Souvent associés à la mémoire cathare, huit forteresses médiévales du Languedoc cherchent aujourd’hui à tourner la page. Pour être classées au patrimoine mondial de l’Unesco, elles abandonnent leur nom.
Un mythe construit au fil du temps
Pendant des décennies, l’appellation « châteaux cathares » s’est imposée dans le langage courant. Elle désigne des forteresses situées dans le sud de la France, entre l’Aude et l’Ariège, perchées sur des éperons rocheux. Montségur, Quéribus, Termes, Peyrepertuse ou encore Lastours. Des sites spectaculaires, longtemps présentés comme les derniers refuges d’un mouvement religieux persécuté par l’Église et la monarchie.
Ce mouvement, ce sont les cathares. Des chrétiens dissidents apparus dans le Midi au XIIe siècle, prônant l’humilité, le rejet du clergé romain et une conception dualiste du monde. L’histoire veut que ces « hérétiques » aient été pourchassés durant la croisade albigeoise, lancée en 1209 par le pape Innocent III, avec l’appui du roi de France.
Mais si les cathares ont bien existé, leur lien direct avec ces forteresses reste flou. Selon des historiens comme Alessia Trivellone ou Julien Théry, le concept même de « catharisme » a été largement reconstruit à partir de sources de l’Inquisition, souvent imprécises. En somme, les cathares n’auraient jamais formé un mouvement organisé occupant durablement ces châteaux.
Ce sont les siècles suivant et surtout le XXe siècle qui ont renforcé cette confusion. L’essor du tourisme, les récits régionalistes et une certaine fascination pour les spiritualités alternatives ont transformé ces forteresses en lieux de mémoire romantique, voire légendaire. Mais l’Histoire, elle, est soit plus nuancée soit a été tout simplement effacée pour minimiser l’ampleur de cette organisation. Ce qui permet d’entretenir un certain mystère derrière les cathares.
Des bastions du pouvoir royal
Aujourd’hui, un changement de regard s’impose. Huit de ces sites, réunis sous le nom de « forteresses royales du Languedoc« , ont déposé une candidature pour être inscrits au patrimoine mondial de l’Unesco. Pour cela, ils ont choisi d’abandonner officiellement le terme « châteaux cathares« .
Leur objectif ? Rétablir une vérité historique. Ces forteresses n’ont pas été construites par les cathares, mais bien par les rois de France, au XIIIe siècle. Après avoir reconquis le territoire, Philippe Auguste puis Louis IX ont fait ériger ou renforcer ces édifices pour asseoir leur autorité dans une région longtemps autonome. Il s’agissait de poste de surveillance, de contrôle des frontières et de symboles de pouvoir.
Le comité scientifique chargé du dossier met en avant leur valeur architecturale dont le savoir-faire est comparable à celui observé en Pologne ou en Hongrie à la même époque. Toutefois, ces constructions sont propres aux modèles militaires capétiens et portent leur signature royale. En somme, ces sites témoignent moins d’une résistance religieuse que d’une stratégie d’unification territoriale. C’est cette lecture que la candidature Unesco veut désormais promouvoir.
Un pari sur l’avenir du territoire
Derrière ce changement de nom, il y a aussi des enjeux économiques. Depuis dix ans, la fréquentation touristique de ces lieux a fortement chuté. Le label Unesco pourrait attirer 30% de visiteurs supplémentaires. C’est ce qu’espèrent les collectivités locales, mais aussi les commerçants, hôteliers et restaurateurs.
La région Occitane et les départements de l’Aude et de l’Ariège ont investi plus de 20 millions d’euros pour restaurer les sites, améliorer leur accessibilité et adapter leur signalétique. La marque « Pays cathare« , déposée en 1992 par le département de l’Aude, semble désormais dépassée.
Au-delà du tourisme, il s’agit aussi d’apaiser les récits. Retirer le mot « cathare » ne veut pas dire effacer l’histoire, mais au contraire la préciser. Ces forteresses ne sont pas les témoins d’un génocide oublié, mais d’un réorganisation politique et militaire de la France médiévale. La réponse de l’Unesco est attendue en 2026, qu’elle soit favorable ou non, le débat est lancé. Entre faits, mythes et légendes, l’histoire des forteresses du Languedoc mérite d’être racontée.