Alors qu’arrive enfin sur les écrans le téléfilm concluant Deadwood, on vous explique pourquoi il faut absolument (re)découvrir ce western choral époustouflant.
C’est quoi, Deadwood ? Au milieu des années 1870, l’ancien shérif Seth Bullock (Timothy Olifant) arrive à Deadwood pour y ouvrir une quincaillerie. Au cœur du far west, cette ville sale et boueuse est peuplée de hors-la-loi à la gâchette facile, de prostituées, de pionniers et de types qui fuient leur passé. C’est aussi une zone de non-droit où un homme impose sa loi : Al Swearengen (Ian McShane) exerce une domination sans partage grâce à la violence et à l’intimidation. Son destin va inévitablement croiser celui de l’ancien homme de loi, mais aussi de tous ceux venus tenter leur chance à Deadwood.
Le 31 Mai prochain, HBO diffusera le téléfilm Deadwood. Attendu par les fans depuis l’arrêt de la série éponyme il y a treize ans, il devrait conclure l’histoire racontée au cours de trois saisons (2004 – 2006) qui ont marqué les esprits. Pour l’anecdote, Deadwood était un cauchemar en terme de tournage, notamment à cause de la personnalité hors norme de son créateur et showrunner, David Milch (lire à ce sujet Des hommes tourmentés, qui y consacre un chapitre). Avant de quitter Deadwood, voici pourquoi il faut voir ou revoir ce petit chef d’œuvre.
La dimension historique
Deadwood a réellement existé, et la série s’appuie sur des personnalités (dont les deux protagonistes principaux, Bullock et Swearengen) et des faits plus ou moins romancés mélangés à la fiction. Milch a toujours affirmé voir Deadwood comme une réflexion sur la façon dont la civilisation s’organise pour sortir du chaos, et c’est ce qu’il raconte à travers la chronique de la ville, au lendemain de la bataille de Little Big Horn (1876) pendant la ruée vers l’or. Les lieux ont du reste été entièrement reconstitués, le décor s’étendant au rythme des saisons et montrant avec un réalisme saisissant une ville du far west telle qu’on l’imagine : ses rues poussiéreuses le long desquelles s’alignent cahutes de bois, bordels, magasins, saloons, le journal local, l’hôtel ou la petite église.
Un western moderne
Initialement, Milch voulait situer l’action dans l’antiquité romaine ; HBO diffusant déjà la série Rome, il a transposé l’histoire dans le far west et le péplum est devenu un western. Mais un western sombre, plus proche des films de Sam Peckinpah ou de Impitoyable de Clint Eastwood que des films avec Gary Cooper ou JohnWayne glorifiant le mythe de la conquête de l’Ouest. Dépouillée de tout moralisme ou idéalisme, Deadwood dé-romantise la légende, fait de la violence le moteur de son récit et décrit une ville en proie au chaos et à l’individualisme.
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Le ton et l’atmosphère
Conséquence directe, Deadwood est pleine de violence physique, verbale et psychologique ; loin d’être gratuite, la brutalité du récit construit un microcosme de décadence et sauvagerie. Profitant de la liberté accordée par HBO, les scénaristes ne nous épargnent rien : cruauté, meurtres barbares, cadavres égorgés donnés à manger aux cochons, scènes de sexe explicites. Et un langage ordurier assumé, les personnages ponctuant leurs phrases d’un nombre hallucinant de Fuck (mot prononcé 2 980 fois en 36 épisodes – quelqu’un a compté) et autres expressions fleuries. Mais c’est aussi une série à l’humour noir et acide étonnamment drôle : avec ses sarcasmes, Swearengen traite ses sbires comme des imbéciles (et il n’a pas tort) ; Doc Cochran ne se départit jamais d’un regard ironique désabusé ; l’inénarrable chinois M. Wu use et abuse des trois mots d’Anglais (uniquement des insultes) qu’il connaît.
Des qualités d’écriture
Sur ce plan, Deadwood est magistrale et ne laisse aucun répit au spectateur. Au fil de l’histoire, la ville évolue sous nos yeux, dans une multitude d’intrigues qui se croisent, se répondent ou se déploient en parallèle. Il ne se passe pas cinq minutes sans une séquence-choc ou émouvante, une scène d’action ou un dialogue réjouissant d’intelligence ou d’humour. Chaque saison de douze épisodes retraçant approximativement deux semaines de la vie de Deadwood, les rebondissements s’enchaînent, sans digression, et l’histoire s’avère vite redoutablement prenante et addictive.
Les personnages
Et l’histoire prend vite une dimension chorale, avec pléthore de personnages magnifiques. Ce sont l’ex-shérif Bullock (Timothy Olifant) avec son mélange d’idéalisme et de violence, l’homme d’affaires Cy Tolliver (Powers Boothe), le mythique Wild Bill Hancock (génial Keith Carradine) ou des femmes fortes et résilientes comme la riche veuve Alma Garrett (Molly Parker), la prostituée Trixie (Paula Malcomson), Calamity Jane (Robin Weigert) ou la patronne de bordel Joanie Stubbs (Kim Dickens). Tous les acteurs, sans exception, sont fantastiques ; citons encore Anna Gun, Sarah Paulson, Kristen Bell, Titus Welliver ou Garret Dillahunt.
Al Swearengen
Last but not least : Al Swearengen. Un salaud sans remords ni scrupules, respecté par certains et craint par tous, pour qui la fin justifie les moyens. Depuis le balcon du bordel dont il est propriétaire, il règne en tyran sur Deadwood, contrôle tout ce qui s’y passe, ordonne meurtres et passages à tabac, ne rechigne pas à trancher lui-même la gorge de ceux qui s’opposent à lui. Magistralement interprété par Ian McShane, ce personnage d’abord pensé comme secondaire s’est imposé comme un anti-héros aussi dérangeant que fascinant. Faites-nous confiance : à lui seul, Al Swearengen / Ian McShane justifie que l’on regarde Deadwood.
Pour toutes ces raisons et bien d’autres encore, Deadwood est une œuvre incontournable– malgré un ultime épisode frustrant, car précipité et un peu en-deçà du reste. La série mérite donc un dernier acte et une épitaphe d’envergure : écrit par David Mitch et avec le casting d’origine (à l’exception de Powers Boothe, décédé depuis), le téléfilm est l’occasion de lui accorder cet honneur en concluant le récit comme il se doit. Après treize ans d’attente, notre fucking patience est en passe d’être récompensée.