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Cumuler, c’est tromper ?

En navette entre l’Assemblée Nationale et le Sénat, le texte sur le non-cumul des mandats adopté hier en première lecture par la chambre basse, est tombé entre les mains de nos rédacteurs. Pour vous, ils l’analysent et en débattent.

POUR le cumul des mandats

Des racines et des élus

En l’état du droit, le député n’est pas seulement un homme d’appareil. C’est aussi et surtout un homme de terrain. Or, empêcher un député d’accumuler sa fonction de représentant de la nation et celle de maire, c’est déconnecter un peu plus l’homme politique de la réalité sociologique de notre pays. N’est-ce pas parce que le député est également maire qu’il peut légitimement parler au nom des riverains de sa circonscription ?

Le député socialiste Eduardo Rihan Cypel, fervent partisan de la réforme, anticipe des « répercutions sur la crédibilité de la parole politique ». Cette mesure pourrait, au contraire, accentuer l’indifférence des citoyens français vis-à-vis de leurs élus. En juin 2012, le taux d’abstention aux élections législatives avoisinait 43%, chiffre historiquement élevé. On peut douter que ce rapport s’amoindrisse en 2017 lorsque les français devront se déplacer pour…d’obscurs politiciens sans ancrage territorial évident, et investis par des partis discrédités.

« Cumulard et fier de l’être ! »

Cette phrase, prononcée par le député UMP des Yvelines Jacques Myard, en dit long sur les réticences de l’opposition à l’adoption du texte. « Livrons en pâture, au café du commerce de l’antiparlementarisme, les députés cumulards » ironise encore le parlementaire de droite. Mais si les députés du premier parti d’opposition, menés par Christian Jacob, et les députés UDI rejettent massivement la réforme, le texte est également loin de faire l’unanimité à gauche. Le chef de file des Radicaux, Républicains, Démocrates et Progressistes (RRDP) dénonce une « instrumentalisation de l’opinion ». Les chevènementistes, quant à eux, craignent un déséquilibre des institutions de la Vème République.

Hommage à Victor Hugo

Alors que notre Constitution s’apprête à fêter ses 55 ans en octobre prochain, les institutions de la République n’ont vraiment pas besoin de cette nouvelle fissure mais au contraire de stabilité et de cohérence. Où est la cohérence de cette mesure alors que le Président de l’Assemblée Nationale lui-même se complaît aujourd’hui (et pour les quatre années à venir) dans l’exercice de plusieurs fonctions politiques ?

Pour le Sénat, c’est non

La chambre haute, qui représente au Parlement les collectivités territoriales, est vent debout. Il est hors de question pour les sénateurs que les rôles de parlementaires et d’exécutifs locaux soient incompatibles. Ami de longue date et conseiller du Président de la République, François Rebsamen, sénateur-maire de Dijon, n’envisage pas ses deux casquettes séparément. Parmi les parlementaires, c’est lui qui, le premier, a souligné l’aberration et la démagogie du projet de loi. En effet, encore plus pour les sénateurs que pour leurs collègues de l’Assemblée Nationale, le lien territorial avec les électeurs est primordial.

La 1ère lecture au Sénat devrait donc mettre en évidence, dans les prochains jours, les divergences profondes entre les deux chambres de l’Assemblée. Les députés devront redoubler d’inventivité et de combativité en 2de lecture pour faire passer ce projet très contesté et contestable.

Le cumul des mandats dans l’espace est, encore une fois, un débat marginal. Loin, très loin des préoccupations des français. Une proposition sur le cumul des mandats dans le temps aurait mérité plus ample méditation puisque certains parlementaires conservent cupidement leur siège depuis des dizaines d’années. Mais cette réflexion a été abandonnée par l’Assemblée Nationale…

Méditons cette phrase du grand philosophe C.C.C. : « le danger n’est pas de cumuler les postes mais plutôt de cumuler les incompétents ».

Arthur Lampert

CONTRE le cumul des mandats

« L’homme qui poursuit deux lapins à la fois n’attrape rien »

Les élus n’ont pas le temps de s’occuper de deux choses à la fois.  Prenons le vote sur le mariage gay en exemple. Ce texte a demandé énormément de temps aux députés, puisque ces derniers ont débattu pendant plus de 172 heures sur le sujet, soit l’équivalent de 24,5 journées de travail. Un proverbe chinois résume très bien la situation : « l’homme qui poursuit deux lapins à la fois n’attrape rien ». Vouloir se concentrer sur plusieurs choses à la fois ne fait qu’éloigner nos dirigeants de leurs responsabilités.

C’est un débat pour une meilleure représentativité, la France a besoin de sang neuf et ne peut pas continuer à se laisser gouverner par cette caste fermée au monde. Oui, on peut parler de caste, de ce club « trop select » qui demande un passage obligatoire à l’ENA ou aux grandes écoles comme droit d’entrée.

On reste toujours dans cette logique d’apparatchik, ces militants soviétiques qui engageaient leur vie pour le Parti Communiste, pour grimper dans les échelons et gagner en responsabilité. La politique ne doit pas être un métier, c’est une fonction, pas une vocation. Faire de la politique ce n’est pas utiliser la toute-puissance de la République pour nous seul, mais bien représenter « la volonté générale » qui nous confie le pouvoir dont il est investi. La démocratie, comme le disait Abraham Lincoln, l’un des plus grands présidents des Etats-Unis, c’est « le pouvoir du peuple, par le peuple, pour le peuple » et rien d’autres.

non_au_cumul_des_mandats1Sommes-nous restés à la période anté-1789 ? La situation a-t-elle vraiment changé en politique ? A cette époque « l’ascenseur social » était inexistant : un fils de paysan restait un paysan, un noble restait un noble. Les choses ne pouvaient pas changer.

Pourquoi tant d’opposition à ce projet de loi ? Tout simplement parce que seulement 12% des députés à l’Assemblée ne sont pas des cumulards. La grande majorité empile deux-trois –et même jusqu’à quatre postes !  Ainsi, nos 577 députés occuperaient à eux seuls pas moins de 1200 mandats.

Chaque année, les députés reçoivent une enveloppe d’environ 110 000 euros pour aider les projets dans leur circonscription. Autant dire que l’argent passe – la plupart du temps, dans leurs mairies propres – et non dans les communes endettées.

Le non-cumul des mandats, ce n’est pas de la démagogie, ce n’est pas une idéologie réservée exclusivement à la gauche. Bruno Le Maire, député UMP en a d’ailleurs fait son cheval de bataille, poussant un coup de gueule avec neuf autres députés quant à la moralisation de la vie politique. Il demande également à ce que les hauts fonctionnaires démissionnent de la haute fonction publique.

Dans un pays où le sentiment de corruption est très fort, (73% de français jugent que leurs partis politiques sont corrompus), la morale semble être exclue de toute participation à la vie publique. Ce n’est qu’en mettant en place des lois pour instituer une éthique dans la vie politique que les choses pourront changer.  Et, comme le dit très bien Jacques Julliard, « Pour que la politique devienne quelque chose pour tous, il faut qu’elle cesse d’être tout pour quelques-uns ».

Jérôme Wysocki

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