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Les vampires au cinéma : Nosferatu, une symphonie de l’horreur, Friedrich Wilhelm Murnau (1922)

Le cinéma fantastique possède un bestiaire particulièrement riche et diversifié, mais il y a parmi tous ces monstres un spécimen qui a particulièrement inspiré les réalisateurs d’hier et d’aujourd’hui. Le vampire, cette créature légendaire se retrouvant dans toutes sortes de culture à travers le monde, a été popularisé en Europe dès le début du XVIIIe siècle puis connut la consécration avec le roman de Bram Stoker, Dracula, publié en 1897. La complexité du personnage et les thèmes entourant le vampirisme sont devenus un véritable mythe que le cinéma a contribué à amplifier. C’est pourquoi la rédaction se propose de retracer l’histoire des vampires au cinéma, à travers l’analyse de différents films phares et cultes, à commencer par Nosferatu, une symphonie de l’horreur de Friedrich Wilhelm Murnau.

Film muet sorti en 1922, Nosferatu est le premier véritable succès cinématographique adapté du roman de Bram Stoker, bien qu’il n’en soit pas une adaptation officielle, car non-autorisée par les ayants droit. Certains noms et détails du film ont été changés par rapport à l’histoire originale pour éviter toute accusation de plagiat, mais cela n’empêcha pas la veuve de l’auteur britannique d’intenter un procès à Murnau en 1925. Nosferatu n’est pas la première adaptation de Dracula ; un réalisateur hongrois en avait réalisé une version en 1921, mais le film est aujourd’hui considéré comme perdu – tout comme d’autres adaptations plus obscures d’ailleurs. Quoi qu’il en soit, Nosferatu marque le début d’une carrière exceptionnelle au cinéma, celle du vampire comme personnage populaire du film fantastique.

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L’histoire de Nosferatu : Knock, un notaire et agent immobilier de réputation douteuse, envoie son jeune secrétaire Hutter, dans la lointaine Transylvanie pour y rencontrer le comte Orlok, désireux d’acquérir une maison à Wisborg, leur ville portuaire au nord de l’Allemagne. Tout excité à l’idée de conclure cette affaire, Hutter s’en va laissant derrière lui son épouse Ellen, qui ne peut s’enpêcher d’être inquiète. Les pressentiments de la jeune femme vont se confirmer lorsque Hutter atteint le château d’Orlok dans les Carpates, après un voyage semé d’embûches. Le mystérieux comte, interprété par Max Schreck, est un vampire qui rend visite à son invité pendant la nuit. Toutefois, après avoir découvert un portrait d’Ellen dans les bagages de Hutter, le monstre ne s’intéresse plus qu’à elle. Totalement hanté par sa vision, il quitte le château à l’improviste et prend un bâteau pour Wisborg. Hutter pense être plus rapide que lui, mais malheureusement, Orlok le précède et s’installe dans sa nouvelle patrie, amenant la peste avec lui. Un vampire ne pouvant mourir que si une femme vierge accepte de lui offrir son amour, Ellen se sacrifie pour sauver sa ville en attirant le vampire chez elle.

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Véritable chef-d’œuvre du cinéma expressionniste allemand et pierre angulaire du cinéma d’horreur, Nosferatu de Murnau demeure aujourd’hui l’un des plus grands films de l’Histoire. Il s’inscrit, comme la plupart des films du réalisateur, dans la grande tradition du romantisme allemand et révèle son style sombre et tourmenté qui évoque l’expressionnisme pictural et poétique du début du XXe siècle. Nosferatu doit principalement son statut de chef-d’œuvre à son esthétique troublante, marquée entre autre par d’excellents jeux d’ombres et de lumières et l’utilisation de décors naturels dont le réalisateur exploite l’aspect inquiétant – d’un petit village allemand teinté d’une ambiance insouciante, aux contrées lugubres encerclant le domaine du vampire, tous les paysages du film apportent une puissance dramatique à l’histoire. Des moyens d’expression filmiques étonnants sont alors mis en œuvre, notamment lorsque le réalisateur utilise un filtre négatif pour représenter le voyage d’une diligence fantôme au cœur d’une forêt obscure. Nosferatu est un authentique témoignage du talent de Murnau, styliste brillant explorant les possibilités du 7e art, domaine sur lequel il laissa une empreinte indélébile.

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Tout au long du film, il émane de la stratégie mise en place par Murnau pour créer une atmosphère inquiétante, la métaphore de l’araignée et de sa toile. En atteste la séquence de la traversée où le vampire est filmé en contreplongé, se déplaçant furtivement devant les cordages du navire qui évoquent ainsi les fils d’une toile. On peut également apercevoir lors d’une expérience du professeur Bulwer (équivalent du professeur Van Helsing), une plante carnivore engloutir une mouche – le parallèle semble ici évident. En qualité de prince du Mal, Nosferatu, alias le comte Orlok, est l’incarnation de l’ombre, la négation de la lumière ; de ce fait, plus il répand le malheur autour de lui, plus les ténèbres envahissent les images du film. Dans le même esprit, la confrontation du monstre avec ses victimes est constamment mise en scène dans le sens d’une négation visuelle. Le réalisateur y parvient à l’aide d’un éclairage inversé entre le vampire et la proie. Nosferatu est une ombre cauchemardesque, une créature terrifiante aux griffes acérées, se jetant sur sa proie tel un animal prédateur. Murnau utilise d’ailleurs plusieurs fois l’accéléré pour représenter les méfaits du vampire, comme lorsqu’il prépare son voyage pour Wisborg et charge à toute allure sur une voiture à chevaux les cercueils pleins de terre. L’accéléré permet de montrer que la créature n’est pas astreinte à la temporalité humaine.

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Il est vrai que dans le film de Murnau, le vampire est représenté sous la forme d’une créature monstrueuse, surmontée d’un crâne difforme duquel jaillissent deux oreilles pointues et arborant des mains décharnées aux ongles anormalement longs et recourbés. Cette silhouette fantomatique et longiligne à la carrure compressée déambule tel un mort-vivant, ses dents de carnassier bien en évidence. L’apparence bizarre de ce comte Orlok est l’une des principales raisons expliquant la popularité persistante de Nosferatu. En effet, ce monstre n’a rien à voir avec le personnage du roman de Bram Stoker et est aussi grotesque qu’effrayant. Il s’apparente à un véritable personnage de cauchemar qui démontre l’absurdité et la force de l’imagination quand elle est en proie à l’angoisse. C’est pourquoi la scène où l’on aperçoit son ombre gravir imperturbablement des escaliers le menant à sa proie demeure l’une des images les plus marquantes de l’histoire du cinéma. Cette image illustre parfaitement un principe phare des procédés de réalisation : au cinéma, une ombre n’est jamais anodine.

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Un vampire aussi extravagant que celui interprété par Max Schreck dans Nosferatu n’est peut-être jamais réapparu au cinéma – même dans le remake homonyme de Werner Herzog. Nosferatu est en fait clairement présenté comme une créature venant d’un autre monde ou encore comme un fantasme sorti d’un rêve. Lorsqu’il pénètre dans la chambre du jeune Hutter, c’est comme s’il planait au-dessus du sol. Et quand il débarque dans le petit village de Wisborg, les ombres s’installent avec lui. Murnau insiste particulièrement sur l’arrivée du vampire en faisant glisser dans le port le bateau sur lequel il se trouve, comme s’il était conduit par un spectre. Un peu plus tard, des hommes vêtus de noir marchent en procession dans la ville, ce sont des fossoyeurs qui conduisent à la fosse commune les habitants morts de la peste dans la nuit suivant l’arrivée du comte Orlok.

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Certains critiques ont également vu dans Nosferatu, l’image d’un fantasme érotique : une forme de récit suggestif sur les profondeurs abyssales du désir humain. Il est vrai que la relation d’Ellen au vampire paraît très sombre. La jeune femme nostalgique est liée au comte par une mystérieuse télépathie et partage avec lui l’habitude de se promener dans la nuit. C’est d’ailleurs grâce à une sorte de rêve somnambulique qu’elle parvient à écarter le comte Orlok de son mari sans défense. Une autre scène particulièrement énigmatique la présente sur la plage, en regardant la mer d’où viendra non pas son mari, mais le vampire… Son sacrifice pourrait se comprendre comme le désir de s’abandonner à la peur et de céder à un amant inquiétant. Avec Nosferatu, on rencontre donc pour la première fois au cinéma, la fameuse association d’Éros et de Thanatos, soit du désir sexuel et de la mort. Le fait que le sacrifice d’une femme au cœur pur soit le seul moyen d’éliminer un vampire est également lourd de sens, car c’est la beauté qui distraira le vampire jusqu’au matin où il succombera aux premiers rayons de soleil.

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Nosferatu est sans aucun doute l’un des plus beaux films de vampires et l’un des plus grands chef-d’oeuvres du 7e art. Il est selon Jacques Lourcelles, écrivain et scénariste français : « l’un des cinq ou six films essentiels de l’histoire du cinéma, et sans doute le film muet capital […] Film aux multiples aspects, Nosferatu est avant tout un poème métaphysique dans lequel les forces de la mort ont vocation – une vocation inexorable – d’attirer à elles, d’aspirer, d’absorber les forces de vie »…

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