier baissant, les créateurs partagent déjà le destin économique de Canal+ !

Dans tous les cas, Canal + exploite la situation au maximum pour encourager les pouvoirs publics à repenser le cadre réglementaire.

À titre d’exemple, il n’est pas anodin qu’en parallèle de ce bras de fer avec les auteurs, on voit resurgir dans les médias le grand cheval de bataille de Canal +, à savoir la refonte de la chronologie des médias, laquelle défavoriserait Canal + par rapport à des opérateurs comme Netflix ou Amazon, notamment sur les territoires à l’étranger.

Est-ce à dire que Canal + essaie de monnayer une réforme de cette chronologie contre le fait de payer des droits d’auteur aux créateurs ?

Impossible à dire, évidemment. Mais si c’est le cas, le Groupe Canal + fait une grave erreur stratégique en se mettant à dos les créateurs et notamment les scénaristes. Car ce sont eux qui font les séries et les films que se dispute le marché !

La décision est-elle bloquée avec Canal + malgré la prise de position de la ministre de la Culture ?

La situation est suffisamment bloquée pour que quatre sociétés d’auteurs décident d’assigner en justice Canal+ pour non-respect de ses obligations contractuelles. Et visiblement, le conflit n’est pas près de s’arrêter avec la réplique de Canal+ qui accuse les sociétés d’auteurs d’opacité. On marche sur la tête !

A titre d’exemple, la SACD est dotée d’une commission de surveillance interne conforme à la directive européenne.  Il y a également des contrôles externes rigoureux : en Belgique par le Service de contrôle des sociétés de gestion de droits d’auteur et de droits voisins dépendant du Ministère des affaires économiques ; en France par une Commission permanente de contrôle qui dépend de la cour des comptes. Le dernier rapport de celle-ci date de moins de deux mois et il salue les efforts des sociétés d’auteurs.

Une telle décision aux États-Unis entraînerait une grève massive et une vraie crainte de blocage. Qu’envisage la Guilde ? Est-elle capable de mener une grève ?

Bien sûr que nous sommes capables de mener une grève ! Dans l’audiovisuel, au rythme d’une saison écrite par an, la capacité de blocage des scénaristes est indéniable.

Cependant, une grève, ça se prépare ! Et tout comme aux Etats-Unis, elle ne doit être vue que comme l’ultime recours.

D’autres moyens d’action existent : des actions judiciaires telles que celles entreprises par les sociétés d’auteurs, mais aussi des actions médiatiques. Nous avons pour nous le pouvoir des mots, de l’image, celui aussi du grand public qui plébiscite aujourd’hui, plus que jamais, la fiction française.

Dans cette perspective, nous sommes en train de prendre contact avec d’autres syndicats d’auteurs afin de créer un front commun.

Est-il encore utile de rappeler qu’en toute circonstance, l’union fait la force ?

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Rédacteur en chef du pôle séries, animateur de La loi des séries et spécialiste de la fiction française
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