Alors que l’unanimisme en faveur de Charlie Hebdo, élevé au rang de symbole de la liberté d’expression française, est de rigueur, quelques voix discordantes se font entendre. Les plus remarquées sont celles d’anciens chroniqueurs de l’hebdomadaire satirique. Delfeil de Ton accuse ainsi, dans une chronique publiée dans l’Obs, l’ancien rédacteur en chef et dessinateur Charb d’avoir « traîné son équipe » à la mort. En 2013, Olivier Cyran, lui aussi ancien de la « bande à Charlie », avait déjà pointé une évolution obsessionnelle contre l’islam qui marquait selon lui de plus en plus la rédaction.
« Je t’en veux vraiment Charb »
Delfeil de Ton, pseudonyme d’Henri Roussel, lance un gros pavé dans la mare une semaine jour pour jour après la tuerie tragique. Dans une chronique de l’Obs, le journaliste, âgé de 80 ans et l’un des fondateurs du journal satirique, s’en prend vivement à Charb qu’il accuse d’avoir « trainé son équipe » à la mort. Selon lui, l’ancien rédacteur en chef a infesté Charlie hebdo de caricatures d’un degré de provocation obscène.
Rappelant l’incendie des locaux du journal de novembre 2011, qui avait sans doute pour cause une caricature du prophète Mahomet en une, Henri Roussel s’interroge sur l’insistance de Charb : » Il était le chef. Quel besoin a-t-il eu d’entraîner ses amis dans la surenchère ? ».
Réaction indignée du camp Charlie
L’avocat de Charlie Hebdo depuis vingt ans, Richard Malka, n’a apparemment pas accepté la publication d’un article discordant à l’adoration actuelle pour l’hebdomadaire. Possédant un réseau des plus fournis (il a défendu pêle-mêle le couple Strauss-Kahn-Sinclair, Clearstream ou encore Benny Steinmetz, l’une des plus grosses fortunes d’Israël), Malka aurait envoyé un texto « scandalisé » à Matthieu Pigasse, l’un des actionnaires du Nouvel Observateur. Il a par ailleurs déclaré : « Charb n’est pas encore enterré que L’Obs ne trouve rien de mieux à faire que de publier sur lui un papier polémique et fielleux ».
En 2013, un ancien accusait déjà
Si la plupart des médias notent que la réaction d’Henri Roussel est le « seul et unique témoignage » dans ce sens (Le Figaro), il ne faut pourtant pas remonter trop loin dans le temps pour pêcher une critique d’un ancien du journal. Olivier Cyran, qui a travaillé à Charlie de 1992 à 2001 avant de plier bagage, atterré par « la conduite despotique et l’affairisme ascensionnel » de Philippe Val (ancien directeur de l’hebdomadaire, aujourd’hui directeur de France Inter), avait égratigné la ligne éditoriale du journal dès 2013. Dans une longue tribune, il fustigeait une dérive islamophobe patente, résumant l’idéologie de l’hebdomadaire en ces termes : le « muslim bashing ripoliné en défense intransigeante de la liberté d’expression est devenu votre tête de gondole ».
L’ancien chroniqueur avait aussi rappelé l’existence de « l’affaire Siné », subtilement écartée par nos médias français. Montrant avec vigueur la différence de traitement que Charlie Hebdo fait subir aux religions, il réveille une vieille accusation portée contre le journal : « On oublie l’épisode Siné ou il faut vous faire un dessin ? Un constat avéré d’islamophobie, et c’est l’éclat de rire. Une mensongère accusation d’antisémitisme, et c’est la porte. Cette affaire remonte aux années Val, mais la pleutre approbation que votre patron d’alors a recueilli auprès de « toute la bande », et plus particulièrement auprès de toi, Charb, démontre que le deux poids deux mesures en vigueur à cette époque n’était pas le fait d’un seul homme. »
Ces deux anciens comparses de l’hebdomadaire satirique dénotent donc fortement des applaudissements et soutiens actuels dont bénéficient les rédacteurs survivants de Charlie. Un pavé dans la mare qui ne fait pour l’instant pas trop d’éclaboussures.
Antoine Morange