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La guerre des terroristes, une déconstruction politique

Produit co-substantiel de la nature humaine, dispositif de la volonté de puissance, la guerre serait « partie intégrante » de notre psyché. Nichée entre évolution et révolution, elle annonce une crise du système politique. Ainsi la transformation des formes de guerre permet de dessiner la morphologie des futures sociétés qu’elle prépare. Désormais la guerre asymétrique et la cyberguerre posent les fondements d’une ère dématérialisée, axée sur le psychique. Ce n’est plus une question de quantité de soldat mais de qualité des frappes. Diabolisé, hautement polysémique, le terme « guerre » fait peur.

Selon Bouthoul, polémologue français, la guerre est une forme de violence organisée et méthodique, limitée dans le temps et dans l’espace, soumise à des règles juridiques variables en fonction des époques. Karma incontestable de l’iréologie, la polémologie, de polémos en grec (théorie de la guerre) est la science de la guerre. Son objectif est de traiter les faits de violence et comportements belligènes comme des faits sociaux grâce au prisme de la phénoménologique : guerre des étoiles, violence sportive, cartel de drogue, guerre économique, cyberguerre ou encore guerre écologique… L’originalité de cette science est qu’elle élit la guerre comme principe là où la paix devient son exception. La distinction entre ces dernières n’est plus si fondatrice ou incontestable.

Pour Carl von Clausewitz, polémologue prussien du début du XIXe, « la guerre est le prolongement de la politique par d’autres moyens ».  La guerre est l’extension logique de la pratique politique. Son chef de guerre, napoléonien, génie militaire et homme charismatique, doit être également un homme politique. Il doit compenser le jeu des possibles afin de construire la meilleure stratégie. La guerre est le régime de la décision poussée à son extrême. Mais en réalité, elle est « la politique », racine et fin de l’exercice du vivre ensemble. Tout dépend de notre manière d’aborder la nature humaine.

Chaque homme aspire à la puissance (Le Gai Savoir, Nietzsche). C’est la volonté vers la puissance. Inhérente à la vie, elle lui est supérieur puisque les fort sont prêts à risquer leur vie pour obtenir plus de pouvoir. Voila l’essence la plus intime de l’être, un impératif interne d’accroissement, « être », « devenir plus » ou périr. De la même manière, la métaphysique du philosophe Hobbes reprend le célèbre adage « l’homme est un loup pour l’homme ». En effet, l’état de nature est un état de guerre perpétuel où chacun est contre tous, cherchant à se conserver, une guerre universelle. Loin de tout déterminisme, ce n’est pas la violence qui est innée dans l’homme mais la volonté plastique de pouvoir, d’«être plus ». Le seul interlocuteur est alors l’Autre. Si l’homme est un animal politique (Aristote) alors il est également un animal guerrier.

Chef-d’œuvre de stratégie militaire, la bataille d’Austerlitz, dite aussi « des Trois empereurs » (Napoléon, Alexandre Ier de Russie et François II d’Autriche), demeure la plus célèbre des victoires napoléoniennes.

La « Bataille d’Austerlitz » par François Gerard, la plus célèbre des victoires napoléoniennes.

La violence est-elle un métalangage ? Peut être. Un moyen de communication ? Sans doute. Elle transcende nos pulsions, nos vies, nos sociétés. Elle est au fondement de la conscience de soi. Pour Hegel, l’enfant jette des cailloux dans l’eau. Il admire, candide et innocent, les cercles qui s’y forment. Il est en train de s’approprier le monde qui l’entoure car il est capable de se regarder, de se représenter, d’effectuer un retour sur lui-même. Pour atteindre cette conscience de soi, l’homme est obligé de se dédoubler : il doit penser puis se rendre compte qu’il pense. La violence humaine consacre le vertige de la conscience de soi, la capacité du « pouvoir vers » en puissance. Cette violence, pacifique ou coercitive, est un métalangage inscrit au cœur de la dynamique de chacun de nos actes. La guerre est le phénomène qui la cristallise. Volonté de puissance à l’échelle étatique, la guerre est institutionnalisée.

Elle s’éduque, cette violence. La guerre possède une éthique, des règles, ses propres titres de noblesse grâce au concept d’honneur. L’honneur est un lien entre une personne et un groupe social qui lui donne son identité et lui confère son respect. C’est au front, dans le vertige de la violence, que l’homme peut admirer le mieux son hubris, de quelle manière il peut changer ce réel qui l’entoure. Il est honoré pour l’impétuosité de sa volonté de puissance. La guerre reconditionne les couches sociales : c’est un moyen de promotion incomparable car au front, tous les hommes sont dits frères. Son spectre politique est incomparable.

La guerre, contrairement aux révolutions, n’est pas un phénomène de régulation des sociétés, pas plus que la consécration de l’échec de la politique, faillant à sa prétendue lutte contre la sélection darwinienne… Elle est politique. Il s’agit alors d’une sélection politique : c’est un instrument de déconstruction, non de destruction. Pour Bouthoul, « la guerre est une fin déguisée en moyen ». C’est un nouveau départ identitaire, terreau universel des utopies, qui naitront et mourront telles quelles.

Les formes de guerre changent en fonction des sociétés, des cultures humaines. Notre monde postmoderne s’est détourné des « grands récits » de la puissance. La guerre asymétrique a succédé à l’impérialisme, la guerre d’Etat à Etat, la guerre dysimétrique… Les armées régulières sont confrontées au terrorisme, les états à des nébuleuses.  En novembre 2015, suite aux attentats du 11 novembre, le président de la République française déclare l’état de guerre…Mais contre qui ? Juridiquement parlant, il est quelque peu compliqué de se faire la guerre tout seul.

La guerre asymétrique repose sur un paradoxe. Les armées régulières disposent de moyens technologiques militaires sans cesse plus puissants et performants : drones, armes de destruction massive ou encore biologiques… En face se tient le terrorisme, prenant la terreur et l’idéologie pour fer-de-lance. L’écart magistrale entre superguerrier modernes et moyen de combat rudimentaire nourrie le terrorisme.

Malgré la disproportion des forces en présence, on a constaté l’échec de l’intervention américaine en Irak en 2003. Les Etats-Unis ont fait exploser le parti Baas, véritable système administratif, épine dorsale dirigeant l’armée et le pays, garantissant la paix civile et la justice. Ils n’ont pas réussi à y imposer un système démocratique. Ils ont alors juste laissé un pays ravagé, baignant dans son feu et son sang. Cette mise en place suppose du temps, elle nécessite une longue et périlleuse construction politique. Les Etats-Unis ont seulement provoqué un regroupement communautaire autour de la tribu et de l’ethnie. Grâce à eux, l’occident a appris la modestie : la démocratie n’est pas plus importante que la paix.

« L’esprit de l’homme est plus fort que ses propres machines… Ce sera une guerre entre un tigre et un éléphant. » (Ho Chi Minh). Le terrorisme est vu comme un acte de guerre en temps de paix, commis par un organisme non étatique afin de créer un climat d’insécurité. Le terrorisme est une arme psychologique, permettant de contrebalancer une infériorité physique tout en prenant un avantage décisif. Il crée un état ambigu que l’on surnomme « la guerre sans guerre ».

La terreur engendre le contrôle social. Le terrorisme désire créer un climat d’insécurité afin de court-circuiter l’analyse rationnelle des individus. C’est également une porte ouverte vers l’inconscient, permettant d’implanter des idées, des peurs ou encore des comportements. Il met en exergue l’ignorance de « qui est qui », le tout dérivant sur un lit de théorie du complot devant une population absolument passive. Sa typologie fractionnée en fait un prélude, ouvrant le ballet vénéneux de la guerre régulière. Mais cette dernière ne peut plus se produire encore une fois car elle vient déjà de se faire vaincre par le paradigme sociétal postmoderne. C’en est fini de ces guerres, les moyens d’actions, les ambitions, les lois et enjeux ont changé.

Le terrorisme est bel et bien une forme de guerre, bien qu’incompréhensible pour les occidentaux. Ils ne pourront y répondre avec les mêmes outils. Les états et les terroristes se battent, certes, mais en aveugle, chacun ne disposant pas de la même langue ni de la même violence. La communication est impossible, asymétrique. Or malgré cet autisme latent, la guerre est déjà proclamée, inutilement : sans interlocuteur, pas d’armistice possible. Et la terreur continue.

La guerre des terroristes déconstruit le maillage politique de l’occident, paralysé de terreur, hésitant à se servir de ses extraordinaires joujoux technologiques capable d’éradiquer toute vie d’une planète. Il s’agit de se poser la question : qu’est ce que le terrorisme déconstruit ? Que nous disent les méthodes de guerre sur cette nouvelle société qui va, un jour, éclore ? C’est l’Histoire qui est en train de nous le dire et je suis sûre que vous aussi, vous avez votre propre crainte.

Pendant la guerre du Vietnam, Nick Ut photographie une fillette brulée au Napalm, sortant d’un nuage de flammes.

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