Les attentats du 22 mars ont entrainé une crise politique en Belgique. Les ministres de l’Intérieur et de la Justice ont présenté jeudi leur démission, refusée par le Premier ministre. Des fautes graves et des dysfonctionnements importants seraient en cause dans des affaires judiciaires et de sécurité intérieure.
Mardi 22 mars, trois bombes explosaient à Bruxelles : deux à l’aéroport Zaventem et une dans la station de métro de Maelbeek. Le bilan à l’heure actuelle est de 30 morts et 300 blessés.
Le pays, choqué, doit maintenant faire face à une crise politique majeure. En cause : la responsabilité des services de la Justice et de l’Intérieur dans de graves dysfonctionnements ayant permis à l’un des terroristes de mardi de ne pas être traqué ni même poursuivi — malgré des alertes et des indices flagrants.
Le terroriste en question est Ibrahim El-Bakraoui, l’un des deux kamikazes s’étant fait exploser à l’aéroport Zaventem. Né en Belgique, Bakraoui y est condamné en 2010 à 10 ans de prison pour violence et grand banditisme — mais est ensuite remis en liberté conditionnelle. Première faute.
Deuxième faute : en 2015, Bakraoui part en Syrie, violant ainsi l’une des conditions de sa remise en liberté qui était de ne pas quitter le pays pendant plus d’un mois. Les autorités turques l’arrêtent en juin 2015 à Gaziantep, à 50 kilomètresde la Turquie, et le renvoient en Europe, direction Amsterdam, tout en prévenant les Hollandais et les Belges et en communiquant son dossier : l’individu est dangereux, il est soupçonné d’être djihadiste, d’être lié à Daesh. Surveillez-le.
Troisième faute : les autorités belges ne réagissent pas.
Entre temps, la remise en liberté de Bakraoui est cassée par le tribunal d’application des peines. Sans qu’aucun mandat d’arrêt international ne soit délivré. Quatrième faute. Bakraoui reste libre.
Après les attentats de novembre 2015 à Paris, son nom apparait dans l’enquête, en relation avec son frère. Les autorités s’intéressent à lui. Visiblement, pas de manière suffisante.
Jusqu’au 22 mars 2015 à 8h du matin : Bakraoui déclenche sa bombe à Zaventem, une heure avant son frère qui se fait exploser dans le métro bruxellois, à deux pas du Parlement européen.
Rapidement, tout s’enchaine.
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« Des erreurs ont été commises »
Mercredi 23 mars, le président turc Erdogan déclare que Bakraoui était connu des services turcs, et devait l’être des services belges.
Jeudi 24 mars, une cérémonie d’hommage doit se tenir place de la Nation, devant le Parlement fédéral, en présence entre autre du roi Philippe, de la reine, de 250 représentants politiques belges, et de président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker.
Une heure avant la cérémonie, le Premier ministre Charles Michel reçoit la démission de son ministre fédéral de la Sécurité et de l’Intérieur, Jan Jambon (55 ans, de l’Alliance néo-flamande) et de son ministre fédéral de la Justice, Koen Geens (58 ans, parti démocrate-chrétien flamand). La menace est encore bien réelle, l’alerte au niveau 4, deux suspects sont encore en fuite, des opérations sont en cours en Belgique et en France : Charles Michel refuse leur démission. La situation est trop précaire, trop dangereuse.
Mais l’union politique est brisée, et le doute s’est emparé des esprits. La cérémonie d’hommage se tiendra finalement dans un climat d’incertitude et de suspicion, et dans la conscience que l’unité politique autour du drame est en train de se fissurer. « Il ne pourra y avoir d’impunités, déclare Charles Michel. Nous ferons la lumière sur ces attaques et sur les événements qui y sont liés. Il ne restera aucune zone d’ombre. » Et la présidente du Sénat Christine Defraigne prévient : « La tolérance ne permet pas de tolérer l’intolérable. »
Jan Jambon déclare au Soir : « J’ai présenté ma démission. Monsieur Geens également. Elles ont été refusées. Nous continuons. Il y a eu deux sortes d’erreur. Au niveau de la Justice et au niveau de l’officier de liaison en Turquie, ce qui implique donc les départements de l’Intérieur et de la Justice. Mais maintenant, nous continuons notre travail. »
Jeudi, un comité ministériel est réuni pour étudier le cas Bakraoui et les éventuels manquements de la police et de la justice. Vendredi, c’est une commission conjointe réunissant l’Intérieur, la Justice et les Affaires Etrangères qui se réunit pour les mêmes raisons. Jan Jambon déclare : « Une personne relevant de la police n’a pas agi correctement. C’est pour cela que j’ai remis ma démission ».
Il y aurait eu une faute lourde du côté de l’agent de liaison belge avec la Turquie, et du côté de la police judiciaire, insuffisamment réactive. Une étude des éléments connus à ce jour laisse entrevoir une mauvaise communication entre les différents services, des retards accumulés, des occasions ratées.
Des élus demandent une commission d’enquête parlementaire. L’opposition commente, critique, en faisant attention de ne pas se montrer trop offensive.
« Je constate quand même que pendant trois mois, on a retenu une information capitale qui aurait peut-être pu empêcher l’attentat », a déclaré la cheffe de groupe PS à la chambre, Laurette Onkelinx, qui ajoute au micro de La Prem1ère : « Les ministres eux-mêmes semblent dire que des fautes importantes ont été commises par les services. De police, services de renseignement, parquet. Il faut en avoir le cœur net. C’est grave comme accusation que les ministres eux-mêmes portent sur les services et peut-être sur eux-mêmes. Et cela donne raison aux médias étrangers qui nous critiquent « .
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Cette crise politique en est encore à ses débuts. L’unité du gouvernement ne semble tenir pour l’instant que par l’urgence de la situation et dans la tension née des attentats. De nombreux commentateurs estiment que tôt ou tard, la démission des ministres deviendra effective.
Cette situation illustre bien la façon dont le terrorisme, des actes de violence ciblée, peuvent ébranler des systèmes politiques depuis l’intérieur. C’est d’ailleurs une constante dans l’histoire du terrorisme qu’une attaque externe vienne éclairer des dysfonctionnements ou des failles dans les affaires internes d’un pays, d’une institution, d’un corps politique. Ici il s’agit de la sécurité intérieure et de la justice, piliers du pouvoir régalien. Si ceux-ci venaient à se fragiliser davantage, ce serait la confiance du pays dans ses institutions qui serait touchée. Ce genre de déstabilisation interne fait bien entendu partie des buts recherchés par les terroristes.