« Il n’est qu’une seule éloquence, celle du cœur, et elle s’apprend sans rhéteur » [1], du moins c’est ce qu’essayent de nous démontrer les étudiants qui participent aux concours d’éloquence des universités, discipline qui reconquiert peu à peu ses lettres de noblesse. Terrain de jeu pour certains, tribune ou scène de théâtre pour d’autres, cette lutte du verbe autrefois monopole d’une élite universitaire, a aujourd’hui le vent en poupe. Retour sur ce sport oratoire avec Arnaud, chargé de communication de Lysias Panthéon-Assas et gagnant du concours de plaidoirie Lysias 2015 :
Qu’est-ce qu’un concours d’éloquence ?
Il s’agit le plus souvent d’un duel ou d’une succession de duels, où le gagnant est celui de tous les candidats qui va réussir le mieux à convaincre ses auditeurs. Il va devoir convaincre par sa verve, par sa voix et par son argumentation, un jury ou une foule venue l’écouter. Les sujets, les thématiques et les règles sont très divers et ont tous en commun de permettre à l’étudiant de mettre en avant son talent d’orateur et son charisme, ce qu’ils ont rarement l’occasion de faire dans l’univers de la Fac. Il est dur de sortir du lot et de donner de la voix, ainsi les concours d’éloquence sont un bon moyen de s’amuser, de transmettre des idées et des émotions à un public, et de montrer de quoi on est capable.
Sous quelle(s) forme(s) se déroulent les compétitions ?
Il y a diverses modalités d’affrontements pour les candidats qui font intervenir rhétorique, logique, emphase et humour, seul ou en équipe :
La plaidoirie : c’est l’apanage des étudiants de Droit, qui consiste à défendre un client à la manière d’un avocat autour d’une problématique juridique précise. Que le client soit coupable ou non dans les faits, il s’agit de tout faire pour assurer sa défense, même si la cause semble perdue d’avance : « un avocat sans cause est comme l’eunuque du harem judiciaire »[2].
Le débat parlementaire : très répandu dans les universités, ce débat en équipe consiste à discuter et contester un sujet défendu par un gouvernement face à son opposition. Exemple, « le gouvernement veut interdire la consommation de viande ». Thématiques souvent polémiques et actuelles, il s’agit de défendre avec conviction ou mauvaise foi la position de son équipe sans toutefois tomber dans les stéréotypes et les amalgames.
L’éloquence pure : exercice qui peut sembler plus difficile car moins porté sur la connaissance et l’argumentation d’un sujet mais beaucoup plus sur la rhétorique, la culture et la subtilité, les débats d’éloquence pure demandent bien plus de créativité comme par exemple «La ville Lumière peut-elle s’éteindre ? ».
La simulation des Nations-Unies : aussi appelé MUN pour Model of United Nations, cette compétition d’éloquence souvent en anglais, place l’étudiant dans la peau d’un diplomate représentant son pays ou son organisation et devant défendre ou attaquer une cause internationale. Cet exercice qui concerne surtout les étudiants en relations internationales et en sciences politiques, est très internationaliste en ce qu’il réunit des étudiants du monde entier.
A qui s’adresse ce genre de concours ?
A tout le monde en fait. Longtemps l’exclusivité des étudiants en droit et en sciences politiques, futurs avocats et politiques, les concours d’éloquence s’ouvrent à tous les étudiants. On y trouve donc aussi bien des étudiants en Histoire, en Philosophie, que des élèves en école d’ingénieur ou en école de commerce. Néanmoins, les candidats concourants, qui représentent souvent une association ou une école sont préalablement sélectionnés en interne pour défendre au mieux leurs couleurs. S’inscrire donc, ne nous assure pas nécessairement une place sur l’estrade, encore faut-il faire ses preuves.
Comment s’organisent les duels et les débats ?
Il arrive que les universités elles-mêmes organisent leurs propres concours et cours d’éloquence, mais globalement ce sont des associations étudiantes qui s’en chargent, intra universitaires ou inter universitaires. Il existe de grands noms d’associations telles que Révolte-toi ou encore Lysias. Les assos font souvent des permanences pour former et entraîner leurs membres, organisent des Master Class avec d’anciens étudiants ou des professionnels reconnus en vue de préparer les concours. Certaines se contentent d’organiser les événements dans des lieux prestigieux, avec un jury d’exception et une communication solide pour mobiliser un public important.
Qu’est-ce que cela peut rapporter à l’étudiant ?
L’éloquence permet de développer avant tout la confiance en soi, et la pratique de l’oral lorsque l’on parle à un auditoire de plusieurs centaines de personnes. On apprend ainsi à convaincre et à persuader en dépit de notre sensibilité par rapport au sujet imposé. Le milieu de l’éloquence est un milieu avant tout égocentrique où il faut aimer se montrer. Monter à la tribune demande beaucoup de courage, mais cela apporte réputation et visibilité.
Sur le plan universitaire, les étudiants font en sorte de demander à ce que ce genre de concours soit pris en compte dans la notation, ce qui n’est pas encore le cas. Cet exercice indispensable à toute profession agit en complément de ce que l’université peut nous apporter sur le plan théorique. Les avantages sur le plan professionnel ne sont pas à négliger, puisque cela nous ouvre un réseau parmi les étudiants et les professionnels du métier, et que ce genre de pratiques est bien reconnu.
Les joutes sont souvent organisées dans des lieux de renommée tels que le Palais de Justice ou l’Assemblée Nationale. De plus, les candidats peuvent rencontrer des professionnels du métier notamment parmi les membres du jury, grands avocats, grands magistrats, ou encore hommes politiques et acteurs de théâtre.
Quelles sensations cela engendre-t-il ?
L’émotion suscitée par ce genre d’affrontements est difficilement descriptible. D’abord submergé par le trac, celui-ci disparaît à mesure que l’on prend la parole. Le plaisir de la verve, la décharge d’adrénaline, la réaction du public … on transmet des émotions à l’auditoire qui nous le rend bien, le tout dans un cadre prestigieux avec un jury de renom : on se sent héroïque quelque part.
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Des conseils pour les étudiants qui voudraient se lancer ?
Ne pas avoir peur de se lancer, car en dépit de tout le trac que l’on peut avoir, une fois lancé, cela va tout seul. Ecrire ses discours à l’avance, ne pas se laisser dépasser car l’éloquence n’est en rien un exercice d’improvisation, elle demande beaucoup de temps ; il ne faut donc pas négliger son cursus. Bien évidemment, il faut beaucoup lire, de la littérature, de la poésie et du théâtre ; ainsi que s’inspirer des discours des grands orateurs. Ne pas tout miser sur l’humour, il ne faut pas oublier que l’on convainc d’abord un jury et non une foule en liesse, ce n’est pas le même discours, ce n’est pas le même langage. Tout bon discours tient donc en un subtil mélange entre le sérieux, l’humour et le second degré. On peut parler de n’importe quoi à n’importe qui tant que les arguments sont bien amenés. « Il faut qu’il y ait dans l’éloquence de l’agréable et du réel, mais il faut que cet agréable soit réel »[3]. Dernier conseil, investir dans une cravate en venant toujours bien habillé, il faut aussi bien sûr prendre du plaisir car le jury le voit.
Lire aussi sur les candidats aux concours des écoles
[1] Sylvain Maréchal, Le dictionnaire d’amour, 1788
[2] Denis Agboton, avocat, secrétaire de la Conférence du stage
[3] Blaise Pascal, Pensées, 1670
Image à la Une : © Christophe Rabinovici