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5 éléments pour comprendre… l’incarcération de Fabien Azoulay

«Je ne tiendrai pas», Fabien Azoulay explique le cauchemar qu’il vit dans une lettre datant du 6 juin 2020. Battu et brûlé en prison, ce Français  de 43 ans raconte l’enfer de prisons turques, où, comme il le décrit, son homosexualité et sa confession juive font de lui une cible idéale pour ses codétenus. Condamné à plus de 16 ans d’emprisonnement, il réclame le droit d’effectuer le reste de sa peine en France.

1. Pourquoi Fabien Azoulay a été arrêté ? 

Tout commence en 2017, lorsque Fabien Azoulay, un français de 43 ans vivant aux États Unis, part quelques jours à Istanbul pour se faire poser des implants capillaires. Arrivé à l’hôtel, il commande sur internet du GBL, un solvant industriel stimulant, parfois détourné et utilisé comme une drogue, par des jeunes notamment en boite de nuit. Ce produit est interdit en Turquie mais le quadragénaire affirme qu’il ne le savait pas. 

« C’est un détergent pour les jantes de voiture, qui avait été interdit en Turquie six mois plus tôt, ce qu’ignorait mon client. Il s’est fait livrer ce flacon à son hôtel en toute bonne foi », a déclaré son avocate, Carole-Olivia Montenot, avant d’ajouter : « Ce produit avait été interdit par décret quelques mois auparavant en Turquie. Or, le site Internet qui propose le produit à la vente n’avait pas actualisé la liste des pays qui l’interdisaient. Au moment de la commande, Fabien Azoulay ignorait donc que ce produit avait été classé comme stupéfiant en Turquie.

Dès la livraison du produit, il est interpelé, puis jugé l’année suivante pour « trafic et consommation de drogue ». Il écope d’abord de 20 ans de prison. Sa peine est ensuite ramenée à 16 ans et 8 mois. Une fois sa peine confirmée en appel, une demande de transfert en France a été déposée en mai 2019 par ses avocats. Mais selon Me Montenot, deux ans plus tard, le 12 mars dernier, le Quai d’Orsay n’avait toujours pas reçu le dossier d’Ankara. Il est actuellement détenue à 800 kilomètres d’Istanbul, et si rien ne change il ne sortira qu’en 2034.

2. Pourquoi Fabien Azoulay a été condamné à une peine aussi lourde? 

Le 27 février 2018, Fabien Azoulay est donc condamné par la cour d’assises d’Istanbul à vingt ans de réclusion, durée ramenée par la suite à seize ans et huit mois. A l’annonce de ce verdict, même la traductrice est en larmes. « C’est une peine anormalement lourde », s’indigne son avocate française, qui dénonce un procès « expéditif », de vingt minutes. La veille de l’audience, le juge qui suivait l’affaire a été arrêté pour corruption dans un contexte de purges menées par le président Recep Tayyip Erdogan, explique la pénaliste. « Son remplaçant ne connaissait rien à l’affaire. Il a voulu jouer les bons soldats. Fabien représente tout ce que la Turquie conservatrice déteste. Il est occidental, homosexuel et juif. » Son procès en appel, organisé quelques semaines plus tard, sans audience publique, confirmera la sentence.

D’après le code pénal Turc, la possession et l’utilisation de drogue est punie de 2 à 3 ans de prison, la vente d’au moins 10 ans de prison, et la fabrication, l’export ou l’import de drogue ou de substances stimulantes interdites correspond à une peine entre 20 et 30 ans d’emprisonnement. Fabien Azoulay a donc été accusé d’export de substance stimulante interdite, sanctionnée par l’article 188-1 du Code Pénal Turc. Actuellement 25% de personnes incarcérées dans les prisons turques le sont pour des motifs en lien avec la possession, la consommation ou la vente de drogue. Ce qui correspond à 64500 personnes au total. 

3. Que risque Fabien Azoulay en prison ? 

Fabien Azoulay raconte qu’il est devenu le souffre douleur de ses codétenus. La raison? Il est juif, homosexuel et français : autant de raisons qui lui valent de s’attirer les foudres de ses compagnons de cellules. Bien qu’il ait tenté de dissimuler aux autres détenus son orientation sexuelle, il subit une agression homophobe en novembre 2019. « Un détenu a su qu’il était homosexuel. En pleine nuit, il lui a jeté de l’eau bouillante sur le corps, engendrant des brûlures au second degré. Il a été transféré à l’hôpital », détaille Me Carole-Olivia Montenot. Il explique également que le vrai danger, ce sont les djihadistes, dont les prisons turques sont pleines, qui n’acceptent ni l’homosexualité ni le fait qu’il soit juif. « Il a été victime de violences aggravées commises par un codétenu, qui lui a infligé des brûlures en raison de son homosexualité et de son appartenance à la religion juive», ont indiqué ses avocats, évoquant pour la première fois publiquement son cas, alors qu’il est détenu depuis quatre ans en Turquie. « Ses conditions de détention relèvent d’une atteinte à la dignité humaine », dénonce Sophie Wiesenfeld, docteure en droit et présidente du Comité de soutien de Fabien Azoulay. 

Il dit également être soumis à des prières forcées, être victime de violences physiques et avoir même assisté à un meurtre. « Un type s’est fait trancher la gorge par un groupe de quatre Syriens. Je dormais quand c’est arrivé mais les cris des détenus m’ont réveillé. La vue du sang partout était effrayante, pire que dans un film d’horreur. J’ai appris par la suite que le détenu qui est décédé avait fait des avances à l’un des Syriens et qu’au nom d’Allah, il devait payer de sa vie du fait de son homosexualité », raconte-il dans une lettre.

4. Pourquoi entend-t-on parler de cette tragédie seulement maintenant ? 

Pourtant incarcéré depuis plus de 3 ans, on entend parler de Fabien Azoulay seulement depuis peu. En effet, le grand public est alerté du cauchemar qu’il subit depuis le 10 avril, alors le collectif de soutien à Fabien Azoulay a lancé une pétition pour alerter l’opinion publique. Elle a déjà réuni plus de 110 000 signatures, dont celles de l’ancien conseiller de François Mitterrand Jacques Attali, de la journaliste Caroline Fourest, de l’écrivain Alexandre Jardin, de l’actrice Arielle Dombasle, de l’adjointe à la maire de Paris Audrey Pulvar ou encore l’écrivain Pascal Bruckner. Un chiffre qui grimpe d’heure en heure. Deux lettres écrites par Fabien Azoulay ont également été publiées depuis dans la revue littéraire La Règle du jeu, fondée par l’écrivain Bernard-Henri Lévy.

Retrouvez la pétition juste ici.

Espérons que cette mobilisation fasse bouger les choses. Dans une lettre datant du 6 juin 2020, Fabien Azoulay écrivait déjà : « Quand je regarde mon acte de condamnation qui dit ‘libération le 23/05/2034’, j’ai le cœur qui bat plein pot. Je ne tiendrai pas jusque-là. Je le sais, je le sens, je n’en aurai pas la force». 

5. La France peut-elle agir pour lui venir en aide ? 

Détenu depuis 4 ans dans des conditions tragiques, les proches et les avocats de Fabien Azoulay ont réclamés à plusieurs reprises son rapatriement en France. Mais aujourd’hui, la procédure de rapatriement est toujours dans l’impasse. « La demande de transfèrement de Fabien Azoulay régularisée en novembre 2019 n’a connu aucune évolution depuis bientôt deux ans », peut-on lire dans un communiqué rédigé par ses avocats et datant du 8 avril 2021. Pour Sophie Wiesenfeld, « Fabien Azoulay est une victime collatérale de la mésentente entre la France et la Turquie ». « Nous ne méconnaissons pas ce qui fait que les relations sont distendues entre la France et la Turquie mais il n’est pas admissible que Fabien Azoulay en fasse les frais », peut-on lire dans le communiqué. Même si les relations entre Paris et Ankara semblent s’être réchauffées début mars lors d’un entretien téléphonique entre Emmanuel Macron et son homologue turc Recep Tayyip Erdogan, les tensions sont loin d’être apaisées. Dans ce contexte diplomatique tendu, les avocats de Fabien Azoulay et le comité de soutien se démènent. « On a envoyé des courriers au Quai d’Orsay, à l’ambassadeur turc en France et à l’ambassadeur français en Turquie. Les réponses nous ont donné le sentiment que le ministère aimerait probablement agir mais qu’il ne pouvait pas, qu’il était dans l’attente du feu vert de l’Élysée » dénoncent-ils. Contacté par Le Parisien, le ministère des Affaires étrangères affirme toutefois que ses services à Paris et son ambassade en Turquie sont « pleinement mobilisés sur la situation de M. Azoulay ». Quant au nouvel ambassadeur turc à Paris, Ali Onaner, il a pour sa part réagi :  « À ce stade, il n’y a aucun refus de la part de la Turquie, aucune raison de penser qu’il y aurait une difficulté. Il faut juste laisser la procédure se terminer », a-t-il déclaré, assurant que « la demande de transfèrement avait été faite » et qu’elle suivait actuellement « son cours ».

De leur côté, les avocats ont envoyé une lettre à Emmanuel Macron, qui est restée pour l’heure « sans réponse », d’après Me Carole-Olivia Montenot.

À lire aussi : 5 éléments pour comprendre… la responsabilité de la France dans le génocide des Tutsis au Rwanda

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