Mardi 1er mars, 14 Etats américains votent aux primaires républicaines et démocrates. Etat des lieux à deux jours d’un scrutin déterminant.
Le Super Tuesday est une institution aux Etats-Unis : traditionnellement, c’est la journée de février ou de mars où le plus grand nombre d’Etats votent en même temps aux primaires. Fort potentiel et risque élevé, il peut faire et défaire les candidats.
Ce mardi, ce sont 14 Etats qui voteront aux primaires républicaines et démocrates, dont l’Alabama, l’Arkansas, le Colorado, la Géorgie, le Tennessee, le Texas, le Vermont et la Virginie. Le but pour les candidats : amasser des délégués pour remporter la nomination aux conventions des deux grands partis cet été.
Primaires démocrates : victoire annoncée d’Hillary Clinton
Candidats :
Hillary Clinton, 68 ans
Bernie Sanders, 74 ans
Chez les démocrates, le champ parait libre pour une large victoire d’Hillary Clinton, ce qui achèverait de la mettre fermement sur les rails pour la dernière étape : sa nomination en tant que candidate officielle du parti démocrate. Après avoir gagné samedi 27 février la Caroline du Sud avec un score de 73,5%, Clinton semble avoir trouvé ce qui lui avait fait défaut durant les premiers temps des primaires, quand le candidat socialiste Bernie Sanders l’avait débordée par la gauche, la mettant en péril dans l’Iowa le 1er février (49,9% pour Clinton, 49,6% pour Sanders) et en remportant le New Hampshire le 9 février (60% pour Sanders). En Caroline du Sud, le vote noir, notamment, a été crucial pour Clinton. La presse outre-atlantique est assez unanime pour annoncer la fin de la « Révolution Sanders ». Des récents sondages donnent à Hillary Clinton une solide avance dans le Tennessee (60% contre 34%), en Géorgie (64% contre 30%) et dans le Vermont (59% contre 38%), Etat dont Sanders est pourtant sénateur. Sauf imprévu (juridique, notamment), le Super Tuesday devrait être une bonne journée pour Hillary Clinton.
Avec une candidate Clinton, le parti démocrate maintiendrait sa ligne traditionnelle, faite de libéralisme et de progressisme social. Si des voix importantes dans le parti se font entendre en faveur de Bernie Sanders, l’heure n’est pas à une scission chez les démocrates. En cas de victoire de Clinton au Super Tuesday, l’avance de la candidate serait cimentée et le chemin vers la convention largement aplani.
Primaires républicaines : Trump inarrêtable ?
Candidats:
Donald Trump, 69 ans
Marco Rubio, 44 ans
Ted Cruz, 45 ans
John Kasich, 63 ans
Ben Carson, 64 ans
La situation est bien plus chaotique chez les Républicains. Le candidat populiste Donald Trump est de mieux en mieux placé pour remporter la nomination. Son succès fulgurant (il a remporté 3 des 4 primaires jusqu’à présent) laisse l’establishment républicain sur la touche, hagard. Les hauts gradés du GOP (Grand Old Party, nom du parti républicain) ne s’attendaient pas à Trump. Durant l’automne puis l’hiver 2015, ils n’ont pas su réagir et ont assisté à la montée en puissance de cet outsider qui s’est depuis imposé au centre des débats. A la veille du Super Tuesday, il ne s’agit plus de savoir si Trump peut se hisser jusqu’à une nomination, mais qui pourrait bien l’en empêcher.
Les espoirs du GOP reposent sur Marco Rubio, perçu comme un modéré. Après l’abandon de Jeb Bush le 20 février, les grands donateurs du parti et les élus se tournent vers Rubio, qui a reçu le soutien de sénateurs et de gouverneurs influents. Rubio ne s’est pas fait désirer, montant à l’offensive au cours du dernier débat avant le Super Tuesday qui se tenait jeudi 25 février. Les attaques de la part de Rubio contre Trump, au cours de ce débat puis dans les jours qui ont suivi, ont été les plus violentes jusqu’à présent. Des attaques qui ont notamment porté sur l’assurance maladie (Trump ne serait pas assez contre), sur Israel (Trump serait trop neutre), sur l’immigration (Trump aurait embauché des travailleurs illégaux), sur les accointances démocrates du magnat de l’immobilier. L’idée : faire de Trump un faux conservateur, un vrai cynique.
Ted Cruz, le candidat de la droite évangélique qui se bat pour la seconde place, n’est pas en reste et continue d’attaquer Trump. De quoi convaincre les soutiens du Donald que le parti mainstream est véritablement contre lui, et que sa présence disruptive est une preuve éclatante de son authenticité.
De son côté, Donald Trump tape en retour, comme à son habitude. Il y arrive très bien : les attaques, les bons mots, les insultes plus ou moins voilées sont sa marque de fabrique. Et le businessman n’est pas totalement isolé dans le parti : il a pu compter vendredi sur le soutien très inattendu du gouverneur du New Jersey Chris Christie, candidat malheureux qui s’était retiré le 10 février. La nouvelle de ce soutien de taille a été accueillie avec stupéfaction par le monde politique. Christie est une figure respectée du GOP et son soutien pourrait ouvrir la voie à d’autres figures républicaines qui, convaincues ou intéressées, rejoindraient le camp Trump et aggraveraient la scission interne.
John Kasich, gouverneur de l’Ohio, est le candidat modéré qui refuse de se laisser aller aux attaques ad hominem et à la foire d’empoigne que sont devenus les débats républicains. Homme d’expérience, il compte sur les faiblesses structurelles des autres candidats plus médiatiques pour gagner des voix sur le terrain. Il est arrivé deuxième dans le New Hampshire, 4ème en Caroline du Sud et dans le Nevada.
Les républicains (dont Mitt Romney, candidat malheureux à la présidentielle de 2012) le pressent de se désister pour unir plus fermement le parti derrière un seul candidat — nommément, à ce stade : Rubio. Mais Kasich tient bon et croit en ses chances. Son plan : gagner son état, l’Ohio, le 15 mars, et unir le parti derrière lui jusqu’à la convention. Surtout si, le même jour, Marco Rubio perd son état à lui, la Floride. « Si je ne gagne pas mon Etat, je pars. Mais vous savez quoi, je vais gagner l’Ohio » a déclaré Kasich dans un meeting samedi, ajoutant : « S’ils ne peuvent pas gagner leur Etat, les autres candidats doivent partir aussi. »
Rubio, Cruz et Kasich parient sur une même stratégie, plus ou moins avouée : arriver deuxième en nombre de délégués à la convention en juillet et batailler dur pour renverser Trump en petit comité. C’est ce qu’on appelle une brokered convention : sans majorité claire de délégués, le nomination se fait en interne dans des « salles enfumées », délégués par délégués, voix par voix.
En attendant, Rubio doit réussir deux choses : émarger à au moins 20% dans chaque Etat du Super Tuesday (si possible en battant Cruz dans son Etat, au Texas, pour le forcer à abandonner la campagne et lui laisser le champ libre), et gagner un ou deux Etats. Dans un tel scénario, l’avance de Trump en nombre de délégués ne serait pas encore définitive, et Rubio pourrait la rattraper en remportant la Floride le 15 mars.
Le GOP « disloqué »?
La grande peur des candidats du GOP peut se résumer à ceci : que Trump, par son populisme brassant large, ses déclarations tonitruantes et son je-m’en-foutisme auto-financé, capte les voix de ces républicains pragmatiques cherchant un leader et pas un politicien. Une attraction qui pourrait s’étendre de la droite évangélique jusqu’au centre-droit modéré du little guy qui, en votant pratique, cherche quelqu’un capable d’agir, et de réussir.
Trump fait voler en éclat le mouvement conservateur en s’emparant des peurs et des espoirs d’une large base de la population de droite, et les enveloppe dans une rhétorique de winner, politiquement décomplexée. En somme, il a clairement acheté son brevet de conservateur au rabais sur Internet, mais les électeurs le suivent, car Trump leur parle d’immigration, de succès économique et de prédominance américaine dans le monde bien mieux que les autres — en tout cas en criant plus fort.
Marco Rubio a déclaré vendredi que le parti républicain « se disloquerait » si Trump était nominé. « Il pourrait devenir le nominé, et on ne laissera pas ça arriver. En aucune manière peut-on accepter que le parti de Reagan ou le mouvement conservateur soit confisqué par un charlatan. »
Mitch McConnell, leader de la majorité républicaine du Sénat, a lui conseillé aux sénateurs se préparant à faire campagne pour leur réélection cette année de se démarquer clairement de Trump si cela pouvait les aider. Les Républicains craignent de perdre leur majorité à la Chambre haute en cas d’une nomination Trump. En plus de perdre la présidentielle face à Clinton.