Producteur prolifique et extrêmement populaire, Stephen J. Cannell a signé avec Un Flic dans la Mafia une très grande série. Retour sur une œuvre essentielle et méconnue.
On lui doit quelques unes des séries les plus populaires des années 70 et 80, des Têtes Brûlées à Agences Tous Risques en passant par Rick Hunter, 21 Jump Street ou 200 Dollars plus les Frais, mais dans le CV de Stephen J. Cannell, deux séries sont pourtant moins citées lorsque l’on évoque son travail: Sa série maudite Profit et son chef-d’œuvre, Wiseguy, traduit chez nous par Un Flic dans la Mafia, série de 72 épisodes qui durant quatre saisons tint en haleine tous ceux qui s’y intéressèrent et qui ne purent que constater la puissance narrative et la densité du sujet ce que avouons-le on n’attendait pas forcément de la part de Cannell, du moins dans de telles proportions. Non pas que ce dernier était mésestimé mais il avait fait son credo de proposer des séries destinées au très grand public, avide de divertissement et de légèreté, son succès reposant en grande partie sur des éléments fonctionnels simples Avec son complice Frank Lupo, Stephen J. Cannell va pourtant produire une très grande série, noire et profonde, drôle et sombre, intense et spectaculaire nervurée de ci, de là de moments à la lisière de la tragédie contemporaine la plus crue. Avec Un Flic dans la Mafia, voici une série noire de geai à l’écriture maîtrisée et portée par des personnages d’anthologie. Construite en arcs et servie par des scénarios et des dialogues extrêmement touffus, Un flic dans la Mafia est une vraie saga sur le crime organisé qui déploie sa toile pour montrer les collusions entre les différentes branches du milieu et le monde des affaires (show business, prêt-à-porter..) décrit toutes sortes de trafics (armes, drogue…) et toutes sortes de milieux louches. Portée par une remarquable distribution menée par le trio Ken Wahl, Jonathan Banks et Jim Byrnes, les seconds rôles ne sont pas moins réussis, chaque arc charriant son lot de personnages passionnants et de personnalités loufoques ou barrées interprétés par des comédiens exceptionnels: William Russ, Kevin Spacey, Ray Sharkey, Joan Severance, Jerry Lewis….
Cette écriture stylisée se permettait d’être audacieuse en mettant au cœur du récit des personnages jamais stéréotypés et toujours tiraillés par leurs obsessions ou leurs ambitions. Jamais tout à fait blancs ou noirs, mais gris, rempli d’aspérités et en proie à leurs démons intérieurs. Cela dessinait en creux une terre de contrastes où le bien et le mal se mélangeait dans un pas de deux constant et où les fêlures des uns faisaient écho aux fragilités des autres. Au fil des épisodes, son héros, Vinnie Terranova, perclus de doutes et de culpabilité, rongé par son devoir et par les préceptes moraux qu’on lui a inculqués, brisé par sa fonction de flic infiltré et par les mensonges qu’il doit faire non seulement à sa famille mais également à ceux qu’il espionne pour mieux les piéger, va dévoiler un visage multiple, celui d’un homme qui perd peu à peu pied et dont les repères se délitent. Ken Wahl, lui prête ses traits et impose une subtilité loin d’être évidente au premier abord. Il restitue avec gravité et intensité tout un camaïeu de sentiments, sa trajectoire au fil de la série en fait un personnage bouleversant d’humanité.
Jonathan Banks (Better Call Saul) dans le rôle de Frank McPike et Jim Byrnes dans celui d’Oncle Mike ne sont pas en reste, la densité de leurs personnages et de leur interprétation donne lieu à des épisodes proprement remarquables et la force de la relation que vont nouer les trois hommes au fil du temps va permettre à la série de grimper crescendo en terme d’intensité dramatique. On l’a dit les personnages secondaires ont eus pour interprètes des comédiens souvent formidables mais on en retiendra plus spécifiquement deux: Ray Sharkey (Sonny Steelgrave), figure de proue à la fois brutale et séduisante du premier arc et nemesis de Vinnie qui deviendra le cœur de ses tourments professionnels et Mel Profitt (interprété par un Kevin Spacey exceptionnel, parano, accro aux amphétamines et en bute à une relation extrêmement trouble avec sa sœur Susan (Joan Severance). Série d’espionnage, tel un page turner addictif où tous les ingrédient du roman noir sont réunis grâce aux multiples ramifications et sous-textes induits par l’ensemble, Un flic dans la Mafia parle aussi et essentiellement de la famille sous tous ses aspects: la famille mafieuse, la famille que l’on se crée, celle que l’on subit… La foi de Vinnie dont le frère Peter est prêtre (et longtemps le seul au courant de son travail sous couverture) est également au centre de nombreuses intrigues et amplifie la richesse thématique de la série. La psychologie des personnages est telle que même ceux qui apparaissent comme moins importants trouvent à un moment ou à un autre un développement qui permet de voir sous un autre angle les répercussions en filigrane sur le récit . Magnifiquement filmé, cette série sombre, portée par les magnifiques accords du thème de Mike Post allie à la fois la forme et le fond avec une maestria qui, même 30 ans après, laisse pantois. Ken Wahl en conflit avec les producteurs quitta la série et n’est donc pas présent dans la saison 4 où le procureur Michael Santana interprété par Steven Bauer devient pour 9 derniers épisodes le personnage central. La série n’en est pas moins passionnante de bout en bout quand bien même l’absence de Ken Wahl lui fut préjudiciable mais la magie des trois premières saisons s’est étiolée. Si la fin n’est pas à la hauteur de l’ensemble, Un Flic dans la Mafia recèle tant de qualités qu’il est urgent de la replacer dans la hiérarchie des grandes séries télévisées, qui, bien avant, ce nouvel âge d’or avec lequel on nous bassine, faisait les grandes heures des networks.
Parfois, des producteurs sont touchés par la grâce sans qu’on ait pu s’y attendre et dans un parcours balisé, populaire et agréable une œuvre sort du lot, atypique, forte, puissante qui vient sertir leur couronne d’un diamant brut. Un Flic dans la Mafia est celui de Stephen J. Cannell, et la qualité de l’œuvre rend d’autant plus cruelle l’absence d’une édition vidéo (pour des questions de droit essentiellement semble t-il) à la hauteur de cette immense série.