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Les vampires au cinéma : Dracula, Tod Browning (1931)

Après avoir présenté Nosferatu de Murnau, nous allons, dans le cadre du cycle sur les vampires au cinéma, nous pencher sur la deuxième des plus célèbres adaptations du roman de Bram Stoker : Dracula, film américain réalisé par Tod Browning et sorti en 1931. A l’époque de la création du film, le 7e art vit une époque charnière : en effet, l’âge d’or du cinéma muet est révolu et le cinéma parlant commence à imposer ses innovations en matière de réalisation. Dracula de Tod Browning pourrait ainsi être apparenté à une forme de cinéma expérimental, créatif et innovant, bâtissant les codes d’un nouveau langage cinématographique.

Contrairement au Nosferatu de Murnau, cette nouvelle version de Dracula est bien officielle. Au début des années 30, les studios Universal décidèrent d’adapter le célèbre roman de Bram Stoker, ou plus précisément une pièce de théâtre qui en était inspirée et qui triomphait à l’époque à Broadway – avec un certain Béla Lugosi dans le du vampire. Pour interpréter le comte Dracula, les producteurs avaient initialement pensé à Lon Chaney, grand acteur du cinéma muet connu pour sa polyvalence et surnommé « l’homme aux mille visages », mais ce dernier décéda brutalement en 1930 d’un cancer des bronches et Béla Lugosi fut choisi pour le remplacer. Ce ne fut pas un mal, car Lugosi avait joué le rôle des centaines de fois et s’était littéralement imprégné du personnage, à tel point que certaines rumeurs affirment encore aujourd’hui qu’il était véritablement un vampire – légende corroborée par le fait qu’il était né en Transylvanie.

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Comme dans la plupart des adaptations filmées de Dracula, le scénario est légèrement modifiée par rapport à l’histoire originale : Renfield, chargé de conclure une transaction immobilière avec le comte Dracula, se rend dans son château des Carpates, où l’aristocrate, qui s’avère être un vampire, va l’hypnotiser pour le mettre sous ses ordres. Débarqué en Angleterre, Dracula ne tarde pas à créer de nouveaux semblables parmi la société locale en commençant par la jeune Lucy, fille du directeur de l’asile…

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Le Dracula de Tod Browning est un grand classique du cinéma ainsi que l’un des tous premiers films fantastiques de l’ère du parlant. C’est une œuvre qui est à la fois très ancrée dans la culture poétique et romantique européenne puis règlementée par les codes du cinéma américain. De cette double identité culturelle résulte une alliance fascinante entre réalisme cruel et impassible et onirisme terrifiant. Le film livre une approche théâtrale de l’histoire de Dracula avec des décors monumentaux et luxueux certes caractéristiques du gigantisme hollywoodien, mais avec une mise en scène figée, peu rythmée et finalement effrayante que l’on pouvait rencontrer sur les planches de Broadway. D’ailleurs, le scénario est beaucoup plus proche de la pièce de théâtre dont il est inspiré que du livre de Bram Stoker ; mais qu’à cela ne tienne, l’univers romanesque d’origine est bien conservé. La plupart des critiques voient dans cette adaptation une réussite esthétique, belle mais sans vigueur, peinant à trouver le petit détail technique qui en ferait une œuvre de génie. Pourtant, la qualité cinématographique du long-métrage reste très honnête dans l’ensemble.

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Il convient tout d’abord de souligner que le film est dénué de musique narrative : seuls le générique et une scène de concert sont accompagnés respectivement par la Danse des Cygnes de Tchaïkovski et par l’ouverture des Maîtres chanteurs de Nuremberg de Richard Wagner. On ignore encore si l’absence de musique était liée aux difficultés économiques de la Grande Dépression, à une technologie bancale – ce qui ne serait pas étonnant vu qu’il s’agit d’un des premiers films parlants –, ou à un choix purement volontaire du réalisateur. Le silence glaçant qui perdure alors tout au long du film permet d’installer une atmosphère angoissante unique, emblématique des films d’épouvante des années 1930. La réalisation de Tod Browning, particulièrement soignée et d’une efficacité horrifique exemplaire, est alliée à une somptueuse photographie en noir et blanc offrant des contrastes de lumières parfaitement adaptés au genre.

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Ce Dracula est dominé par la prestation de Béla Lugosi, profondément habité par son rôle de vampire qu’il vit chaque seconde comme la consécration de toute une vie. Lors de sa préparation, il insista pour apparaître à son avantage, c’est pourquoi l’on appliqua un fond de teint vert sur son visage et que l’on redessina l’implantation de ses cheveux. Dans l’imaginaire collectif, Béla Lugosi reste le meilleur Dracula de l’histoire du cinéma, le plus sincère et le plus captivant. Par son interprétation hallucinée, il a introduit au cinéma l’image canonique du vampire dépeinte par Bram Stoker dans son roman. Un peu moins de dix ans après la créature hideuse et monstrueuse de Nosferatu, on passe à un vampire mondain et distingué, ainsi qu’à une véritable figure aristocratique. Dans le film, le château et les appartements de Dracula, bien que complètement délabrés et envahis par les toiles d’araignées, font montre d’un certain raffinement et d’une grandiloquence réservés à la haute société. D’ailleurs, le Dracula incarné par Béla Lugosi est richement vêtu, distingué et très maniéré, démontrant ainsi son appartenance à une certaine noblesse.

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Béla Lugosi est le premier acteur à avoir donné une telle consistance au personnage de Dracula. Si certains diront que ses origines hongroises et son accent fortement marqué lui ont permis de s’approprier le rôle plus facilement, il convient de rendre à César ce qui est à César. Car c’est bien Lugosi qui a matérialisé cette image, très ancrée dans la culture populaire, du vampire comme séducteur maléfique doté d’un sourire démoniaque et d’un regard flamboyant, sorte de non-mort envahi par le spleen et la mélancolie. Dracula étant un film du pré-code – donc tourné avant l’application du code de censure Hayes – reflète l’attitude libertaire de certains films des années 20 et 30. Il s’agit en effet de l’un des premiers films où l’érotisme est clairement rattaché au sang et à la mort – ce qui nous permet d’aborder une nouvelle fois après Nosferatu, l’association d’Eros et de Thanatos.

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Outre la prestation de Béla Lugosi, on retiendra également un casting de choix. Dwight Frye excelle dans le rôle de Reinfield, un jeune promoteur immobilier rendu fou par le vampire. Son personnage est particulièrement intéressant car il permet d’aborder un thème central de l’œuvre de Bram Stoker : la folie. Mais indépendamment du spectacle de la folie, c’est davantage la frontière entre l’aliénation et la raison qui est mise en scène. Le personnage d’Abraham Van Helsing, interprété par Edward Van Sloan, est également intéressant dans la mesure où il est assez réaliste. C’est un scientifique calme, pragmatique et peu démonstratif qui contraste évidemment avec le charisme de Dracula et livre une personnification très naturelle du personnage.

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Ainsi, le Dracula de Tod Browning est un film incontournable de l’histoire du cinéma américain et de l’histoire du cinéma en général. S’il ne peut évidemment pas rivaliser avec le génie de Murnau, il n’en demeure pas moins une œuvre admirable et captivante, explorant les possibilités du 7e art. Il est également un film crucial pour l’imagerie populaire des vampires, et ce, essentiellement grâce à la prestation de l’inoubliable Béla Lugosi, qui cristallisa définitivement la présence du vampire sur grand écran.

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