Une disparition énigmatique, un procès controversé, des secrets jamais élucidés… L’affaire Seznec continue de fasciner un siècle après les faits. On revient sur ce mystère judiciaire.
En 1923, un homme disparaît. Un autre est condamné pour son meurtre sans que le corps ni l’arme ne soient retrouvés. Un siècle plus tard, l’affaire Seznec reste l’un des plus grands mystères judiciaires français.
La disparition de Pierre Quéméneur
C’était le 25 mai 1923. Guillaume Seznec est un négociant breton de 45 ans. À ses côtés, son associé de 46 ans, Pierre Quéméneur est négociant en bois à Landerneau dans le Finistère. Ensemble, ils prennent la route depuis Rennes vers Paris à bord d’une Cadillac pour des affaires commerciales. Dans la capitale, ils rejoignent un certain Boudjema Gherdi dans le but de lui vendre des Cadillac de l’armée Américaine après la Première Guerre mondiale. Durant ce périple, les deux hommes ont connu de nombreuses pannes avec le véhicule. Finalement, Guillaume Seznec rentre seul à Morlaix dans la nuit du 27 au 28 mai 1923. La raison : Pierre Quéméneur aurait fait le choix de rentrer en train après les soucis mécaniques rencontrés.
C’est le début d’une affaire judiciaire qui a passionné le monde entier puisqu’on ne reverra jamais Pierre Quéméneur. Ni vivant évidemment, mais pas même mort. Car il s’agit ici d’une disparition sans corps et sans preuve. De son côté, Guillaume Seznec maintient n’avoir aucune nouvelle de Pierre depuis qu’il l’a laissé à la gare de Houdan. Après trois jours sans le moindre signe de vie, sa famille déclare sa disparation. C’était le 10 juin 1923.
Quelques jours plus tard, un télégramme envoyé du Havre parvient : « Tout va bien, je ne rentrerai à Landerneau que dans quelques jours. Signé : Quéméneur» Peu après, sa valise est retrouvée dans la salle d’attente des voyageurs du Havre. À l’intérieur : son portefeuille, ses papiers… et des traces de sang. De nouveaux éléments troublants qui conduisent la justice à ouvrir, le 22 juin 1923, une enquête pour disparition suspecte.
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Guillaume Seznec : le suspect numéro 1
Rapidement, les soupçons se tournent vers Guillaume Seznec, le dernier à avoir vu Pierre Quéméneur vivant. Ce qui était alors « l’affaire Quéméneur » devient très vite « l’affaire Seznec ». Les enquêteurs relèvent plusieurs incohérences dans son récit : il affirme avoir déposé son compagnon de route à Dreux avant de poursuivre seul, mais aucun témoin ne vient confirmer cette version. Surtout, un document compromettant refait surface : un compromis de vente rédigé au profit de Seznec, portant la signature de Quéméneur. L’acte s’avère être un faux, tapé à la machine. Or, la machine à écrire utilisée est retrouvée quelque temps plus tard… dans le grenier de Seznec. L’homme clame son innocence, mais l’opinion publique et la justice se convainquent peu à peu qu’il est le meurtrier.
L’écrivain et journaliste Bernez Rouz, auteur de L’affaire Quéméneur-Seznec (éd. Apogée, 2005), résume ainsi la situation : « C’était un petit voyou, le coupable idéal. Tout le monde savait qu’il traficotait. La police est sûre que c’est lui qui a fait le coup, ils ne vont pas chercher ailleurs. »
Le procès de Guillaume Seznec se tient aux assises de Quimper du 24 octobre au 4 novembre 1924. Jugé agressif parce qu’il clame son innocence, il fait face à une audience dominée à 80% par les policiers. Son avocat, Maître Marcel Kahn, manque d’expérience en matière de procès d’assises. Le 4 novembre, l’homme est reconnu coupable du meurtre de Pierre Quéméneur et condamné aux travaux forcés à perpétuité. Il échappe à la peine de mort, la piste de la préméditation n’ayant pas été retenue.
Les zones d’ombre de l’enquête
Dès les premières semaines, l’enquête sur la disparition de Pierre Quéméneur se révèle chaotique. Aucun corps n’a jamais été retrouvé, mais la justice se concentre très vite sur un seul homme : Guillaume Seznec. Les gendarmes et policiers privilégient la piste du meurtre, sans vraiment explorer d’autres hypothèses. Les quelques témoins au procès qui pourraient défendre Seznec sont soit absents, soit maladroits ou bien discrédités.
Dans l’enquête, la machine à écrire Royal n°5, retrouvée dans le grenier de Seznec, devient la pièce maîtresse du dossier. C’est elle qui aurait servi à taper le faux compromis de vente de biens appartenant à Quéméneur. Mais cette découverte fait toujours débat : certains pensent qu’elle aurait pu être placée là après coup, pour le faire accuser. À mesure que les semaines passent, les incohérences s’accumulent. Aucun témoin direct, aucun mobile prouvé. Même les fouilles minutieuses, menées dans les étangs et les bois du Finistère, ne donnent rien. Pourtant, l’enquête avance, comme si le verdict était déjà écrit.
Guillaume Seznec passera vingt ans au bagne de Guyane avant d’être gracié par le général de Gaulle en 1946. Il revient en métropole le 1ᵉʳ juillet 1947, âgé de 69 ans, et reçoit un accueil triomphal à Paris, salué par des milliers de personnes. Quelques années plus tard, il décède dans un grave accident de la route, le 13 février 1954. Après sa mort, sa fille, puis son petit-fils, poursuive sans relâche le combat.
Un mystère qui reste entier
Un siècle après la disparition de Pierre Quéméneur, la culpabilité de Guillaume Seznec n’a jamais été définitivement établie. Quatorze demandes de révision ont été rejetées, malgré une succession d’hypothèses : un meurtre par le frère de Quéméneur, une liquidation par un gang américain, une machination policière pour protéger de « puissants personnages »…
Finalement, une solide hypothèse est apparue et implique la femme de Seznec, Marie-Jeanne. Selon l’ancien avocat de la famille, Denis Langlois, celle-ci aurait tué accidentellement Pierre Quéméneur à Morlaix, alors que celui-ci lui aurait fait des avances. Cette version lui aurait été confiée en 1978 par les petit-enfants de Guillaume, qui tenait eux-mêmes l’histoire de leur père, appelé le « Petit-Guillaume ». Il aurait été témoin des faits à seulement onze ans. Les époux Seznec auraient ensuite enterré le corps à Pluvario, dans les Côtes-d’Armor. En 2018, de nouvelles fouilles sont menées dans l’ancienne maison familiale, où un ossement est retrouvé, relançant l’intérêt médiatique. Mais après analyses, il s’agissait d’un os de bovidé.