Le site ukrainien Myrotvorets a publié le 20 mai les données personnelles de milliers de journalistes internationaux accusés de soutenir les séparatistes pro-russes. Alors que la divulgation de telles informations est interdite en Ukraine, Reporter sans frontières a adressé une lettre au président ukrainien Petro Porochenko, afin de dénoncer une situation préoccupante pour la presse.
5412 journalistes ont vu leurs noms, numéros de téléphone et adresses mails diffusés sur le site ukrainien Myrotvorets (le pacificateur) vendredi 20 mai. Le média nationaliste accuse les journalistes cités de « collaborer avec les combattants d’une organisation terroriste » alors que ces derniers ont simplement obtenu des accréditations pour travailler dans les régions sensibles de Donetsk et Louhansk.
#Ukraine : Lettre ouverte au Président Petro Porochenko. #LibertéDeLaPresse https://t.co/tRM7j1ffEL pic.twitter.com/vvyr9Q43Dr
— RSF (@RSF_inter) 25 mai 2016
Le 12 mai, le site partage une première liste. Plusieurs journalistes exigent des excuses, et la rédaction admet que la liste n’est pas correcte. Comprenez pas suffisamment complète : une seconde liste est diffusée le 20 mai. Reporters sans frontières publie alors une lettre ouverte au président Porochenko, en fonction depuis juin 2014. RSF y dénonce « une violation du droit ukrainien sur la protection des données personnelles » et « une atteinte à la liberté de la presse ». L’organisation internationale de défense de la liberté de l’information demande au président Porochenko de condamner publiquement cette publication.
Selon l’Express, les informations viennent d’un pirate ayant eu accès à une base de données de la République populaire autoproclamée de Donetsk (DNR). On peut lire sur le site Myrotvorets : « cette liste des journalistes est entre nos mains. Nous ne savons pas quelles seront les conséquences de la publication de cette liste, mais nous savons certainement qu’il est nécessaire de la publier car ces journalistes collaborent avec les combattants d’une organisation terroriste« .
Paul Gogo, journaliste français correspondant pour Libération et Ouest-France, est arrivé en Ukraine en avril 2014. Il y a encore un mois, il était à Kiev pour couvrir les événements qui secouent le pays. Selon lui, la divulgation de ces informations est surtout problématique pour les journalistes ukrainiens, considérés comme des traîtres pour s’être rendus dans les régions contrôlées par les séparatistes.
«Un journaliste français rencontre moins de difficultés, reçoit plus de soutien même si franchir les check-points requiert des autorisations du SBU (les services de renseignements ukrainiens), et la communication de plusieurs informations comme les plaques d’immatriculations des voitures empruntés. » remarque-t-il.
Le journaliste voit d’un mauvais oeil le soutien que certains hommes politiques ont pu témoigner à l’initiative de Myrotvorets. Cette affaire aurait-elle été fomentée par les autorités ? Le SBU serait-il le fournisseur de ces informations ? Rien ne permet de l’affirmer mais on sait qu’une enquête a été ouverte par ce bureau pour déterminer si oui non ces journalistes soutenaient les séparatistes.
Alors que Maïdan a fait naître un espoir de renouveau en Ukraine, la situation actuelle s’apparente plus à la désillusion. La publication du scandale des Panama Papers, où le nom du président Porochenko apparaît, n’aide pas. « Lorsque l’Ukraine se décourage, elle s’en prend à la presse » ajoute Paul Gogo. Alors que le pays fait face à une crise politique prolongée, le meilleur bouc-émissaire reste la Russie de « Poutler » (acronyme de Poutine et Hitler), considérée comme responsable des maux du pays. Difficile dans ce contexte de s’en prendre à un site pro-ukrainien, à l’heure où l’unité nationale est nécessaire. « En ce moment, il n’est pas possible d’écrire un article critique sur Porochenko » juge le journaliste français.
Si la divulgation de ces informations ne change pas la façon de travailler de Paul, elle révèle une dégradation des conditions de travail des journalistes en Ukraine et un retour aux vieilles méthodes mises en oeuvre avant Maïdan. Dunja Mijatovic, représentante de l’OSCE pour la liberté des médias, a également commenté la publication de ces données. Elle l’a qualifiée de « démarche inquiétante qui pourrait mettre davantage en danger les journalistes« . Selon elle, il est préoccupant que certains d’entre eux aient déjà reçu des menaces.
Le classement pour la liberté de la presse établit chaque année par RSF plaçait cette année l’Ukraine à la 107ème place sur 180.