7 octobre, jour de scrutin présidentiel au Brésil : Jair Bolsonaro, candidat de l’extrême droite remporte une large victoire au premier tour. Comment ce « Trump brésilien » est-il parvenu à faire basculer le pays, après plus d’une décennie de la gauche au pouvoir ?
« Un tsunami conservateur a balayé le pays »
Mouvement de panique dans une rue bondée de la ville de Juiz de Fora, à trois heures de Rio de Janeiro : le grand favori de la présidentielle, Jair Bolsonaro, a été agressé au couteau. Juché sur les épaules d’un sympathisant, le candidat vêtu d’un haut jaune triomphant saluait la foule venue l’acclamer le 6 septembre lors d’un meeting de campagne – avant de s’effondrer.
L’évènement, retransmis en direct sur les réseaux, a fait l’effet d’une bombe. Mais c’est au Parti des Travailleurs (PT) que le coup fatal sera porté. En raflant 46 % des voix, contre seulement 29 % pour Fernando Haddad, son principal opposant de gauche, Bolsonaro remporte haut la main le premier tour. Une ascension fulgurante pour cet ancien militaire de carrière. Il était pourtant reclus chez lui depuis son agression, échappant à la règle du traditionnel débat avec son adversaire du PT.
Les jeux sont faits. « Un tsunami conservateur a balayé le pays », conclut un éditorialiste du journal brésilien O Globo, le lendemain des résultats. Qui est ce candidat qui a réussi à laminer l’héritier de la gauche ? Comment expliquer l’ascension de cette figure de l’extrême droite ouvertement raciste et machiste, nostalgique de la dictature et de la torture ?
Candidat populiste porté par un vent de dégagisme
Second rebondissement exceptionnel de la campagne, lorsque le Tribunal supérieur électoral met hors-jeu l’ancien chef de l’Etat, Luiz Inacio Lula da Silva (2003-2010), favori des sondages. Début septembre, la justice invalide sa candidature en vertu de la loi ficha limpa, interdisant à toute personne condamnée en appel de se présenter à une élection. Le champion de la gauche menait alors campagne depuis la prison, où il purge une peine de plus de douze ans pour corruption passive et blanchiment d’argent.
Fernando Haddad, nouveau leader du PT, se présente comme son héritier, lui rendant visite chaque semaine. Mais l’ancien maire de Sao Paulo ne bénéficie pas de la même aura que Lula, et doit assumer le lourd passé d’un parti corrompu. Le jeu est en faveur du candidat d’extrême droite, perçu comme la véritable alternative. « Il est impossible d’écrire le mot corruPTion sans PT », ironisent ses supporteurs.
Si l’annonce de la candidature de Lula avait suscité des scènes de liesse quasi-évangéliques, le nom de son parti demeure synonyme de trahison pour un large pan de la société brésilienne. Autrefois favori, le PT est devenu parti honni. L’enquête « Lava Jato » (lavage express), a révélé de 2014 à aujourd’hui, le plus grand scandale de corruption de l’histoire du pays. Résultat : Dilma Roussef, présidente destituée, Lula, ancien président condamné, plus l’ensemble du spectre politique éclaboussé. « Tous pourris », tel est le sentiment prédominant aujourd’hui, d’une société écœurée par la corruption endémique qui mine la classe politique et empoisonne le pays.
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Enjeux de l’élection : des coûts et des coups
Jair Bolsonaro réussit l’impossible, en ralliant, à la fois les voix des moins aisés, de la bourgeoisie blanche et des milieux d’affaires. Candidat antisystème, il promet de résoudre de façon simple les problèmes endémiques du pays. Il ne s’en cache pas, l’économie, il « n’y comprend rien », mais il promet de lâcher les rênes de la finance au profit des spéculateurs. Un ultralibéralisme qui ravi les élites économiques : la bourse a bondi de six points à l’annonce de sa victoire. Le Brésil au teint clair de Bolsonaro, ne représente que 10 % de la population mais concentre plus de la moitié des revenus du pays.
Concilier réduction des inégalités et entrée triomphante dans la mondialisation, tel était le mantra de Lula. Dans les années 80, un Brésilien sur sept ne mange pas à sa faim. L’arrivée au pouvoir de l’ancien ouvrier métallurgiste et syndicaliste marque un tournant. La faim chute de 82 % en douze ans, le taux de pauvreté de moitié. Moderne et sociale, la gauche brésilienne est érigée en modèle. La faille ? L’absence de réformes structurelles afin de poursuivre le développement économique du pays.
Figure de proue des BRICS dans les années 2000, la confiance en l’avenir semble avoir volé en éclat en même temps que les espoirs suscités par la gauche. Tiré par la croissance chinoise, le boom brésilien reposait sur les exportations de matières premières, dont le cours varie fortement. Lorsque la croissance chinoise a décéléré, l’économie brésilienne a tangué.
Le Brésil fait face à un autre défi : l’importance de la violence. En 2017, les forces de police ont tué plus de 5 000 personnes, soit 2,4 victimes pour 100 000 habitants. Les jeunes hommes noirs constituent les principales victimes. La réponse de Bolsonaro ? Armer la population. Selon lui, la police militaire « devrait tuer encore plus ». Au sein d’une société gangrenée par la violence, des mesures draconiennes sont attendues. C’est ce qui amène 54 % des Brésiliens à penser que la prison, quel que soit le délit, est la meilleure solution pour lutter contre les crimes et la délinquance.
Seulement, le pays figure en quatrième position en termes de taux d’incarcération, avec une dégradation constante de la situation. Jair Bolsonaro, qui dédiait en 2016 son vote en faveur de l’« impeachment » de Dilma Roussef « à la mémoire du colonel Carlos Alberto Brilhante Ustra », l’un des tortionnaires de la dictature militaire (1964-1985), affirme être en capacité de rétablir l’ordre. Au prix de la démocratie ?
Division et mobilisation sans précédent
Mario Vargas LLosa, prix Nobel de littérature 2010, perçoit ces élections comme l’opportunité d’une véritable avancée politique dans la mentalité brésilienne. Au festival du Monde le 6 octobre, l’écrivain péruvien s’enthousiasme, resplendissant dans le cadre doré de l’opéra Garnier, en dépeignant le réveil d’une société traditionnellement passive face à ses leaders.
Face aux actions de Bolsonaro, les femmes ont décidé de prendre position. Le hashtag #EleNão (« Lui non ! ») a envahi Twitter et des milliers de personnes les rues, lors de manifestations massives le 29 septembre. De tradition conservatrice, près de la moitié des femmes assurent toutefois qu’elles ne voteront jamais pour lui. En 2015, il avait traité une députée fédérale de traînée, si « laide » qu’il ne pourrait pas la violer, puisqu’elle « ne le méritait pas ».
Malgré une personnalisation à outrance de la vie politique marquée par l’opposition radicale pro et anti-Lula, les défis brésiliens sont apparus dans les débats. Décrédibilisé par la corruption, le PT a perdu son impunité. Même si Bolsonaro l’emporte au second tour, le 28 octobre, Mario Vargas LLosa insiste, il se réjouit d’une telle polarisation sociale et politique, sans précédent au Brésil. L’avènement d’un véritable éveil citoyen.