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A l’heure des grands procès, comprendre le drame Yougoslave

Le 24 mars dernier, l’ancien leader Serbe Radovan Karadzcic était condamné à 40 ans de prison pour génocide et crime contre l’humanité par le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie. L’occasion de revenir sur ces affrontements ethnico-religieux qui ont ensanglanté l’ex-Yougoslavie, et qui constituent l’un des plus grands drames de l’histoire européenne du XXe siècle.

Pour comprendre cette guerre complexe qui a provoqué la mort de plus de 300 000 personnes, nous avons rencontré Xavier Bougarel, chercheur au CNRS et spécialiste de l’ex-Yougoslavie, qui a accepté de répondre à nos questions. Eclairages.

Dans les années 1991-1992, le conflit éclate et s’affrontent les différents peuples composant l’ex-Yougoslavie. D’où proviennent ces affrontements et quelle était la situation d’alors ?

La Yougoslavie a été créée à l’issue de la Première guerre mondiale : il s’agit d’un Etat plurinational, qui comprend Serbes, Croates, Bosniaques Macédoniens, Slovènes, Monténégrins et Kosovars. Il s’agit d’une entité pluriethnique, bien que une majorité de ses habitants parlent la même langue, le serbo-croate. Il s’agit également d’une entité pluri-religieuse : les Croates sont majoritairement catholiques, les Serbes sont orthodoxes et la Bosnie comprend une majorité de Bosniaques musulmans…

Lors du siège de Sarajevo, la population était prise au piège et a du vivre pendant 4 ans sous le feu des attaques serbes

Lors du siège de Sarajevo, la population était prise au piège et a du vivre pendant 4 ans sous le feu des attaques serbes

A la fin des années 1980, la Yougoslavie connaît une crise économique et politique d’ampleur, qui va s’approfondir avec la chute de l’URSS. C’est dans ce contexte que la fédération éclate.

Les nationalistes serbes, guidés par Slobodan Milosevic, vont alors entreprendre de rattacher tous les serbes, éclatés entre différents territoires, à une « Grande Serbie ». Concrètement, il s’agit de remodeler les frontières afin de rallier les minorités serbes vivant en Bosnie et en Croatie en un grand Etat Serbe.

C’est ce qui va provoquer les différentes guerres au sein de l’espace Yougoslave : les nationalistes serbes s’opposent d’abord à la Croatie, en 1991-1992, puis le conflit va s’étendre à la Bosnie-Herzégovine entre 1992 et 1995. A cela s’ajoutent des affrontements plus limités, qui opposent en 1993-1994 Bosniaques et Croates de Bosnie.

Milan Milosevic, lors de son procès à la Haye

Slobodan Milosevic, lors de son procès à la Haye

Ici, les nationalismes s’entrechoquent, avec la religion en toile de fond, car la Croatie par exemple, guidée par Franjo Tudjamn est également très nationalistes, ce qui nourrit indirectement les prétentions hégémoniques de Milosevic et de ses soutiens.

Ces affrontements, très violents, vont donc aboutir à des massacres ethniques : l’histoire retiendra notamment le massacre de Srebrenica par l’armée serbe, en Bosnie, où 8000 hommes musulmans sont alors systématiquement assassinés, et le siège de Sarajevo, qui durera quatre ans, également conduit par l’armée serbe.

Quel est le rôle joué par l’Occident dans ce conflit?

L’Occident est pris de court par le conflit. Le mur de Berlin venait de s’effondrer, il y a donc une forme de passivité lorsque les affrontements débutent. Puis on entre dans une phase d’hésitation, car les puissances occidentales ont des intérêts divergents et ne parviennent pas à se mettre d’accord.

Des zones de sécurités sont crées en Bosnie, autour de mai 1993 : 20 000 casques bleus doivent être déployés sur six villes Bosniaques. Mais, faute de soutien des Etats-Unis notamment, les effectifs ne sont pas suffisants, et l’ONU ne parviendra à empêcher les exactions commises sur la population.

Les forces étrangères déployées les exactions commises à Sarajevo et ailleurs

Les forces étrangères déployées les exactions commises à Sarajevo et ailleurs

Finalement, en 1995, sous l’égide des Etats-Unis, les leaders Serbes, Croates et Bosniaques signent les accords de Dayton. Ces accords prévoient la partition de la Bosnie-Herzégovine, en deux entités distinctes : la Fédération croato-musulmane d’un côté, la République Serbe de l’autre.

Aujourd’hui, quel regard portent les populations sur ce conflit, quel impact a-t-il eu sur les mémoires ?

En Bosnie règne une grande frustration, après les accords de Dayton. Chaque camp, les Serbes d’un coté, les Bosniaques de l’autre, considère en effet avoir perdu la guerre. Les Serbes n’ont eu qu’une portion de territoire, et les Bosniaques, du fait des accords de Dayton, ne sont pas parvenus à maintenir l’unité de leur pays.

Il y a donc bien une frustration généralisée, qui se traduit par deux réactions politiques opposées. Une partie de la population est simplement dégoutée par le nationalisme, et se retire dans l’abstention politique. D’autres, au contraire, et notamment en Bosnie-Herzégovine se retranchent dans des positions ultra-nationalistes.

Le conflit a fait 100 000 morts. 8000 ont été massacrés à Sbrebrenica

Le conflit a fait 100 000 morts. 8000 ont été massacrés à Sbrebrenica

Ce qui est très marquant aujourd’hui, c’est la tendance des deux camps à nier leurs propres crimes et à imputer crimes et autres exactions à celui d’en face. Beaucoup de Serbes aujourd’hui nient encore le massacre de Srebrenica, et le gouvernement de la République serbe ne l’a officiellement reconnu qu’en 2004, sous la pression internationale.

Cette bataille des mémoires est liée à la complexité des évènements, car les exactions commises ne sauraient être imputées à un seul camp. Cette complexité, par exemple, s’incarne dans la question épineuse des massacres de de Serbes à Sarajevo, pendant le siège. Les Serbes pilonnaient alors la ville et ont fait plusieurs milliers de victimes civiles. Mais ce qu’on sait moins, c’est que des milices bosniaques s’en sont pris, durant ce siège, à des civiles Serbes, qui étaient nombreux à être restés dans la ville.

Les populations entretiennent donc toujours des rapports conflictuels ?

Aujourd’hui, au niveau quotidien, la situation reste relativement apaisée, et dans beaucoup de régions, des Serbes cohabitent avec des Croates ou des Bosniaques. Leurs rapports sont corrects – pour peu qu’on évite de parler de politique. Il n’y a pas d’affrontements physiques.

Par contre, la violence se situe plutôt au niveau des médias : beaucoup d’acteurs de la vie publique se livrent à des polémiques sans fin. On s’invective, il y a beaucoup de violence verbale. En cela, les mémoires sont loin d’être apaisées, car chacun continue à réécrire l’histoire.

Radovan Karadzic jugé le 24 mars dernier, condamnée à 40 ans de prison

Radovan Karadzic jugé le 24 mars dernier, condamnée à 40 ans de prison

Le 24 mars Radovan Karadzic, le chef des Serbes de Bosnie, a été condamné à 40 ans de prison par le Tribunal International. Il a été reconnu coupable de génocide à Srebrenica, mais cette qualification n’a pas été retenue dans sept autres municipalités de Bosnie…

 Cette qualification de génocide cristallise beaucoup de tensions, elle n’a été appliquée par le Tribunal que pour le massacre de Srebrenica. Le refus des juges de l’étendre à d’autres villes n’est donc pas une surprise.

Plus généralement, il y a tout un contentieux autour de la notion de génocide, et les acteurs de la vie publique comme les intellectuels s’écharpent à ce propos. Ainsi, devant la Cour de Justice Internationale (qui juge les états), la Bosnie-Herzégovine avait demandé la condamnation de la Serbie pour génocide. Et la Cour avait refusé, faisant valoir qu’il n’y avait génocide qu’à Srebrenica. C’est un jugement qui évidemment suscité de vives réactions, mais c’est la conception qu’en a retenu la cour.

Le Parlement Bosniaque, lors du siège de Sarajevo

Le Parlement Bosniaque, lors du siège de Sarajevo

S’agissant de Srebrenica, il s’agit bien d’un massacre qui s’inscrit dans un projet politique, on peut considérer ces évènements comme l’aboutissement logique de la politique serbe de « nettoyage ethnique ». En même temps certains diront par exemple qu’il s’agissait essentiellement d’hommes, militaires pour certains et que cela ne correspond pas à la définition usuelle du génocide.

Il y a une charge morale particulière derrière ce terme, ce qui rend son utilisation très délicate. De chaque côté on se dit victime d’un ou de plusieurs génocides, mais personne ne veut appliquer ce terme de manière cohérente. La seule chose que l’on peut dire avec certitude, c’est qu’à Srebrenica l’armée des Serbes de Bosnie a massacré 8000 hommes de manière organisée et systématique.

Quelques jours après le procès de Karadzic se tenait celui de l’ultra-nationaliste serbe, Vojislav Sesejl qui a été acquitté – et qui se présente aux élections législatives d’avril. Le tribunal considère qu’il n’était pas le « chef militaire » des milices qui se livraient au massacre. Que penser de ce jugement ?

Le leader ultra-nationaliste Sesejl a été acquitté par le Tribunal pénal international

Le leader ultra-nationaliste Sesejl a été acquitté par le Tribunal pénal international

Sesejl est un cas particulier, il était président d’un parti nationaliste minoritaire en Serbie. Personnage excessif et extravagant, il a fait du Tribunal sa propre tribune, en refusant d’être assisté par un avocat. Son objectif était de faire trainer en longueur le procès, comme l’avait fait Milosevic.

En 1991, il a créé sa propre milice, qui agissait sous le contrôle de l’armée régulière. Il est considéré par le Tribunal comme un simple idéologue, ce qui n’est pas un motif suffisant d’incrimination. Mais ces discours étaient tout de même une invitation au crime. Son cas témoigne de la difficulté à traiter la question de la chaine de commandement. Il est parfois compliqué de prouver la responsabilité des chefs politiques ou militaires. Des officiers ont déjà été acquittés par le passé : à chaque fois la défense fait valoir l’impossibilité de contrôler les troupes sur le terrain.

Un milicien Serbe, lors du massacre de Srebrenica. le conflit aura fait 100 000 morts

Un milicien Serbe, lors du massacre de Srebrenica. le conflit aura fait 100 000 morts

Mais parfois, les jugements du Tribunal ont pu pousser les justices nationales à se saisir de certains cas. Ce fût le cas de Biljana Plavsic, ancienne présidente de la République serbe. Elle tenait des propos délirants, ouvertement racistes. Le tribunal l’a condamnée à une peine légère et elle a ensuite bénéficié d’une remise de peine. A Sarajevo, les autorités se sont mises en tête de la rejuger. Mais c’est très dur de revenir sur une affaire déjà jugée, qui plus est par le Tribunal pénal international pour l’ex Yougoslavie…

Pour plus d’informations sur le sujet, Xavier Bougarel a notamment écrit Bosnie : Anatomie d’un conflit, paru en 1996. Son dernier ouvrage s’intitule Survivre aux empires : Islam, identité nationale et allégeances politiques en Bosnie-Herzégovine.

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