En 1988, le studio Ghibli, par la direction d’Isao Takahata, dévoile Le Tombeau des lucioles. Adapté d’une nouvelle d ‘Akiyuki Nosaka, mélangeant récit autobiographique et fiction. Le romancier recevra notamment pour son oeuvre le Prix Naoki. Cette oeuvre déchirante relate en partie des évènements qui se sont vraiment passés, et qui seront retranscrit sous forme de cinéma d’animation par Takahata. Retour sur ce film du Studio Ghibli ayant marqué les esprits par son ton tragique, proposé au cinéma français il y a maintenant 25 ans.
Un contexte de guerre
Savoir la période durant laquelle Le Tombeau des lucioles se déroule est d’une importance capitale. C’est pendant l’été 1945 que les forces armés américaines bombardent la ville de Kobe. Sixième ville du Japon, au million d’habitants, l’assaut à l’encontre des japonais prend place les 16 et 17 mars 1945. On constate en seulement deux jours 8841 morts pour cause des attaques des 331 avions bombardiers. C’est en fait 21% de la surface de la ville qui est effacé de la carte, 650 000 maisons disparurent. Un nouveau raid aérien, le 15 juin, décima par le biais de 530 bombardiers, 50% de la ville, en complément des 21% déjà détruit au mois de mars.
Les dégâts sont divers et variés, mais c’est humainement que les japonais sont dévastés. L’horreur de la guerre contraint de nombreuses familles à se retrouver séparer, et créer inévitablement l’orphelinage. C’est ce dont traite tout d’abord la nouvelle d’Akiyuki Nosaka ayant vécu ce déchirement familial lors des bombardements, puis ça sera au tour d’Isao Takahata de travailler ce sujet sous forme d’images animées.
Voici le synopsis par Allociné : Japon, été 1945. Après le bombardement de Kobe, Seita, un adolescent de quatorze ans et sa petite soeur de quatre ans, Setsuko, orphelins, vont s’installer chez leur tante à quelques dizaines de kilomètres de chez eux. Celle-ci leur fait comprendre qu’ils sont une gêne pour la famille et doivent mériter leur riz quotidien. Seita décide de partir avec sa petite soeur. Ils se réfugient dans un bunker désaffecté en pleine campagne et vivent des jours heureux illuminés par la présence de milliers de lucioles. Mais bientôt la nourriture commence cruellement à manquer.
L’adaptation d’Isao Takahata
« Beaucoup d’oeuvres, beaucoup de sujets m’avaient intéressé et m’avaient donné envie d’en faire des films. Quand j’ai lu le roman d’Akiyuki Nosaka, Le Tombeau des lucioles, j’ai pensé pouvoir exprimer autre chose que dans mes oeuvres précédentes. J’ai donc proposé à mon producteur, Toru Hara, de le réaliser. Le récit étant très sombre et triste, il m’a dit qu’il aurait du mal à le produire. Mais quelques temps plus tard, il a décidé de le faire et le faire sortir en même temps que le film de Miyazaki, Mon Voisin Totoro. »
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Le caractère atypique de l’oeuvre, sombre et déchirant, imposa au réalisateur Takahata de devoir sortir le film au même moment que son confrère Miyazaki. C’est en séance commune que les deux oeuvres du studio seront dévoilés. Le changement de ton entre les deux films pouvait être compliqué à gérer pour les spectateurs ayant commencé par Totoro pour finir sur cette note de tristesse que leur proposa Takahata. C’est pourquoi à sa sortie le film est vu comme un semi échec. Avec ses quelques 800 000 entrées, l’oeuvre est jugée trop sombre. C’est pourquoi le public se détourne de son visionnage, surtout pour ne pas choquer les plus jeunes. Le succès de Mon voisin Totoro compensera les pertes du Tombeau des lucioles.
Une retranscription pure et dure
C’est en fait là tout l’intérêt du film, montrer la réalité d’une manière crue et sans filtres. Le Studio Ghibli est connu pour ses long-métrages à double sens : Un premier sens que l’on comprend quand on est jeune, appelé la forme, puis les interprétations que le film envisage en nous, un sens caché, appelé le fond. Cette oeuvre de Takahata ne respecte pas ce rideau d’insouciance, cette animation d’enfance camouflant des vérités dures et cruelles. C’est ce que le romancier Akiyuki Nosaka souhaitait en adaptant sa nouvelle, et le réalisateur du studio a complètement respecté sa consigne principale. Une retranscription proche de la réalité.
Le romancier se confia sur ce film. Il avait reçu de nombreuses offres d’adaptations de sa nouvelle. Cependant, il pensait qu’il était « impossible d’arriver à retranscrire la terre brûlée et les champs de ruines qui constituent littéralement l’épine dorsale de mon roman ». Une oeuvre de fiction filmé dans la réel n’aurait été possible. Seul un récit sous la forme de film d’animation saurait retranscrire comme il se doit son histoire. Nosaka déclara être surpris de la justesse des storyboards de Takahata. Il avait confiance en sa précision d’adaptation.
La révolution Ghibli
Le Tombeau des lucioles constitue un chef d’oeuvre de l’animation. Il est une révolution dans le ton donné par la réalisation. Ce film livre une toute nouvelle vision de la Seconde Guerre Mondiale. Il montre les conséquences néfastes des bombardements. Une oeuvre tragique, emplie de pessimisme, montrant la cruauté de la vie à l’égard de deux enfants condamnés à apprendre par eux-même et survivre dans un contexte hostile.
Le fait qu’il s’agisse d’un film d’animation pourrait empêcher le spectateur de s’immiscer dans ce contexte particulier. Où même de s’identifier aux personnages. Ce n’est pas le cas, et ce n’est d’ailleurs pas forcément le but recherché à travers ce film. L’animation est un élément décisif permettant d’apporter des détails qui n’auraient pas été réalisables en prises de vues réelles. Le Tombeau des lucioles constitue un pilier de l’animation tragique. Il marque aussi la puissance d’un Studio Ghibli hors des codes et révolutionnaires, permettant à l’animation japonaise de se classer au rang d’art international.