En racontant la naissance du groupe NTM, Le monde de demain retrace l’émergence d’un courant culturel majeur en France.
C’est quoi, Le monde de demain ? En Californie, Daniel (Andranic Manet) a découvert le hip-hop; de retour à Paris en 1983, il prend le pseudonyme de Dee Nasty et tente d’importer le rap en France, avec sa petite amie Béatrice (Léo Chalié). A quelques kilomètres de là, dans une cité du 9-3, Bruno Lopes (Anthony Bajon) et Didier Morville (Melvin Boomer) se passionnent pour le breakdance ; les deux potes, qui formeront plus tard le groupe NTM sous les noms de Kool Shen et Joey Starr, y consacrent le plus clair de leur temps. De son côté, Vivi (Laïka Blanc-Francard) se lance dans le graff. Ils n’en ont pas conscience, mais ces jeunes gens font partie des instigateurs d’un bouleversement culturel, dans la France des années 80.
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Quand on parle de rap français, un nom éclipse les autres : NTM. C’est – entre autres – la naissance du groupe que retrace Le Monde de demain. Créée et réalisée par Katell Quillévéré et Hélier Cisterne, disponible prochainement sur ARTE (qui l’a coproduite avec Netflix) et récompensée par le Grand Prix lors du dernier festival séries Mania, la série embrasse plus largement l’émergence en France du rap, du graff, de la breakdance, des DJ – bref, plusieurs facettes de la naissance du hip-hop en France, au début des années 80.
Tout commence en 1983, lorsque Daniel rentre à Paris après un séjour aux États-Unis où il a découvert le hip-hop, un mouvement culturel associant graphisme, musique et danse qui, à ses yeux, représente l’avenir. S’initiant au scratch, au sample, aux mix et au rap, le jeune homme tente d’imposer ce nouveau genre en France, entre émissions de radio pirates et sets dans des boîtes. Rares sont ceux qui croient en lui, mais il peut compter sur le soutien de sa nouvelle petite amie Béatrice, une femme libre, visionnaire et qui n’a pas froid aux yeux. Alors que le mouvement prend son essor, deux potes d’une cité de Saint-Denis se lancent dans la breakdance : Bruno renonce à une éventuelle carrière de footballeur professionnel au grand dam de ses parents, tandis que Didier tente d’éviter son père violent. Ailleurs, dans la cité des Olympiades à Paris, Vivi se passionne pour la danse et le graff et laisse son empreinte sur les murs de la ville, sous le nom de Lady V…
Pour aller vite, on peut certes présenter Le monde de demain comme le récit de la gestation, la formation et le début de l’ascension de NTM. Après tout, le récit emprunte son titre à un album du groupe et Bruno Lopes (alias Kool Shen) et Didier Morville (JoeyStarr) font partie des personnages principaux autour duquel s’articule le récit. Un duo de potes que l’on suit depuis les dalles de la cité Salvador Allende au début des années 1980 jusqu’à leur premier grand concert à Mantes-la-Jolie en 1991, avec dans l’intervalle la naissance de leur amitié, leur découverte du rap et du hip-hop, la manière dont ils ont fondé NTM et choisi le nom du groupe.
C’est un aspect essentiel de la série, ne serait-ce que parce que ces deux-là sont sans contexte les personnages les plus connus du grand public. Mais Bruno et Didier s’insèrent dans une galerie de personnalités hautes en couleur et charismatiques évoluant en suivant leur propre voie – jusqu’au moment où elles convergent. A ce duo emblématique viennent ainsi s’ajouter Daniel Bigeault (le DJ Dee Nasty), sa petite amie la flamboyante Béatrice, ou encore la danseuse et graffeuse Lady V. C’est un récit choral qui accorde non seulement une place à chacun mais qui parvient aussi à donner très vite une épaisseur à tous ses personnages, sans rien perdre en rythme et en dynamisme. On s’attache rapidement à eux, à leur parcours, leurs difficultés, leurs réussites et leurs joies. A fortiori parce que l’ensemble des acteurs est absolument formidable – notamment Anthony Bajon et Melvin Boomer qui crèvent l’écran , avec autant de conviction que de subtilité.
La réalisation nous place au plus proche des personnages et des événements. On est immergé dans la vie quotidienne de nos protagonistes et dans ce monde du hip-hop en gestation. La bande-son est évidemment fantastique avec ses samples, titres et mix devenus des classiques : la série explore l’underground artistique parisien ; les scènes ont réellement été tournée notamment dans la cité où ont grandi Kool Shen et JoeyStarr… Autant d’éléments qui imprègnent l’écran d’une ambiance eighties aux accents d’authenticité, d’une atmosphère pleine d’énergie positive et créative malgré les difficultés.
Et finalement, peu importe qu’on aime NTM ou même le rap. Si c’est le cas, la série est un vrai kif, mais au-delà de la fresque musicale déjà extrêmement réussie, Le monde de demain dessine aussi en filigrane une image de la France de ces années-là. A travers ces jeunes héros issus des quartiers, en quête de sens, d’identité ou simplement d’un moyen de rendre plus supportable le quotidien, on est confronté aux difficultés sociales et économiques, au racisme, à la montée de l’extrême-droite, à l’inadaptation du système éducatif, aux violences familiales qu’ils ne cessent de rencontrer, alors qu’ils sont ignorés ou méprisés par les politiques et les institutions. Et c’est en s’emparant du hip-hop, du rap, du graff que toute une génération parvient à s’exprimer, à se construire et se réinventer. A inventer son monde : le monde de demain.
Chronique musicale et sociale d’une (r)évolution culturelle, Le monde de demain retrace l’émergence et le succès du hip-hop en France tout au long des années 1980. A travers les parcours croisés de Kool Shen et JoeyStarr du mythique groupe NTM, de Lady V, du couple formé par Dee Nasty et Béatrice, c’est une fresque musicale et sociale puissante, qui nous emporte au cœur de ce mouvement culturel alors underground – promis au bel avenir que l’on sait.
Le monde de demain.
6 épisodes de 52′ environ.
Disponible sur Arte.TV et dès le 20 octobre sur Arte