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Création d’un générique: Justified (FX)

On aime les génériques sur Radio VL et pour le prouver, on les décrypte pour vous. On s’attaque aujourd’hui à celui de la toujours géniale Justified.

Justified, c’est donc l’histoire de Raylan Givens (Timothy Olyphant), marshal old school à la gâchette facile. Une fusillade de trop, et le voilà muté au fin fond du Kentucky, dont il est originaire. Renvoyé vers un passé qu’il croyait avoir laissé derrière lui, il retrouve les petits criminels avec lesquels il a grandi, et en particulier une vieille connaissance : Boyd Crowder (Walton Goggings), chef de bande sans scrupule impliqué dans tous les trafics. Fidèle à ses méthodes expéditives, Raylan est bien décidé à l’envoyer derrière les barreaux, et la confrontation va faire des étincelles… [youtube id= »xR3CNEdoPJc »]

Flou artistique ; le générique s’ouvre sur un rythme marqué par trois coups sourds de grosse caisse. La caméra passe derrière des planches de bois pourries, pour suivre un homme coiffé d’un Stetson – le héros, Raylan Givens – qui pénètre dans une remise et se fraye un passage au milieu de la multitude de déchets entreposés en vrac (un vieux ventilateur, une moustiquaire cassée…) ; s’enchaînent alors des images de quelques secondes, dans des tons sépias ou en noir et blanc, présentant  des objets, des scènes ou des lieux aperçus par la vitre d’une voiture en marche : un homme courant à travers les herbes hautes ; un derrick de charbon ; le canon d’un fusil ; un poulailler ; un marshal ou un shérif prenant des notes à côté d’un cadavre étendu face contre terre, au bord d’un marais ; le reflet de l’homme au Stetson dans une flaque d’eau ; un type à l’allure fruste portant jean sale et chemise de bucheron, dans une rue déserte bordée de maisons de bois peintes en blanc ; un homme courant sur une voie ferrée ; une silhouette penchée sur un linge couvert de sang sur les rails ; la façade d’une église ornée d’une croix ; des mains jouant du banjo ; à nouveau le type au Stetson, vu de dos ; des chevaux ; un chien ; une cible constellée d’impact de balles ; et une dernière fois Raylan Givens, progressant dans une forêt dense ; le générique se conclut sur la vue plongeante d’une ville de taille moyenne, surplombée par des collines en arrière-plan. Tout au long de la séquence, les noms des acteurs apparaissent, décentrés, dans une police de caractères irrégulière rappelant celle utilisée dans les westerns. Le tout, au son d’une musique atypique, mélange de rap et de rock bluegrass.

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Même sans avoir vu le moindre épisode de Justified, on sait d’emblée à quoi s’attendre. Toute la réussite du générique vient de là, de la manière subtile voire quasi-subliminale dont il parvient à poser un cadre, une ambiance, et même les grands traits de l’histoire. Au premier abord, rien de tout cela n’est flagrant, mais la suite de brefs instantanés dit globalement tout ce qui constitue l’univers de Justified.

Il y a bien sûr les deux scènes de crime, qui indiquent clairement qu’il s’agit d’un cop show, avec son lot de meurtres sanglants. Mais en l’occurrence, les deux séquences se déroulent en extérieur, dans des lieux sauvages et éloignés de la ville, sous-entendant que l’action se déroule sur le terrain, et non pas dans des salons feutrés ou l’intimité des résidences. C’est d’ailleurs le dénominateur commun entre toutes les images, qui mettent en avant le décor et la zone géographique dans lesquels est implantée la série. Dans leur grande majorité, les séries télévisées américaines nous ont habitués aux environnements urbains – des avenues de New York au trafic encombré de Los Angeles, en passant par les jetées ensoleillées de Miami ou les vastes esplanades de Washington. Justified s’inscrit en totale opposition, plantant dès le générique un cadre plus sauvage et plus rude, fait de longues routes désertes, de montagnes et de forêts inextricables, de gisements de charbon et d’installations agricoles. La lumière, le jeu des filtres jaunis ajoutent un côté vieilli voire un peu glauque à ces paysages poussiéreux, de même que le mouvement de la voiture, à travers la vitre de laquelle le spectateur découvre les lieux, accentue l’impression de vide.  L’ultime image, panorama de la ville qui – on le suppose – est au cœur de la zone, est une vue de Harlan, siège du comté du même nom : un choix qui dénote un désir d’authenticité, d’autant plus important que la série a bel et bien été tournée sur place.

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Certaines images sont représentatives de l’activité agricole et industrielle de la région : le poulailler et la grange en soulignent le caractère rural, tandis que le gisement de charbon pose l’importance de l’exploitation de ce minerai mais aussi, par déduction, les difficultés socio-économiques que suppose le déclin généralisé de ce secteur.  D’autre part, le banjo situe les lieux quelque part dans le Sud des Etats-Unis ; la présence de l’église offre un moyen d’affiner la localisation en supposant qu’on se trouve dans la Bible belt, zone du sud-est où se concentrent les fondamentalistes chrétiens. Si ces éléments donnent une idée assez précise de l’endroit, ils se combinent également à d’autres images et l’ensemble dessine une sorte de portrait chinois des autochtones, et donc des protagonistes de Justified. Les armes, la cible marquée par les impacts de balles évoquent en particulier ces adeptes des armes à feu prônant le droit à l’auto-défense. En associant le tout, on entrevoit ces rednecks, sortes de beaufs typiquement américains, campagnards mal dégrossis et bas du front accrochés à leurs carabines 22 long rifle et à leurs préjugés rétrogrades. La description, aussi peu flatteuse et engageante soit-elle, semble pourtant appropriée pour dépeindre l’homme aperçu dans la rue principale…

La seule autre personne clairement visible, c’est le type au Stetson, qui apparaît à de multiples reprises. D’où l’on en conclut qu’il s’agit du héros de la série – et on a bien raison, puisque l’homme en question est bien le marshal Givens. Le Stetson, sur lequel le générique et moi-même insistons lourdement, n’est pas posé par hasard sur sa tête : non seulement il rend le personnage immédiatement identifiable, mais il renvoie également au mythe du cow-boy, franc-tireur protecteur de la veuve et de l’orphelin, défenseur de la justice dans un monde où tous les coups sont permis. C’est exactement ce qu’est Raylan Givens, bras armé d’une loi dont il ne s’embarrasse guère lorsqu’il s’agit de mettre hors d’état de nuire les petites frappes ou redoutables criminels qui sévissent dans son Kentucky. SON Kentucky, parce qu’en le plaçant comme unique visage reconnaissable, Justified sous-entend qu’il est un homme du coin en le liant au décor qu’il arpente, l’impose sur son territoire et entérine sa légitimité en tant que justicier d’Harlan.

Mais un générique, ce ne sont pas que des images ; c’est aussi une musique ou, comme ici, une chanson. Intitulée Long Hard Times To Come, celle de Justified a été écrite et interprétée par Gangstagrass, groupe américain issu de Brooklyn qui a su créer son propre style en mélangeant rock bluegrass et rap. Sur un sample tiré d’un autre de leurs morceaux, ils ont demandé au rappeur Tone-Z d’y poser son flow, pour un résultat original et détonnant, en totale adéquation avec l’esprit de la série. L’alliance  improbable entre les deux styles musicaux superpose l’ambiance traditionnelle du rock sudiste (on pense notamment à Things goin’ on de Lynyrd Skynyrd) à la modernité offensive du rap, tout comme Justified juxtapose polar et western en détournant les codes des deux genres pour tenter de les renouveler et de les rafraîchir ; le rythme entraînant et léger de la musique correspond aussi au ton volontiers ironique et décalé de la série.

Carlos A. Varela Photography

Carlos A. Varela Photography

Il en va de même pour les paroles : les couplets scandés par Tone-Z et le refrain entonné par Rench, le chanteur de Gangtagrass, collent à la peau de Raylan Givens au point qu’on ne serait pas étonné de l’entendre prononcer ces mêmes mots au détour d’un dialogue. Les termes lonely road ou doin’ it by my lonesome évoquent par exemple la solitude d’un personnage viscéralement indépendant, et l’adjectif pissed-of traduit son tempérament sanguin (« Tu es l’homme le plus en colère que je connaisse » lui assène son ex-femme Wynona à la fin de la saison 1.) Dans le même temps, le texte porte aussi l’une des grandes thématiques de Justified, récurrente tout au long des 6 saisons : celle de la fatalité (I’m fighting for my soul / God get at you boy) et de la lutte désespérée des hommes pour y échapper.  En s’achevant sur la phrase qui donne son titre à la chanson, Long hard times to come (Des temps difficiles à venir), le générique de Justified s’achève en posant le ressort dramatique : le type au Stetson va en baver sévère, et pas seulement à cause des péquenauds du fin fond de l’Amérique profonde…

30 secondes pour poser une ambiance, un décor, un personnage : le générique de Justified réussit ce tour de force en s’appuyant sur une iconographie marquée et une bande-son atypique, qui lui permettent d’afficher son identité et de plonger immédiatement le spectateur dans son univers. Au point que l’on peut parier que, si vous aimez le générique, vous aimerez la série. Preuve, s’il en était besoin, qu’un générique est vraiment bien plus qu’une simple litanie de noms.

Justified – Série diffusée sur FX / OCS et M6 en France.

6 saisons de 13 épisodes / Disponibles en DVD.

Crédit photos : FX / Elmoreleonard.com

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