Alors que les féminicides restent largement plus fréquents, une série d’affaires où des jeunes femmes sont accusées d’avoir tué leur mari alarme l’Inde. Mariage forcé et justice de genre
Des « maricides » qui se multiplient
Ces derniers mois, L’ Inde a été frappée par une série de faits divers bouleversants. À chaque reprise, une jeune mariée est accusée d’avoir tué son époux, souvent avec la complicité d’un amant. Le phénomène bien que statistiquement marginal, alimente un débat intense sur l’état de la société indienne. Notamment par sa pratique du mariage arrangé et des inégalités de genre.
La dernière affaire en date s’est produite début juin dans l’État du Madhya Pradesh. Sonam Raghuvanshi, 25 ans, aurait planifié avec son petit ami le meurtre de son mari Raja Raghuvanshi, 30 ans, pendant leur lune de miel. Un mariage arrangé, comme dans la majorité des cas en Inde. L’affaire a choqué l’opinion publique par la froideur de l’acte mais également parce qu’elle semble faire écho à d’autres cas similaires survenus récemment.
En mars, dans l’Uttar Pradesh, Pragati, 22 ans, tout juste mariée, aurait elle aussi commandité l’assassinat de son époux, deux semaines après la cérémonie. Peu après, un officier de la marine marchande Surabh Rajput, a été retrouvé dans un tonneau de ciment. Sa femme Muskan et son amant sont accusés de l’avoir drogué puis poignardé.
Des épouses tueuses ?
Ces « maricides » sont rares mais captent une attention démesurée. La société indienne, patriarcale et marquée par une culture de la femme obéissante et soumise, a du mal à concevoir que des femmes puissent être auteures de violences, et non seulement victimes. « On ne s’attend pas à ce que des femmes agissent ainsi. Lorsqu’elles commettent de tels actent, la société ne voit pas seulement des criminelles, elle voit des femmes qui ont échoué en tant que femme« , analyse le professeur G. S. Bajpai de la National Law University, à Delhi.
Sur les réseaux sociaux, les vidéos misogynes se multiplient, transformant ces affaires en spectacle presque politique. Les femmes sont caricaturées en « méchantes » et les maris en « martyrs« . Pourtant les chiffres officiels révèlent une autre réalité. En 2022, 445 000 crimes contre des femmes ont été enregistrés en Inde. Les féminicides, sont bien plus fréquents que les meurtres de maris. Dans plus de 50% des cas, l’auteur est le partenaire ou l’ex-partenaire. Chiffres qui avaient poussé le pays à prendre des mesures juridiques pour protéger efficacement les femmes face aux violences de leur mari.
Mariages arrangés et justice de genre
Ces cas violents mettent en lumière les conséquences extrêmes des mariages arrangés ou forcés. Pratique toujours très répandue en Inde. Niharika Karanjawala-Misra, associée principale du cabinet d’avocats Karanjawala & Co, déclare concernant ces affaires que « Le fait que des jeunes femmes aient recours à des mesures de ce type pour éviter d’épuiser quelqu’un contre leur gré, privant ainsi une personne innocente de sa vie et ruinant leur propre vie (…) devrait signaler aux familles que forcer quelqu’un à se marier (…) n’est pas un choix souhaitable et optimal« .
Le problème est systémique. Nombreux s’interrogent sur la législation indienne car ces affaires révèlent avant tout les failles profondes de la société indienne. “Il a semblé plus simple à Sonam de planifier un meurtre que d’admettre qu’elle aimait quelqu’un d’autre. Ce qui en dit plus long sur notre société que sur sa personnalité« , explique l’activiste Yogita Bhayana.
En somme, cette série de « maricides » est moins un phénomène criminel de masse qu’un symptôme alarmant des contradictions sociales et culturelles d’un pays patriarcale en tension entre tentative de modernité et traditions rigides.