Bosch, série produite par Amazon et tirée des romans de Michael Connelly, est une réussite qui exploite parfaitement la trame littéraire et transpose à l’écran tout l’univers dans lequel évolue son héros.
Inspecteur de police affecté à la brigade des homicides de Los Angeles, Harry Bosch (Titus Welliver) est accusé d’avoir froidement abattu un suspect, deux ans auparavant. Dédouané par les affaires internes, il est pourtant toujours sous le coup d’un procès au cours duquel l’accusation n’hésite pas à évoquer son douloureux passé : sa mère, prostituée, a été assassinée alors qu’il n’avait que 12 ans, et le tueur n’a jamais été arrêté. Malgré l’impact médiatique, Bosch refuse d’être mis en congé. Lorsqu’on découvre les ossements d’un enfant sur les hauteurs de la ville, il s’empare de l’affaire et enquête, assisté de la nouvelle recrue Julia Basher (Annie Wersching) et de son partenaire Jerry Edgar (Jamie Hector). Au même moment, un tueur en série s’en prend à de jeunes homosexuels… Deux investigations qui touchent de près Harry Bosch, mais qu’il va devoir mener de front en dépit des pressions politiques, des ambitions de son supérieur et de ses problèmes personnels.
Michael Connelly a d’abord été chroniqueur judiciaire au Los Angeles Times. Fort de cette expérience, c’est en 1992 qu’il créé le personnage de Hyeronimus Bosch (surnommé Harry), dans son premier polar intitulé Les égouts de Los Angeles et qui connait d’emblée un succès mondial. Bosch est à ce jour le héros d’une vingtaine de romans (jusqu’à The wrong side of goodbye, à paraitre en Novembre 2016). On suit l’inspecteur au gré des enquêtes qu’il mène dans le Los Angeles des hautes sphères ou des bas-fonds, d’intrigues politiques en crimes sordides, tout en assistant à son évolution personnelle, à mesure que Connelly affine et approfondit le portrait psychologique. Marqué par le traumatisme fondateur du meurtre de sa mère et par la guerre du Vietnam à laquelle il a pris part, Bosch est un personnage complexe, un taiseux qui ne laisse jamais rien paraître des tourments qui l’agitent. Il n’a rien de flamboyant : ce n’est pas un génie à la Sherlock Holmes ni un franc-tireur charismatique à la Raylan Givens de Justified. Juste un bon flic de terrain, sérieux et compétent, qui fait le job, s’entend bien avec ses collègues et un peu moins avec sa hiérarchie. Porté sur la boisson, divorcé et père d’une adolescente, c’est un cousin du Wallander de Henning Mankell, un lointain parent d’un Philip Marlowe ou d’un Sam Spade, qui emprunte une partie de son passé à l’écrivain James Ellroy, et son nom et son prénom au peintre flamand Bosch, célèbre pour ses représentations de l’Enfer et de la damnation.
A noter que Bosch apparaît également dans Le verdict de Plomb et Le cinquième témoin, centrés sur son demi-frère, l’avocat Mickey Haller. De manière générale, les personnages de Michael Connelly se croisent et se répondent d’un roman à l’autre, l’auteur imposant ainsi une œuvre complexe aux multiples ramifications – bien que chaque ouvrage puisse se lire indépendamment des autres. Ancrées dans l’actualité, ses histoires empreintes de réalisme collent au plus près des changements de la société. En marge du « cycle Bosch », il a également écrit d’autres polars : deux d’entre eux, Créance de Sang et La Défense Lincoln, ont été adaptés au cinéma, respectivement en 2002 et 2011. Malgré un projet de longue haleine, Harry Bosch n’a quant à lui jamais trouvé sa place sur le grand écran. C’est sous le format sériel qu’il prend vie grâce à la plateforme Amazon qui diffuse d’abord un pilote en 2014, avant de commander une saison entière, mise en ligne en Février 2015. Créée et développée par Eric Overmyer (The Wire), écrite et produite par Michael Connelly himself, la série n’est pas l’adaptation stricte d’un seul roman, mais associe plusieurs trames présentes dans différents ouvrages – Wonderland Avenue, Echo Park et La blonde en béton. Et c’est en toute logique qu’aux manettes de la série, Connelly a su rester fidèle à ses intrigues ainsi qu’à ses personnages, tout comme à l’arrière-plan et à l’atmosphère qu’il s’est ingénié à développer au fil de ses romans.
Le pilote s’ouvre sur un flash-back : deux ans plus tôt, Harry Bosch (Titus Welliver) et son coéquipier poursuivent un homme suspecté d’être un tueur en série ; Bosch l’abat au terme d’un ultime face-à-face. Le suspect était-il armé, ou l’inspecteur a-t-il profité de l’occasion pour rendre une justice expéditive ? C’est en tous cas cette dernière thèse que soutient à présent la procureure, au cours d’un procès tellement médiatisé que le directeur du LAPD Irvin Irving (Lance Reddick) pousse Bosch à prendre un congé. Peine perdue : celui-ci ne tarde pas à se charger d’une nouvelle enquête, lorsqu’on découvre les ossements d’un enfant, enterrés depuis une vingtaine d’années dans une forêt de Los Angeles. Au même moment, un contrôle de routine aboutit à l’arrestation d’un tueur en série nommé Raynard Waits (Jason Gedrick), peut-être lié à la première affaire… Récit à tiroirs, Bosch déploie donc deux intrigues concomitantes, apparemment connectées. Le traitement narratif présente toutefois une différence majeure : dans le premier cas, l’enquête consiste à identifier le cadavre, puis démasquer et arrêter l’assassin ; dans le second, le nom du coupable est connu dès le départ et il s’agit de trouver des preuves pour l’inculper. Ici, on suit donc autant le travail méticuleux des policiers que les agissements du tueur, dans un dispositif proche de celui de The Fall, qui expose la psychologie et les motivations de Waits au cours du jeu du chat et de la souris qui se met en place.
Les deux récits progressent en parallèle, sans réel rebondissement spectaculaire ni coup de théâtre. Intelligemment construite, la série prend son temps pour poser les deux trames et les entrelacer, et y adjoindre progressivement des axes secondaires, comme par exemple la vie privée de ses protagonistes. D’une certaine manière, elle invite le téléspectateur à un jeu de puzzle : on pose d’abord toutes les pièces éparpillées sur la table, et on les ré-agence pour résoudre le casse-tête. De fait, il faut attendre quelques épisodes avant d’entrevoir la direction que va prendre Bosch, les tenants et les aboutissants des deux intrigues, et la manière dont elles sont liées (ou pas). Et la saison voit aboutir tous les fils narratifs et répond à la plupart des interrogations.
Fondamentalement, Bosch est une série classique, à l’image de son héros. A l’écran comme sur le papier, Bosch est un énième enquêteur, un de ces personnages que nous avons déjà vu un nombre incalculable de fois dans les romans, les films ou les séries. On l’a dit, Bosch est un type normal : ce n’est pas un flic ripou, ni un expert scientifique, ni un génie de la déduction aux intuitions fulgurantes, et encore moins un tueur en série qui se prend pour un justicier… Il n’est rien d’autre qu’un inspecteur de la vieille école, attaché à un idéal de justice, qui suit patiemment et consciencieusement différentes pistes, parfois en faisant les choses à sa manière, en flirtant avec les limites de la loi et en agaçant sa hiérarchie, mais en respectant toujours une certaine éthique. Au départ, on ne sait rien de son passé, de son caractère ou de sa personnalité, qui se dévoilent progressivement, à travers la manière dont il réagit face aux situations auxquelles il est confronté. Alors bien sûr, Bosch offre peu de surprises – on sait très bien de quel bois il est fait. Il n’en demeure pas moins intéressant et, finalement, attachant. L’écriture du personnage, remarquablement construit par Connelly, n’y est évidemment pas étrangère ; mais dans le cas présent, le Bosch de la série doit beaucoup à son interprète, le formidable Titus Welliver. Jusque-là cantonné aux seconds rôles (de Lost à The good wife en passant par Deadwood ou Sons of Anarchy), il accède enfin au devant de la scène. Ce n’est que justice. Avec une économie et une sobriété totalement appropriées, il se glisse parfaitement dans la peau de ce héros taciturne, et compose subtilement avec toutes les zones de gris d’un personnage tour à tour indéchiffrable, mélancolique, sensible ou nerveux. Avec au final un Bosch intense et crédible, plus vrai que nature, suffisamment proche du téléspectateur pour susciter l’empathie, et suffisamment énigmatique pour rester intrigant.
Le reste du casting ne démérite pas, loin de là. Il pioche notamment du côté de The Wire, avec Jerry Edgar dans le rôle du coéquipier de Bosch, ou Lance Reddick en chef de la police de Los Angeles (on sait, depuis Fringe et justement The Wire, que l’autorité lui sied à merveille). Mais l’amateur de séries retrouve bien d’autres visages connus : Sarah Clarke (24 heures chrono) interprète l’ex-femme du héros, Annie Wersching (24 heures chrono, NCIS) est parfaite en nouvelle recrue ambitieuse et amante occasionnelle de Bosch, quand Amy Aquino (Urgences) est sa supérieure directe. Enfin, impossible de ne pas citer Jason Gedrick (Murder One, Dexter), tueur en série glaçant qui n’a rien à envier à un Norman Bates… La relation qui s’établit entre son personnage et Bosch, aussi attendue soit-elle, est pleine de suspense et donne à la trame une intensité bienvenue tout en permettant de révéler des éléments du passé et de la personnalité du héros. De manière générale, les relations interpersonnelles sont développées de manière habile, l’entourage de Bosch ayant une réelle épaisseur et ne se limitant pas à jouer le rôle de faire-valoir, et la dynamique qui s’instaure avec le héros permet, à chaque fois, d’éclairer sa personnalité de manière différente : ses rapports avec son équipier, son ex-épouse ou son supérieur illustrent tour à tour une nouvelle facette de Bosch et enrichissent le personnage.
Et puis, il y a un autre protagoniste incontournable, sans lequel Bosch ne serait pas Bosch… La formule a beau être rebattue, elle n’en est pas moins exacte dans le cas présent : Los Angeles est bel et bien un personnage à part entière. On est loin des clichés qui lui sont généralement associés : aux décors glamour et prestigieux, aux lumières étincelantes de la ville et aux collines verdoyantes s’ajoutent des images de quartiers populaires, de magasins abandonnés, de forêts angoissantes, de bâtiments sordides… Il y a quelque chose d’à la fois aveuglant et crépusculaire dans cette ville toute en chair et en os, la photographie et les jeux de lumière lui donnant une vraie dimension et une texture, quand le scénario pénètre dans ses recoins les plus secrets et les moins recommandables. Entre carte postale paradisiaque et images de l’enfer sur terre, cette Los Angeles est peut-être la cité des Anges – mais des Anges déchus…
Un décor qui s’inscrit dans une atmosphère particulière et donne à Bosch les moyens de se distinguer des autres séries policières. Le récit, sans fioriture voire même parfois sec, se déploie dans une ambiance soignée, caractéristique des polars noirs des années 1940 – l’ombre du Faucon Maltais plane parfois sur la série. La bande-son jazz, aux tonalités douces-amères (et qui fait écho aux playlists que Connelly aime à distiller tout au long de ses ouvrages), la personnalité de son héros, la noirceur de la narration, la photographie sont autant d’éléments propres au genre, transposé à l’époque actuelle. Car pour autant, l’ensemble n’a rien de suranné et on évite les stéréotypes : tout au contraire, Bosch reprend ces grands codes pour y plaquer des intrigues ancrées dans le présent, dans un décor résolument moderne. Délicat en apparence, l’équilibre se révèle parfait et l’idée est d’autant plus judicieuse qu’elle confère à la série un ton et un style envoûtants, tout à fait particuliers. Un cachet, une marque de fabrique déjà perceptible dans les romans de Connelly, que rehausse la transposition à l’écran et qui a également l’avantage de résonner avec les états d’âme de Bosch, en soulignant tout ce que le personnage ne dit pas mais que sous-entend, tout en finesse, le jeu de son interprète.
Ne voyez rien de péjoratif lorsqu’on qualifie Bosch de série policière classique : elle l’est, mais dans tout ce que le genre a de meilleur. Intrigues solides, personnages construits et formidablement interprétés, ambiance noire et décors soignés : Bosch est d’excellente facture et fait largement honneur aux romans dont elle est tirée. De quoi faire oublier ses quelques défauts, comme par exemple une trame politique un peu absconse ou quelques clichés dans le traitement de l’enquête sur le tueur en série. La première saison est une vraie réussite et la deuxième (disponible via Amazon) s’annonce tout aussi prenante. Bosch a d’ores-et-déjà été renouvelée pour une saison 3 : avec tout le matériau disponible, Michael Connelly et ses acolytes ont toute la substance nécessaire – et largement de quoi faire de l’enfer de Bosch un paradis pour les téléspectateurs.
Bosch – 2 X 10 épisodes. (50’)
Saison 1 diffusée sur France 3 chaque dimanche
Bosch – romans de Michael Connelly.
Disponibles chez Calmann-Levy : http://calmann-levy.fr/auteurs/michael-connelly/
Crédit: Amazon