Alexandre Goodarzy, directeur adjoint des Opérations et responsable Développement chez SOS Chrétiens d’Orient, parcourt depuis 6 ans les routes de Syrie, du Pakistan ou encore d’Irak afin de préserver les minorités chrétiennes en voie d’extinction dans cette zone géographique. À l’occasion de la sortie de son livre « Guerrier de la paix » (Édition du Rocher), il revient pour nous sur son engagement et sur le jour où il a été pris en otage en Irak par une milice chiite. Entretien.
« Guerriers de la paix », pourquoi avoir choisi cet oxymore comme titre ?
Alexandre Goodarzy.-Parce qu’on peut être amené à prendre des risques pour la paix. C’est être capable de mettre sa peau au bout de ses idées, de prendre des risques pour ce que l’on croit. Quand vous allez dans un pays où vous avez Al-Qaïda à gauche et Daesh à droite et que vous pouvez vous faire abattre, enlever ou égorger, il faut vraiment le vouloir. On peut se contenter d’envoyer un chèque et d’avoir de la compassion pour eux, et puis passer à autre chose. Mais de s’investir comme ça, avec un tel dévouement, il y a en effet une attitude guerrière.
D’où vous vient cette énergie dont vous parler, il y a-t-il eu un élément déclencheur ?
Je connais le Moyen-Orient depuis que j’ai 17 ans, donc ça fait 20 ans que je me promène dans cette région. La Syrie est un pays que j’ai connu bien avant la guerre, j’ai une sympathie naturelle pour ce pays. Je n’ai pas eu envie de le laisser tomber quand j’ai vu les difficultés qu’il traversait. J’étais peiné de voir l’Irak et la Lybie tomber et là quand j’ai eu l’occasion d’y aller, je l’ai fait. Bien-sûr je ne suis personne, je ne pourrais pas empêcher les grosses puissances de mettre le chaos dans cette région mais, ce n’est pas parce que je ne peux pas changer les choses, que je dois laisser les choses me changer.
« J’aurai pu rejoindre Al-Qaïda »
En plus, quand j’étais jeune, je me sentais plus de l’autre côté. Je pense que si j’avais été plus jeune aujourd’hui, j’aurai été rejoindre les gars qui font des conneries là-bas. J’ai connu beaucoup de proches qui sont partis faire le djihad. À l’époque du 11 Septembre 2001 j’avais 17 ans, et à ce moment-là on ne voyait pas Al-Qaïda comme de l’islamisme, c’était de l’anti-impérialisme. C’était la voix des pauvres qui humiliait les puissants. Alors certes, c’est abject car ce sont des civils qui sont touchés mais quand vous êtes jeune et que vous êtes en colère, vous devenez un sympathisant d’Al-Qaïda. J’aurai pu rejoindre Al-Qaïda, ces mecs c’étaient des Robins des Bois pour moi. Et selon moi, ces jeunes qui partent, pensent qu’ils vont faire quelque chose de bien. Je ne les excuse pas, mais en grandissant j’ai utilisé cette colère pour faire un contre-djihad.
Selon moi, l’élément déclencheur est venu de ma reconversion au christianisme, c’est ainsi que j’ai pu avancer dans cette voie-là. Si je n’avais pas rencontrer le Christ dans ma vie, je serais sûrement en face. Là où ils détruisent, nous on reconstruit ; là où ils sèment la mort et la désolation, nous on apporte l’espérance et la joie.
Vous êtes enlevés le 20 janvier 2020 à Bagdad par une milice chiite, comment cela s’est-il déroulé ?
On était là-bas pour enregistrer administrativement l’association. On est dans le centre de Bagdad, dans un quartier relativement calme qui s’appelle Karada. À un moment, il y a deux grosses voitures qui nous bloquent sur le côté de la route, desquelles sortent des gars costauds, équipés comme s’ils partaient à la guerre. Ils sont nerveux de suite, ils tapent aux carreaux avec leurs armes puis nous sortent manu militari de la voiture. Notre interprète irakien, prend deux coups de crosse au visage. À mesure que l’on s’éloigne de la capitale, la nuit tombe puis on arrive dans un hangar puant, crasseux et humide.
Connaissez-vous la raison de votre arrestation ?
Au bout de 48h, un chef de la milice vient nous voir et nous demande ce que l’on fait là. On lui dit que nous sommes des humanitaires et nous rétorque de suite que c’est faux. Il nous accuse d’être des espions, et d’avoir donné de l’argent à des manifestants. Parce qu’en fait, il y a de nombreuses manifestations là-bas qui sont organisées par les américains pour protester contre le gouvernement en place, qui est pro-Iran. Notre seule faute était en réalité d’être occidentaux.
Cette prise d’otage a duré 66 jours, vous parlez d’un terrorisme non pas physique mais psychologique, pouvez-vous nous l’expliquer ?
Oui c’est psychologique. Ils laissent systématiquement la lumière allumée, diffusent le Coran à fond, torturent des gens dans les chambres à côté, ils font tout pour que l’on ne puisse pas dormir. Pendant 66 jours, j’ai dormi en moyenne une heure par jour. Parfois, ils éteignent la lumière et rechargent leurs armes pour simuler une exécution. Ils font tout pour nous briser psychologiquement ! Sans arrêt, on vient me demander des nouvelles de ma femme et de mon fils, alors qu’ils savent très bien que je n’ai aucun moyen de le savoir.
Avez-vous toujours espoir d’être libéré à ce moment-là ?
Ils nous faisaient sans cesse croire que nous allions être libérés alors qu’en réalité ils nous changeaient seulement de local. Le jour de notre libération, on ne réalisait toujours pas. Ils nous disaient qu’un virus était en train de tuer des millions de gens et paralysait les plus grandes villes du monde. Ce mensonge était le plus grotesque, et pourtant, cette fois c’était bien vrai. La Covid-19 nous a sauvé, on était censé y rester au moins deux ans selon les services de renseignement français. Plus un otage reste enfermé longtemps, plus il prend de la valeur. Mais le virus a tout changé. S’ils rendent quatre cadavres aux autorités françaises, ils savent que non seulement ils ne gagnent rien en échange, mais en plus ils vont avoir de nombreux problèmes.
Pour mieux comprendre : « La disparition des chrétiens d’Orient est une catastrophe de civilisation »
» En Syrie avant la guerre ils étaient deux millions, ils sont aujourd’hui environ 600 000″
Quel est l’objectif de votre engagement dans ces pays ?
On essaye d’éviter l’extinction des chrétiens dans ces pays-là. C’est une minorité ethnique, civilisationnelle et culturelle en voie d’extinction. En Syrie avant la guerre ils étaient deux millions, ils sont aujourd’hui environ 600 000. En Irak avant l’intervention américaine en 2003, ils étaient deux millions aussi, aujourd’hui ils ne seraient plus que 200 000 – 300 000. Ce sont des gens qui disparaissent, qu’il est important de soutenir parce que les chrétiens dans ces pays-là, sont à la tête d’institutions aussi vieilles que le pays. Ils sont là depuis 2000 ans, bien avant les musulmans. Et puis, soutenir les chrétiens d’Orient c’est soutenir le bien commun. Ce sont eux qui sont à la tête de la culture, de l’éducation, du service social, de tout ce qui est hospitalier. Quand vous avez des problèmes de santé en Syrie, peu importe votre religion vous êtes soignés par des bonnes sœurs, pas besoin d’avoir un certificat de baptême.
C’est pareil pour certaines écoles privées qui sont tenues par des prêtres, et dont la plupart des étudiants sont musulmans. Cette qualité d’éducation et de soins sont voués à disparaître avec les chrétiens. En voulant les éliminer, vous appauvrissez culturellement le pays.
De plus, les chrétiens sont des facteurs d’union. En 2017, nous avons rencontrés Bachar Al-Assad, qui nous a dit très clairement que si les chrétiens partent, c’est la guerre éternelle entre musulmans, car ces derniers ne s’entendent pas entre eux. Les chrétiens assurent la paix et l’unité entre ces communautés, donc aujourd’hui quand on fait quelque chose pour eux, on fait quelque chose pour tout le pays.
Avec SOS Chrétiens on a essayé d’apporter les moyens à des écoles pour ne pas les laisser fermer. En 2015, quand Alep était en pleine guerre on ramenait du matériel médical, de l’électricité, de l’eau.
Le Dimanche 7 Mars 2021, le Pape a achevé un voyage historique de 3 jours en Irak. Pour vous c’est un voyage symbolique ou bien plus que ça ?
Oui, bien sûr ça reste symbolique mais c’est tout de même bien que les musulmans puissent rencontrer le visage de l’autorité catholique mondiale. Le fait qu’il se déplace c’est quelque chose qui touche les gens.
Il faut savoir que depuis 2003 et la chute de Saddam Hussein, il n’y a pas eu une seule figure politique ou ecclésiastique qui s’est déplacée là-bas. C’est comme-ci on ne reconnaissait pas cet État. Vous vous rendez compte depuis 20 ans, personne ne s’intéresse à ces gens-là donc le fait que le Pape le fasse c’est bien sûr très important, c’est beau symboliquement et ça permet de casser quelques préjugés. Mais il faut plus que ça, car la Charia fait partie de la constitution irakienne et donc un chrétien n’a pas les mêmes droits qu’un musulman. Selon moi, le Pape aurait dû le dire, il faut bien sûr faire quelque chose de symbolique mais il faut aussi dire la vérité, il faut questionner ces pays sur le traitement qu’ils réservent à leurs minorités.
Pensez-vous que les pays occidentaux doivent agir ?
Oui, je pense. Nous on a bien Erdogan, qui crie à la discrimination lorsque l’on ne construit pas des piscines pour femmes. Nous devons évoquer dans le droit international ce qui se passe dans ces pays. Personne n’a parlé des génocides des Yézidis, ou du fait qu’au Pakistan n’importe qui peut accuser un non-musulman d’avoir insulté le prophète et que cela entraîne sa mise à mort par la rue ou par chance une peine de 20 ans de prison(NDLR : Affaire Asia Bibi). C’est important que des choses soient évoquées à l’international.
Mais selon vous, cela ne revient-il pas à un certain impérialisme que vous évoquiez précédemment ?
Non, l’impérialisme c’est de bombarder les gens avec du napalm au nom de la démocratie. L’impérialisme c’est d’imposer ses vues politiques et culturelles sur les autres. Ici, il faut juste veiller à ce que certains pays ne traitent pas comme des moins que rien leurs minorités. Vivez comme vous voulez, mais soyez d’égal à égal, ne vous faîtes pas de mal. Il ne faut pas imposer son mode de vie, mais il faut imposer le respect humain. Il ne faut pas tuer des gens, parce qu’ils ne sont pas comme toi. C’est juste normal. Je suis contre l’ingérence, on ne doit pas imposer aux autres ce que l’on estime être bon pour eux mais on a le devoir de veiller au respect de l’être humain n’importe où sur Terre.
Pour approfondir : « Pakistan : l’attentat de Lahore “visait les chrétiens”