Dates in Time, votre chronique historique, vous propose de retracer en quelques dates et portraits, l’histoire de ce que les historiens appellent « la question noire » des États-Unis : la place des Afro-américains dans la sociétés des USA.
Dans le premier épisode de ce Dates in Time consacré aux Afro-américains, nous avions traité de l’esclavage à l’époque coloniale et dans les premières décennies d’existence des États-Unis. Souvenez-vous, nous en étions arrivés à l’abolition de l’esclavage aux États-Unis après la Guerre de Sécession qui s’est déroulée entre 1861 et 1865.
Nous entamons à présent notre deuxième étapes dans l’histoire des Afro-américains, celle de l’époque de la ségrégation. Pendant près d’un siècle, malgré la fin de l’esclavage, les sociétés blanche et noire sont restées séparées et sous tension. C’est le grand paradoxe du pays qui se réclame garant de la liberté et de la démocratie sur la scène internationale, mais qui rejette 10% de sa propre population. Cette période d’inégalité, de souffrance et de violence envers les Afro-américains a fait naître diverses revendications et mouvements de contestation portés par des personnalités Afro-américaines charismatiques qui aujourd’hui font partie de l’histoire commune, partagée par Noirs et Blancs.
1865 : le 13e amendement à la constitution aboli l’esclavage.
« Ni esclavage ni servitude involontaire, si ce n’est en punition d’un crime dont le coupable aura été dûment convaincu, n’existeront aux États-Unis ni dans aucun des lieux soumis à leur juridiction. »
Cet amendement affranchi du jour au lendemain quelques 4 millions d’esclaves. Il n’a cependant pas changé grand chose à la condition de la majorité des anciens esclaves. À la fin du XIXe siècle, 90% des Afro-américains, n’ayant aucune ressource, sont restés dans les États du Sud, souvent au service de leurs anciens maîtres en l’échange de maigres salaires fixés par ces derniers.
De même, l’abolition de l’esclavage a suscité des réactions négatives de la part de certains anciens esclavagistes. En effet, l’année 1865 est également marquée par la création d’une organisation raciste tristement célèbre : le Ku klux Klan. Cette organisation a été créé par des propriétaires terriens des anciens États esclavagistes dans le but d’affirmer la « suprématie de la race blanche ». Les membres de cette organisation, masqués par des cagoules blanches, font régner la terreur dans les communautés afro-américaines du Sud en perpétuant des actions de violences extrêmes envers les anciens esclaves qu’ils rencontrent. En 1871, le Klan, qui comprend alors 500 000 membres, est interdit par le gouvernement fédéral des États-Unis, cependant il revoit le jour en 1915…
1896 : la ségrégation légalisée
Comme nous venons de le voir, l’abolition de l’esclavage apportée par le 13e amendement, n’a pas fait l’unanimité. Les États esclavagistes qui avaient fait sécession en 1860-61 ne sont pas devenus abolitionnistes du jour au lendemain. Ils ont été contraints de rentrer à nouveau dans l’Union et d’accepter l’abolition de l’esclavage à la fin de la guerre. Mais cela a été vécu comme une punition sévère dans les États du Sud où la société et l’économie étaient largement régies par l’esclavage. Il s’est alors développé un réel sentiment de frustration dans ces États qui s’est traduit par la ségrégation, la stricte séparation entre les Blancs et les Noirs. De nombreux États du Sud ont adopté des lois afin de contourner les lois fédérales qui ont statué l’égalité entre Blancs et Noirs après la guerre civile. C’est notamment le cas du droit de vote qui est habillement retiré aux Afro-américains. Ces mesures ségrégationnistes ont été surnommées « lois Jim Crow » en référence à un personnage de minstrel show ( sorte de cabaret en beaucoup moins classe) qui est une caricature raciste d’Afro-américain. En 1896, la pratique de ses « lois Jim Crow » est devenue tellement commune que la Cour Suprême des États-Unis la rend légitime avec le principe selon lequel Blancs et Noirs sont « séparés mais égaux ».
La ségrégation témoigne, dans les États qui la pratique, de la volonté tenace d’exclure les Afro-américains. Ainsi les Noirs n’ont pas le droit de fréquenter les mêmes espaces publics que les Blancs, ils en ont qui leur sont réservés. Bien évidemment les établissements réservés aux Afro-américains ne bénéficient pas des mêmes moyens que ceux réservés aux Blancs, ce qui remet en question la soit-disant « égalité ».
1917-1918 : les Afro-américains dans la Première Guerre mondiale.
Les États-Unis rentrent en guerre aux cotés de la France et de la Grande Bretagne en 1917, des soldats américains sont donc envoyés pour combattre en Europe. La situation de guerre met en lumière un paradoxe des États-Unis : il n’y a pas assez d’engagés volontaires pour partir au combat mais l’état-major rejettent les jeunes Afro-américains qui veulent s’engager.
Beaucoup d’Afro-américains veulent en effet s’engager pour échapper à leur misère et dans l’espoir que leur Nation leur soit reconnaissante et les considère enfin comme des citoyens à part entière. Ce n’est que dans un second temps, faisant face à un réel manque de volontaires, que les Afro-américains ont le droit de s’engager dans l’armée. Ils sont 400 000 en tout à être enrôlés, mais la majorité est affectée à des tâches subalternes et ingrates. De plus l’armée, comme la société américaine, est ségréguée, on ne laisse pas les Noires et les Blancs se battre ensemble.
Quelques Afro-américains sont quand même parvenus à s’illustrer au combat. Ceux qui se sont fait le plus remarquer sont sans doute ceux du 369e régiment d’infanterie, surnommés les « Harlem Hellfighters ». Ils étaient beaucoup moins bien équipés, rationnés et entraînés que leurs homologues blancs, mais ils se sont illustrés par leur courage et leur détermination, soucieux de détromper leur officiers blancs qui pensaient que les Noirs étaient peureux et incapables de combattre. De toutes les troupes américaines envoyées en Europe, ce sont eux qui ont passé le plus de temps au front (191 jours). Ils se sont également illustrés en étant les premiers soldats alliés à repousser les lignes allemandes derrière le Rhin. Ces hommes ont donc fait leur preuves, ils ont prouvé à ceux qui en doutaient qu’ils pouvaient faire aussi bien et même mieux que les soldats blancs. De plus, en Europe, les Afro-américains ont vu des sociétés beaucoup plus tolérantes que celle des États-Unis. C’est donc pleins de revendications qu’ils sont rentrés chez eux, mais ils ont retrouvés des États-Unis plus fermés que jamais.
Les Afro-américains ne sont en effet pas restés passifs face à la ségrégation. Des voix pleines de revendications se sont élevés contre la ségrégation et le racisme aux États-Unis, cependant ces dernières n’étaient pas vraiment unies et s’opposaient même parfois. Trois leaders Afro-américains du début du XXe siècles me semblent représentatifs des différents mouvements afro-américains.
Booker T Washington (1856-1915) est un de ces leaders. Né esclave, il a eu la chance de pouvoir étudier et de devenir professeur. Selon lui, les Afro-américains doivent gagner leur égalité en s’instruisant. Il est le leader du mouvement gradualiste qui œuvre à l’éducation des populations afro-américaines afin de leur permettre d’être reconnues par les Blancs. Il a ainsi passé une grande partie sa vie à fonder des écoles et à enseigner aux Afro-américains. Très populaire chez les Afro-américains, ils est toléré par un grand nombre de Blancs car il ne remet pas en cause l’ordre établi. En 1901, convié par le président Théodore Roosevelt, il est le premier Afro-américain à être invité à la Maison Blanche mais aucune mesure en faveur des Afro-américains n’est prise suite à cet événement.
Une partie de la communauté afro-américaine désire cependant que les choses changent rapidement et veut affirmer sa fierté d’être noire. C’est le cas de William Edward Burghardt Du Bois (1868- 1963). Il est le premier Afro-américain a obtenir un doctorat. Ayant grandi dans le Massachusetts (où l’esclavage est aboli depuis 1783), dans une communauté tolérante, il n’a relativement pas été confronté au racisme. Cependant il s’insurge contre la ségrégation et reproche à Booker T Washington d’être trop modéré avec son gradualisme. Il veut que les Afro-américains soient fiers de leur couleur et de leur culture. En 1909, il participe à la fondation de la N.A.A.C.P (association nationale pour la promotion des gens de couleur) qui a pour mission d’« assurer l’égalité des droits politique, éducative, sociale et économique de tous les citoyens et éliminer la haine raciale et la discrimination raciale ». à partir des années 1930, Du Bois invite les Afro-américains à retourner en Afrique, et c’est d’ailleurs ce qu’il fini par faire lui même.
Marcus Garvey (1887-1940) est un autre exemple de leader afro-américain. Lui est sans doute l’un des plus radicaux. Il est à la tête de l’U.N.I.A (association universelle pour l’amélioration de la condition noire) qui appelle tous les Noirs du monde à s’unir. Il répond au racisme blanc par un racisme noir qui prône la « suprématie de la race noire » et la séparation totale entre Blancs et Noirs. Son mouvement connaît un certain succès et compte plus d’un million de sympathisants en 1920.
1941-1945 : Les États-Unis en guerre contre la barbarie des régimes totalitaires
C’est sans doute pendant la période de la Seconde Guerre mondiale que le paradoxe de la ségrégation est à son paroxysme. Les Etats-Unis se sentent investis du devoir de triompher des régimes totalitaires en répandant la liberté et la démocratie sur le monde. Mais le « champion de la liberté » pratique encore chez lui la ségrégation raciale : Les Afro-américains sont plus touchés par le chômage que les Blancs ; leur revenu moyen est largement inférieur à celui des Blancs ; un très grand nombre d’entre eux se voit encore interdire l’accès aux urnes ; tous les ans, les forces de l’ordre ferment les yeux sur des crimes raciaux… De nombreux Afro-américains refusent de s’engager dans l’armée, ne voulant pas se battre pour le pays qui les prive des droits des plus fondamentaux. C’est le cas de Malcolm Little qui quelques années plus tard prendra le nom de Malcolm X.
Cependant, une grande partie de la communauté afro-américaine a joué un rôle non négligeable dans la guerre. 3 000 000 hommes et femmes afro-américains s’engagent comme volontaires dans l’armée, environ un tiers combat et se voit confier des responsabilités nouvelles. Plusieurs autres centaines de milliers sont recrutés dans les usines du pays qui ont été réquisitionnées par l’État pour contribuer à l’effort de guerre. La Seconde Guerre mondiale à donc permis aux Afro-américains de s’intégrer au reste de la société des États-Unis.
A la fin de la guerre, les choses ont changé. Les Afro-américains qui ont défendu l’idéal de liberté et de démocratie américains ne peuvent accepter le retour au chômage, à la discrimination, aux humiliation. De même, beaucoup ont appris à se battre à la guerre et n’entendent plus se laisser faire contre les attaques raciales du Ku Klux Klan. Les avancées apportées par la Seconde Guerre mondiale à propos de la question noire sonne le glas de la ségrégation.
sources documentaires:
A. Kaspi, Les américains, tome 1&2
J. Portes, Les Etats-Unis de 1900 à nos jours
http://www.archives.gov/education/lessons/369th-infantry/
http://rha.revues.org/7328 l’intégration des soldats noirs américains de la 93e division d’infanterie dans l’armée française en 1918, Benjamin Doizelet
http://francois.durpaire.free.fr/Revue/Articles/2006-07/AMN-003-02.htm#4 La Seconde Guerre mondiale, outil d’intégration pour les Noirs américains, Hélène Harter.