L’affaire Dreyfus reste dans l’histoire comme l’une des plus grosses crises politiques et sociétales françaises. Même si l’innocence du capitaine Dreyfus a été démontrée de nombreuses fois, l’extrême droite continue de remettre en cause son jugement. Entre espionnage, mensonges et tension extrême dans la population, voici 5 éléments pour comprendre l’affaire Dreyfus.
Qui est Alfred Dreyfus et pourquoi l’accuse-t-on ?
Alfred Dreyfus nait le 9 octobre 1859 à Mulhouse et grandit en Alsace. Issu d’une famille juive fidèle à la France, il quitte sa région natale après sa perte en 1870 et rejoint Paris. Ses parents l’inscrivent alors à polytechnique. A la fin de ses études, Dreyfus est nommé sous-lieutenant de l’armée française. En septembre 1889, il est élevé au rang de capitaine du 21ème régiment d’artillerie. En septembre 1894, sa vie bascule.
Des morceaux d’un bordereau en papier sont retrouvés dans la poubelle de l’attaché militaire à l’ambassade d’Allemagne. Le général Auguste Mercier, ministre de la Guerre, est sous le feu des critiques et ne peut se permettre qu’une trahison non résolue se passe sous son mandat. Il charge alors plusieurs généraux de trouver le coupable. Ces derniers, antisémites, présentent alors le dossier de Dreyfus, dont l’écriture ressemble à celle du bordereau. Juif, il est le coupable idéal. Pour Philippe Oriol, directeur du musée Dreyfus – Maison Zola et Médan et spécialiste de l’affaire, « Dreyfus était juste là au mauvais endroit, au mauvais moment. »
Le premier procès de Dreyfus s’ouvre le 19 décembre 1894. Le capitaine est défendu par Edgar Demange, mais celui-ci ne pourra rien faire : tout est prévu pour que Dreyfus soit condamné. Un dossier, resté secret pour la défense, censé contenir les preuves de l’accusation de Dreyfus est transmis aux juges. Le 22 décembre, Dreyfus est condamné à l’unanimité pour trahison. Il est dégradé le 5 janvier 1895 puis emprisonné sur l’île du diable en Guyanne.
Une affaire de société
La presse s’empare de l’affaire et les insultes antisémites se multiplient. Les caricatures contre Dreyfus pleuvent, des articles antisémites paraissent tous les jours dans la presse. 4 journaux sur 5 deviennent « anti-dreyfusards ». « Dans la rue, les gens chantent sur l’affaire. J’ai retrouvé 412 chansons de l’époque : 406 de celles-ci sont antisémites. » explique Philippe Oriol. En 1895, Emile Zola publie dans le Figaro des articles pour défendre le capitaine Dreyfus. Les lecteurs du journal s’agacent, Zola est mis à l’écart et devient l’un des premiers soutiens de Dreyfus. En mars 1896, le lieutenant-colonel Georges Picquart intercepte un document et trouve le véritable coupable de l’affaire Dreyfus : le commandant Esterhazy. Pour continuer de cacher la vérité, Picquart est muté en Tunisie. Le 1er novembre, le commandant Henry monte un faux pour protéger le vrai coupable.
Protégé par l’état-major de l’armée et le gouvernement, Esterhazy passe en conseil de guerre le 10 janvier 1898. Le procès est truqué et malgré toutes les preuves, sorties dans la presse notamment, il est acquitté par le conseil de guerre. Il ne pourra plus jamais être désigné coupable de trahison. Emile Zola prend alors haut et fort la défense de Dreyfus. 3 jours plus tard, l’affaire devient électrique.
J’accuse, le tournant
Le 13 janvier 1898, Emile Zola publie « J’accuse… ! » dans le journal dreyfusard « L’Aurore ». Il se vend à plus de 300 mille exemplaires et marque un coup d’éclat. Zola a réussi son coup : l’Etat ouvre un débat public aux assises pour juger Zola pour diffamation. Une pétition signée par nombres d’intellectuels dont Zola, Anatole France ou encore Marcel Proust est publiée dans « Le Temps » pour demander la révision du procès. L’affaire devient électrique et l’opinion se divise.
Porté par la vague J’accuse, l’affaire Dreyfus est de nouveau relancée lorsque Godefroy Cavaignac, nouveau ministre de la Guerre, veut prouver la culpabilité du capitaine et enterrer cette affaire. Il étudie le dossier secret et sur les 365 pièces, il compte 3 preuves accablantes, dont le faux d’Henry. En aout, sous la panique et la pression d’un conseil d’enquête, Esterhazy avoue et la supercherie est révélée. Le lieutenant-colonel Henry, poussé aux aveux et emprisonné au Mont Valérien, se tranche la gorge le 31 aout. Après plus d’un an de lutte, les dreyfusards obtiennent la réouverture du procès. Dreyfus est rapatrié à Rennes pour un procès historique.
[…] J’accuse le lieutenant-colonel du Paty de Clam d’avoir été l’ouvrier diabolique de l’erreur judiciaire, en inconscient, je veux le croire, et d’avoir ensuite défendu son oeuvre néfaste, depuis trois ans, par les machinations les plus saugrenues et les plus coupables. […]
Emile Zola, J’accuse, 13 janvier 1898
Le procès de Rennes et la réhabilitation
Le 7 aout 1899, dans une tension extrême, le procès de Rennes s’ouvre. Dreyfus est là, dans un état physique inquiétant. L’intégralité de l’Etat Major de l’armée continue de l’accuser, sans la moindre preuve. Les aveux d’Henry et d’Esterhazy sont considérés comme nuls. Le procès tourne en rond et est marqué par la violence des antidreyfusards. Un avocat de Dreyfus est victime d’une tentative d’assassinat le 14 aout : touché par une balle dans le dos d’un extrémiste antisémite, il manque une semaine de procès.
Après 1 mois de discussions, Dreyfus est de nouveau jugé coupable. Ses proches lui conseillent de demander la grâce, ce qui lui sera accordé le 19 septembre par le président Loubet. Mais l’affaire ne s’arrête pas là, et les dreyfusards attendent toujours la réhabilitation du capitaine Dreyfus. Les législatives de 1902 changent la donne. La gauche l’emporte et Jean Jaurès demande à revoir le jugement en 1903 et porte l’affaire devant la Cour de cassation. Le 9 mars 1905, dans un rapport de 800 pages, le procureur général Baudouin fustige l’armée et annonce la réhabilitation de Dreyfus. Il réintègre l’armée au grade de chef d’escadron le 13 juillet 1906.
Les conséquences de l’affaire Dreyfus sur la société
Les conséquences de l’affaire Dreyfus ont été multiples. Tout d’abord, l’affaire accélère la signature de la loi de 1905, sur la séparation de l’Eglise et de l’état. « La loi était dans les papiers depuis longtemps. Quand on voit comment l’Eglise a agi pendant l’affaire, on comprend la volonté de vite séparer la religion de la politique » explique Philippe Oriol.
Ensuite, l’affaire marque l’apparition du clivage droite gauche politique en France. Les dreyfusards, majoritairement de gauche et les antidreyfusards, majoritairement de droite et d’extrême droite, marquent pour la première fois un débat politique sociétal en France.
Enfin, l’extrême droite a gagné en puissance et en influence. Le mouvement antisémite est lancé et continuera a gagner en ampleur jusqu’à la création des ligues d’extrême droite dans les années 1930. Encore aujourd’hui, l’affaire Dreyfus est présente dans les médias. En octobre 2021, Eric Zemmour avait remis en cause la culpabilité du capitaine Dreyfus, créant la colère d’historiens dont Philippe Oriol.