Continuellement ridiculisé et discrédité par les plus grandes institutions médiatiques américaines qui le donnaient perdant jusqu’à la fin, Donald Trump affiche depuis le début de la campagne électorale un malin plaisir à traîner les journalistes dans la boue…
Entre rejet bilatéral, désaveu et désamour
Depuis toujours fortement exposé, qu’il s’agisse de ses frasques, de ses divorces tumultueux ou de ses infortunes financières, Donald Trump porte une attention constante et méticuleuse sur tout ce que produit l’industrie médiatique à son sujet.
Il suffit qu’un article remette en cause le moindre de ses propos, un de ses proches ou questionne ses accomplissements professionnels, et ce dernier ne manque pas de réagir publiquement, houspillant violemment le journaliste ou le média en question dans la presse, dégainant une réplique cinglante sur Twitter, ou menaçant de recourir à de lourdes poursuites judiciaires. L’homme au blond toupet n’a pas manqué non plus d’inviter la foule à huer avec virulence les journalistes lors de ses grands meetings ou d’exclure ceux qui l’importunaient en conférence de presse.
En effet, le magnat de l’immobilier leur reproche de proférer des propos tantôt calomnieux, tantôt infondés ou injustes à son égard. Il a d’ailleurs répandu le concept de « Fake News » selon lequel les médias, malhonnêtes et corrompus, diffusent de fausses informations, en l’occurrence à son encontre. Trump va même jusqu’à les traiter de « junkies », dénonçant à quel point ceux-ci sont prêts à tout pour faire de l’audience.
L’un des points forts de son programme était d’ailleurs de durcir les lois sur la diffamation, affichant explicitement la volonté de museler les médias dont il juge les propos mensongers. A ce propos, Donald Trump avait d’ailleurs déclaré : « Je vais étendre la portée des lois sur la diffamation, pour que quand ils écrivent à dessein des articles négatifs, méchants et infondés, on puisse les poursuivre et gagner beaucoup d’argent ». Par la suite, il avait même dressé une liste noire de journalistes qu’il jugeait dérangeants ou incompétents, notamment de Buzzfeed ou du Huffington Post, lesquels s’étaient donc vus retirer leurs accréditations.
Le 11 janvier dernier, à l’occasion de la première conférence de presse donnée depuis 6 mois, le 45ème président des Etats-Unis n’a pas hésité à fustiger une nouvelle fois les médias dont il avait fait les frais. Les « bons journalistes », qui n’avaient pas publié d’informations compromettantes à son égard, furent ainsi autorisés à lui poser des questions, tandis que les « mauvais », relégués au fond de la briefing room, se virent privés de participation.
Lors de son premier déplacement officiel à Washington après l’élection, Donald Trump a même refusé d’être entouré d’un groupe de reporters, comme le veut la coutume. Seize patrons d’associations de journalistes lui ont ainsi adressé une missive le 16 novembre dernier, priant le président des Etats-Unis de se rendre plus accessible à l’avenir.
Depuis son investiture le 20 janvier dernier, le ton n’a pas changé. Le jour J, le gouvernement Trump s’est violemment insurgé contre les photographies des organes de presse sur lesquelles on observait une foule bien plus clairsemée que celle présente à l’investiture de Barack Obama en 2009. Une nouvelle fois, Donald Trump n’a pas manqué de remettre en question l’éthique des journalistes, les accusant ouvertement de mentir. Sean Spicer, porte parole du gouvernement, a d’ailleurs assuré devant le parterre de journalistes que l’événement avait rassemblé « le plus grand public ayant jamais assisté à une investiture, un point c’est tout. » A la suite de quoi le communicant a quitté son pupitre, sans prendre la peine de répondre à la moindre question des journalistes.
Le clan Trump a aussi contrattaqué sur les réseaux sociaux avec ses propres photos. Un cliché publié sur le compte Instagram de sa fille Ivanka montre une foule incommensurable, faisant explicitement un pied-de-nez aux photos parues dans la presse. La conseillère de Donald Trump, Kellyanne Conway, a d’ailleurs déclaré le lendemain en direct sur NBC que Sean Spicer n’avait pas menti mais simplement « donné des faits alternatifs ». Des propos qui montrent que l’administration Trump continue de s’arranger avec les faits, quitte à livrer une lecture bien différente de la réalité.
De toute façon, le président ne pouvait être on ne peut plus clair que par les propos tenus dans les locaux de la CIA le samedi 21 janvier : « Comme vous le savez, je suis actuellement en guerre contre les médias. Ils font partie des êtres humains les plus malhonnêtes de la planète ». La messe est dite.
Manipulation et utilisation stratégique
Bien que critiquant si violemment l’industrie médiatique, Donald Trump n’en est pas moins rompu aux codes de la communication du 21ème siècle. L’homme de 70 ans sait très bien jouer avec l’attention des journalistes. Alors qu’il récuse la presse, il se livre volontiers au jeu des interviews, ne manque pas de faire le tour des plateaux télé et surinvestir son compte Twitter.
Une accessibilité médiatique surprenante pour un homme affairé aux plus hautes fonctions politiques du pays et désavouant la presse de façon si virulente. Dean Baquet, le rédacteur en chef du New York Times, a notamment confié à son sujet en décembre dernier n’avoir « jamais rencontré un candidat à la présidentielle qui était aussi facile à joindre au téléphone pour se défendre ou pour dire ce qu’il a à dire. C’est un homme qui adore parler aux journalistes, mais qui a aussi dit les choses les plus viles à leur sujet parmi tous les politiciens de sa génération ».
Le New York Times, un organe de presse avec qui le businessman entretient justement une relation ambiguë. Pour lui, le NYT est l’exemple même de cette élite new-yorkaise, bien pensante, bourgeoise, aux mains des politiques et des puissances financières, déconnectée de la réalité et des intérêts du reste de la population et qui l’avait publiquement désavoué. En pleine polémique, le quotidien américain avait notamment publié des témoignages de femmes qui accusaient Donald Trump de harcèlement sexuel. La candidat avait alors menacé de poursuivre le journal en justice pour diffamation et propos calomnieux. Depuis lors élu, il s’y est rendu ces derniers jours en toute cordialité, pour répondre aux questions des journalistes. Un moyen pour le président de rassurer la presse et montrer son attachement au premier amendement de la constitution américaine qui prône la liberté de la presse et la liberté d’expression.
Rappelons que depuis des décennies, Donald Trump aime à se voir sur le devant de la scène médiatique. Grâce à de multiples apparitions, comme dans « Maman j’ai encore raté l’avion », « Le Prince de Bel-Air » ou encore « Zoolander », il était déjà mondialement connu, avant même de se porter candidat à l’élection présidentielle.
C’est surtout avec « The Apprentice », son émission de télé-réalité, que Donald Trump a réussi à se faire aussi largement connaître. Un programme dans lequel le magnat de l’immobilier mettait en scène son pouvoir et sa fortune, face à des candidats prêts à tout pour intégrer sa société. A coup de « You’re fired » caricaturaux, l’émission avait connu un véritable succès – surtout dans l’Amérique rurale et populaire – et comptait non moins de 28 millions de spectateurs au sommet de sa gloire. Un succès permettant au show de figurer au top 10 des plus grandes audiences télé du pays.
Donald Trump est en effet un expert des médias. Il sait qu’il fait vendre et n’hésite pas à en tirer profit. Mais il n’est pas le seul de son clan à être surexposé. C’est récemment la première dame, Melania, qui a attiré les foudres de l’opinion publique. On la voit en couverture du dernier Vanity Fair mexicain, mangeant des diamants et autres bijoux de luxe à la pelle. Un cliché qui dérange à l’heure où les polémiques autour de son mari restent si nombreuses, particulièrement autour des questions d’immigration, de terrorisme et de la fermeture des frontières américaines.
Entre info et intox, propos scandaleux et buzz médiatique, boycott et manipulation des outils médiatiques, le 45ème président des Etats-Unis n’a de cesse de redéfinir les codes de la communication politique.
Il serait d’ailleurs question de déplacer la fameuse «briefing room» hors de la Maison Blanche, au profit d’une salle plus grande, où il sera alors possible de recevoir un spectre d’acteurs médiatiques bien plus large. Seraient notamment de la partie des non professionnels tels que des blogueurs et autres influenceurs digitaux…
Dans cette ère de post-truth politics et d’hyper connectivité mondiale, certains spécialistes y voient même une certaine révolution du métier de journaliste, vers un retour aux fondamentaux. C’est en effet devenu un véritable challenge d’offrir une information fiable et de qualité. Les rédactions développent de plus en plus des cellules consacrées au « fact-checking ». Certaines envisagent même d’envoyer leurs stagiaires assister aux conférences du gouvernement tandis que les journalistes les plus aguerris se verront envoyés sur le terrain. Un renouvellement éthique qui semble payer puisque le New York Times a vu récemment grimper le nombre de ses abonnés. Une tendance assez rare dans une industrie en crise qui doit gérer la concurrence des nouveaux médias et la volatilité d’une actualité toujours plus rebondissante…